Un autre fleuron de la
collection des Éditions Trois-Pistoles vient de paraître avec «Contes, légendes
et récits de l’île de Montréal, 1. Montréal: une ville à inventer». Et ce n’est
là que le premier volet de cette entreprise gigantesque. Plus de 800 pages
attendent le lecteur et rien ne dit que la suite subira une cure d’amaigrissement.
De quoi plonger dans la littérature du Québec, découvrir sa richesse et la variété
de son répertoire.
Il fallait bien y arriver à
cette île de Montréal après des séjours au Saguenay-Lac-Saint-Jean, en Abitibi,
dans le Bas-Saint-Laurent, la région de la Gaspésie, des Iles-de-la-Madeleine
et Québec. Montréal n’a rien perdu dans l’attente. L’agglomération qui a été
longtemps la métropole du Canada et la ville francophone la plus importante de
l’Amérique du Nord ne peut que réserver des surprises.
Aurélien Boivin, le mentor de
cette publication, a fait un travail colossal et a dû se restreindre au
territoire de l’île pour se frayer un chemin dans la multitude de textes qui
touche cette région. Il a oublié volontairement les banlieues, la Rive-Sud de
cette cité qui s’avère le cœur d’un vaste territoire et le poumon du grand Québec.
Les choix, malgré cette limitation dans l’espace, ne furent pas de tout repos,
on s’en doute. Des forces et certaines couleurs plutôt étonnantes se dégagent
de cette compilation.
«Autant l’anthologie «Contes,
légendes et récits de la région de Québec» a fait une place importante aux
récits légendaires, devant leur abondance, autant ces récits basés sur un fait
réel déformé par la tradition, le bouche à oreille, en somme et exploitant un
phénomène surnaturel mettant en scène diable, loup-garou, feu follet, revenant,
mendiant jeteur de sorts…, sont beaucoup plus rares dans l’île de Montréal,
sans qu’il ne soit possible, même après avoir consulté quelques spécialistes,
d’expliquer une telle rareté.» (p. XLIII)
Peut-être que le diable
préfère se tenir loin de la grande ville où le mal séjournait en permanence
selon une certaine tradition littéraire qui prônait l’occupation du territoire
et la colonisation. Et comment cet énergumène aurait-il pu tenir tête aux
guerriers farouches qu’étaient les Iroquois?
Beau mélange
Aurélien Boivin mélange
habilement les récits, les contes, les nouvelles, de la poésie et des textes de
chansons. Humour aussi, textes érotiques et proses plus sérieuses. Il ne manque
que l’expérience théâtrale pour compléter l’exploration. Le lecteur peut
s’attarder aux débuts de la colonisation par les Blancs, l’arrivée de
Jeanne-Mance et Maisonneuve, sentir la présence des Iroquois et vivre certains
actes d’héroïsme.
Plus que tout, j’ai été
souvent étonné. Certains écrivains ont gardé une belle fraîcheur malgré les bonds
dans le temps. Je pense à Eugène Achard surtout. Un style clair, limpide et
contemporain.
Curieusement, plusieurs des écrivains
cités sont plutôt négatifs envers la grande ville. Ringuet, Denise Bombardier,
Hubert Aquin et Lise Bissonnette se montrent sans pitié.
«La misère urbaine à
Montréal, c’est tout cela, mais c’est également une dégradation du mobilier
urbain, des rues à la chaussée défoncée qui ressemblent à celles d’un pays en
guerre et une saleté qui ne s’explique pas uniquement par la fin de l’hiver. La
ville est devenue sale, et il faut avoir voyagé un tant soit peu pour s’en
rendre compte.» (p.16)
Pourtant, selon les récits
des explorateurs et des fondateurs, l’île de Montréal était un paradis à
l’origine. Les activités humaines semblent avoir eu un effet particulièrement
négatif sur l’environnement.
Aventure
À noter l’absence de
Gabrielle Roy et son incontournable «Bonheur d’occasion». Un choix éditorial du
chercheur. Je pense aussi à Yves Beauchemin qui a beaucoup décrit Montréal.
Jean Basile, Michel Vézina, Pierre Gélinas et même Hervé Gagnon pourraient
s’ajouter à la liste. Il serait aussi intéressant de scruter la présence de
Montréal dans les écrits des romanciers anglophones, Mordecai Richler entre
autres, ou le poète Leonard Cohen. Boivin a fait face à des choix déchirants.
Tous les textes décrivent une
belle aventure américaine avec ses caractéristiques, ses obsessions religieuses
et sociales. L’imaginaire aussi. Comment ne pas sourire en lisant Marcel Godin
qui dresse un portrait mordant des écrivains importants des années 70 dans «Le
poisson rouge».
L’ensemble, malgré des formes
changeantes, s’impose et donne un portrait saisissant du territoire de l’île de
Montréal avec sa montagne qui se profile, peu importe les époques. Une formidable
aventure dans les écrits d’ici et un survol incomparable d’une littérature qui
s’est enracinée dans la réalité du Nouveau Monde. Un ouvrage indispensable.
«Contes, légendes et récits de l’île de Montréal 1.
Montréal: une ville à inventer» d’Aurélien Boivin est paru aux Éditions Trois-Pistoles.