dimanche 3 octobre 2010

C.S. Richardson est irrésistible

Ambroise Zéphyr apprend, après un examen médical vers le début de la cinquantaine, que ses jours sont comptés. L’avenir et les rêves ne sont plus possibles. Il décide de partir avec sa compagne pour visiter vingt-six lieux, des villes dont le nom commence par une lettre de l’alphabet.
 «Des lieux. De A à Z, cela fait vingt-six. Un mois, cela fait trente. C’est ce qu’a dit le docteur. Ou vingt-neuf ? En quelle année sommes-nous ? Vingt-huit ? Un mois, à peu de choses près.» (p.47)
Une décision étrange? L’alphabet tient une place importante dans la vie d’Ambroise. Ses patronymes couvrent l’alphabet. Le A d’Ambroise, du prénom, mène au Z final de Zéphyr, son nom de famille. Il est marié avec Zappora Ashkenazi, alias Zip. Du Z cette fois au A. Ils étaient faits pour se rencontrer.

Voyage

Le couple quitte l’Angleterre pour Amsterdam. Il y aura Berlin, Chartres et l’île d’Elbe. Dans chacune de ces villes, Ambroise visite des musées, les cathédrales et les galeries, s’attarde devant des œuvres d’art, des monuments architecturaux et des toiles de grands maîtres. Il n’y a que l’art pour glisser hors du temps et effleurer l’immortalité. Une course contre la montre, contre la mort certainement.
«Elle essaya de penser à des façons astucieuses de redéfinir l’ordre alphabétique, mais son cerveau refusa l’exercice, préférant imaginer un vrai repas, des vêtements propres, une sieste, un coin tranquille au bord de l’eau avec vue sur la cathédrale. Au minimum, manger, changer de sous-vêtements et se reposer pour passer le temps pendant qu’Ambroise irait à l’église.» (p.65)
Qu’est-ce qui devient important quand on sait la fin arriver? Un voyage de ville en ville pour découvrir le secret de l’immortalité ou les petits plaisirs que l’on s’offre quand plus rien ne vous bouscule.
«Ce n’est qu’une histoire. La vie continue. La mort continue. C’est simple. Simple comme tout.» (p.98)
Simple surtout quand l’autre est concerné.

L’art

Ambroise scrute des tableaux qui traversent les siècles, se retrouve devant une pyramide, ces monuments à la mort, fige devant une toile de Rembrandt, tente de saisir cette vérité fuyante qui cerne la vie.
Zappora et Ambroise manqueront de temps. Ils rentrent quand la santé d’Ambroise se détériore. A partir de la lettre M, tout bascule. Il tente de rêver le voyage. Mumbai, New York Osaka et… la fin est là.
«Elle l’aida à se mettre au lit, ajouta une couverture de son côté pour l’empêcher de trembler et s’enroula autour de lui. Elle oscillait au bord du sommeil quand l’atmosphère de la petite maison victorienne s’épaissit brusquement. Le silence l’éveilla en sursaut.» (p.145)
Zappora survit, un peu égarée dans son corps, dans ses pensées, incapable de reprendre la course. C’est peut-être en effleurant la mort qu’elle vit pleinement, vibre, devient entière et présente.
«Zip resta encore un peu, perdue dans la contemplation du parc désert. Il se mit à pleuvoir. Elle ouvrit le carnet qu’elle avait déniché dans une librairie d’Amsterdam. Avec douceur, Zip vida soigneusement le contenu de la pochette dans la valise d’Ambroise. Elle mit la main dans une poche du veston et en sortit un caractère d’imprimerie. Un caractère gras, sans sérif. Elle resta un instant immobile, puis remit le petit bloc de bois à sa place.» (p.148)
J’ai pensé souvent à «L’écume des jours» de Boris Vian en lisant C. S. Richardson C’est du même niveau. L’allégorie est magnifique, séduisante et irrésistible. Il y a là un appétit de vivre, une joie qui soulève et transporte. Les œuvres qui réussissent cet exploit, on les compte sur les doigts de la main. Quel bonheur de parcourir cette fable qui touche l’innommable avec une délicatesse rare. À lire avec toute l’attention possible pour comprendre un peu mieux la vie ou la mort. L’amour aussi.

«La fin de l’alphabet» de C.S. Richardson est paru aux Éditions Alto. 

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