«L’esprit en boîte» de Nicolas Tremblay regroupe des nouvelles parues dans «XYZ, la revue de la nouvelle» au fil des ans. Une publication dont il assume la direction littéraire depuis quelques années.
Dix-huit textes, trois sections coiffées de titres évocateurs : Apocalypse, Anticipation et Actualités.
Deux textes couvrent le premier volet. Dans l’un, la mort est présentée en direct sur une scène. Dans l’autre, une naissance a lieu sur un écran de téléviseur. La mort, la vie, les grands moments de l’existence, se déroulent dans l’indifférence. La vie ou la mort sont désormais un spectacle qui ne suscite aucune réaction. Le ton est donné.
Le monde de Nicolas Tremblay s’effrite. Tout est sale, délabré et ruines. L’écran du téléviseur a tout envahi et ligote les personnages.
Communications
Les outils de communication se multiplient. Les gens utilisent une foule de gadgets qui ne cessent de muter. Le téléphone portable possède une caméra et peut décupler les contacts, diffuser des messages à des milliers de personnes. Cette calamité bouscule le quotidien et hante les lieux publics. Il est fréquent maintenant d’entendre des conversations intimes dans les autobus, les restaurants ou la rue. Nous pouvons vivre l’histoire d’amour d’un parfait inconnu ou encore une rupture en direct. Avec les canaux d’information, l’événement se déroule devant le téléspectateur. Bien plus, il est possible d’intervenir en fournissant des photos ou encore des témoignages. Les télédiffuseurs utilisent de plus en plus les vidéos de ces témoins. On l’a vu lors de la fusillade au collège Dawson. Ainsi le public devient le privé et l’inverse est aussi vrai.
Que dire de ces jeunes qui ont filmé un viol collectif pour le diffuser partout sur la planète. La victime a pu voir son viol et le revivre. Votre vécu vous échappe de plus en plus et tous peuvent capter des «séquences de votre vie». Un événement privé peut facilement devenir public. Il faut aussi parler de dépendance.
Saut en avant
Nicolas Tremblay va plus loin. Le téléspectateur se branche à l’émetteur et les images passent par son cerveau avant de surgir sur l’écran. Des fiches s’enfoncent dans les épaules et le sujet perd la maîtrise de ses pensées et il est totalement dominé par l’appareil. Il se vide de sa pensée et n’a plus de réaction.
Ces machines se nourrissent des influx nerveux de l’homme ou de la femme, parasitent le corps et l’esprit. Le sujet dérive dans une cinquième dimension. La société peut s’écrouler, la vie est ailleurs. Plus besoin de l’autre depuis l’invention de la machine à orgasmer pour les femmes. Jouissance assurée et l’homme aux érections incertaines et variables est désuet.
Tremblay pousse à son paroxysme tout ce qui fait courir notre société dans la troisième partie de son recueil. La frontière entre le privé et le public s’effrite. Il met en scène des journalistes, des animateurs connus de la télévision, des vedettes qui font partie de notre quotidien. Patrice Roy, Patrice L’Écuyer, Bernard Derome et quelques autres deviennent les personnages de ses fictions.
«La boîte du nouvellier» m’a particulièrement interpellé. L’action se déroule au Salon du livre de Montréal. On y croise Monique La Rue, Gilles Archambault et Mathieu Bock-Côté qui pique une véritable crise de folie pendant l’entrevue, insultant tout le monde. Les agents doivent l’éloigner. Vrai ou faux? On ne sait plus. L’esprit est passé dans la boîte, le téléviseur ou l’ordinateur. La réalité a migré dans ces technologies qui contrôlent les cerveaux. Ce qui importe, ce sont les images qui forgent la nouvelle réalité, l’améliore, la défait et la module.
Tous sont les sujets et les objets de ce monde des communications. De plus en plus de gens se nourrissent de fantasmes et de rêves les plus fous à travers cette panoplie d’outils qui donnent l’illusion d’être en contact avec le monde.
Ce qui questionne dans l’ouvrage de Nicolas Tremblay, c’est l’utilisation de vrais personnages. Jusqu’où un écrivain peut aller? Peut-il utiliser des personnages connus? Un nouvellier peut-il s’approprier des vrais personnages et les faire agir dans ses fictions? Le droit à la vie personnelle, l’utilisation de son nom et de son identité sont en question ici. Particulièrement troublant.
«L’esprit en boîte» de Nicolas Tremblay est publié chez Lévesque Éditeur.
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