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samedi 6 juin 2009

Pascale Bourassa, une véritable révélation

L’histoire pourrait se situer en 1920 ou en 1940. «Le puits» de Pascale Bourassa nous plonge dans un Québec où l’Église prônait le retour à la terre et les familles nombreuses. La seule véritable richesse était les enfants. Le corps des femmes appartenait à Dieu et à l’État, autant dire aux hommes. Un roman d’une rare intensité. Une nouvelle romancière étonnante.

Albertine et Angélique sont quasi des jumelles. L’une précède l’autre de quelques mois dans la vie. Elles deviendront rapidement des inséparables. L’une rêve de fuites, d’amours physiques et de sensualité tout en ayant peur de l’inconnu; l’autre s’efface et vit par procuration auprès de sa soeur.
Les parents se sont aimés pourtant dans une autre vie. Lina, la mère, était belle, aimait la danse, les rires, mais il y a eu ce drame qui a décimé sa famille. Elle a épousé le fils du forgeron qui tournait autour d’elle. Pas l’amour, mais un renoncement! Adieu les danses, les petites robes à fleurs bleues. Ne restent que les tâches, les enfants innombrables, le devoir pour ne pas provoquer la réprobation des autres.
«La mère connaissait son devoir. Elle avait embrassé sa toute première quand elle était partie, un chaste baiser sur la joue, elle lui avait envoyé la main et était rentrée dans la maison en s’emparant déjà d’un linge à laver. Il n’y avait pas de larmes à avoir, car les regrets ne servaient à rien. Et la mère s’était vite mise à laver le plancher pour oublier, oublier les regrets : les regrets semblaient inoffensifs, mais ils étaient très dangereux, vicieux – mine de rien, ça pouvait briser, ça nous consumait et ça tuait à petit feu.» (p.18)
La mère meurt en accouchant du seizième enfant. Le père devient survit sans plus, un véritable fantôme.

La vie des filles

Angélique, la passionnée, guette Josef, le fils des voisins qui bêche la terre avec ses gros bras et son dos «nu qui pleurait, un dos triste qu’on aurait voulu caresser.» Elle sait que cette attirance est dangereuse tout comme ce goût pour l’ailleurs.
«Angélique n’aimait pas ses envies de partir au loin, de fuir le plus loin possible et le plus vite aussi, de peur d’être rattrapée, d’être avalée. Quelque chose se tramait, et elle n’aimait pas ça. Elle aurait voulu fuir avant que tout n’éclate, que l’ombre se referme sur elle et ne l’entraîne dans le fossé qui s’élargissait sous ses pieds.» (p.22)
Elle a vite fait de séduire Josef et un enfant s’installe en elle. Que faire sinon l’épouser? Tous vivent dans la maison familiale. Rapidement Angélique offre son mari à sa sœur et le fils qu’elle met au monde. Elle va à la ville, devient peintre, peut enfin vivre ses passions. Elle croit bien échapper au sort réservé aux femmes, mais ce n’est pas si simple.
Chacun des personnages hurle sa douleur et tente de dompter sa vie. Un chœur où Anthony, le petit garçon blond d’Angélique, demande à sa mère de revenir, où Josef n’arrive plus à refaire surface devant le désespoir d’Albertine. Au bout d’une terrible dépression, celle-ci se jette dans le puits pour mettre fin à ses souffrances.
Ce suicide traverse le roman, comme un ralenti sans fin. Albertine revoit sa vie, ses espoirs, ses relations avec sa sœur sans qui elle ne peut vivre.

Roman rare

Rares sont les romans qui portent autant de colère. Une révolte contre la malédiction d’être femme, la maternité qui brise le corps. Le beau rêve d’amour s’avère le plus terrible des pièges. C’est cette force de vie en elles qui se retourne pour les détruire et les déformer. Albertine et Angélique ont vu leur mère mourir devant une toile où le sang giclait. Toutes sont écrasées par une fatalité. Comment échapper à son destin biologique?
Un roman d’une force terrible, une véritable bombe qui vous pulvérise. Un souffle incantatoire qui nous hante longtemps. Les pulsions des femmes, leurs cris de révolte et de rage explosent dans des tableaux bouleversants. Pascale Bourassa nous entraîne à la limite du supportable. À peine tolérable. Un premier roman, une écrivaine qui s’affirme.

« Le puits » de Pascale Bourassa est paru aux Éditions de La grenouille bleue.

dimanche 31 mai 2009

Michael Ignatieff présente sa famille

Michael Ignatieff, dans «Terre de nos aïeux», s’attarde à ses grands-parents maternels, les Grant. Le plus mythique est certainement son arrière grand-père, George Monro Grant.
Né en 1835 à Pictou en Nouvelle-Écosse, George Monro Grant étudie en Écosse et revient à Halifax comme pasteur. Collaborateur au journal «The Chronicle Herald» il prône l’adhésion de la Nouvelle-Écosse à la confédération canadienne.
En 1872, il traversera le Canada, note tout dans ses carnets. Il publie son récit de voyage en 1873. Sa mission est de voir s’il est possible de construire une voie ferrée qui ira de l’Atlantique au Pacifique.
Les bateaux et le train n’allaient pas plus loin que «Collingwood, sur la rive sud du lac Huron», explique le chef du Parti libéral du Canada. «C’est là que s’arrêtait le Canada, du moins en ce qui concerne le chemin de fer». Les aventuriers ont dû faire le reste du voyage à la manière des coureurs des bois. «À mi-chemin de la traversée du continent, le cheval, la charrette et le canot se substituaient aux moyens de transport modernes.»

Premières nations

Les voyageurs croisent des métis et des autochtones. Des réflexions surgissent sous la plume de l’observateur.
«Et maintenant une race étrangère envahit le pays et trace des lignes pour ériger des clôtures et dire «Ceci est à moi, pas à vous» jusqu’à ce que le propriétaire d’origine ait tout perdu. Tout cela est peut-être inévitable, mais pour agir comme nous voudrions nous-mêmes être traités, au nom de la Justice et du «droit sacré» à la propriété, ne faudrait-il pas assurer à l’Indien une compensation généreuse et, si possible, permanente.» (p.53)
Le train sera construit. L’Ouest s’ouvrira à la colonisation et Louis Riel est pendu. C’est la fin du rêve d’une nation métisse et francophone. Quant aux autochtones, ils ne sont toujours pas reconnus et les négociations de l’Approche commune s’éternisent.

Pédagogue

Le grand-père William Lawson Grant participe à la Première Guerre mondiale et ne s’en remettra jamais. Il connaît cependant une brillante carrière comme pédagogue à Upper Canada College.
«Il souhaitait que l’école s’inspire de la méthode française d’enseignement des langues, qu’il avait tant admirée à Paris. Il voulait qu’il y ait moins de latin et de grec et davantage de sciences et de mathématiques, moins d’examens et plus d’éducation physique. L’enseignement devait être ouvert à l’actualité et au reste du monde, et il fallait offrir des bourses d’études pour les garçons issus de familles pauvres.» (p.117)
Le plus original sera l’oncle de Michael Ignatieff, George Parkin Grant. Pacifiste, il refuse de s’enrôler lors de la Seconde Guerre mondiale, préférant «servir» dans les quartiers populaires de Londres que les Allemands bombardent. En 1965, il écrit un essai où il questionne l’avenir du Canada.
«Le postulat de Lament for a Nation est simple et direct. Le Canada est passé du statut de colonie à celui de nation pour redevenir une colonie. Le pays est passé de l’assujettissement à l’Empire britannique à une soumission à l’impérialisme des Etats-Unis. Dans ce processus, il a perdu son identité et son âme. Ce n’est plus qu’une question de temps : il va disparaître.» (p.156)

Rêver le Canada

Michael Ignatieff, descendant de réfugiés russes arrivés au pays en 1928, rêve d’un Canada où le Québec pourra exporter son électricité dans l’Ouest et le Manitoba son pétrole dans l’Est. Avec John Saul, il croit à la présence canadienne dans l’Arctique. «Aimer un pays est un acte d’imagination. …Nous ne connaissons qu’une partie de la réalité. Il faut imaginer le reste», écrit-il dans son introduction.
Un livre intéressant pour les figures évoquées et aussi pour l’esquisse de ce qui pourrait devenir le programme du chef du Parti libéral du Canada. L’auteur aurait pu s’attarder un peu plus aux femmes de la famille Grant qui semblent aussi intéressantes qu’originales.

«Terre de nos aïeux» de Michael Ignatieff est publié chez Boréal Éditeur.

dimanche 24 mai 2009

Jacques Poulin offre un moment de bonheur

Avec Jacques Poulin, c’est toujours la même histoire. Je me précipite sur son dernier titre et après, je repousse le moment de plonger dans son univers, rôdant autour du livre, le soupesant tout en l’examinant. Parce que je sais, une fois la première phrase lue, je serai incapable de revenir en arrière.
«L’anglais n’est pas une langue magique» intrigue par le titre, mais aussi par la toile d’Osias Leduc qui illustre la page couverture. Un jeune garçon, casquette relevée, est penché sur un livre. Où Poulin nous entraîne-t-il?

Histoire de famille

Marine est de retour, celle que nous avons aimée dans «La traduction est une histoire d’amour». Limoilou aussi. La jeune fille retrouve sa place dans la vie. Francis, le jeune frère de Jack, tout en lui faisant la lecture, il est lecteur professionnel, surveille Marine qu’il trouve fort séduisante. Jack affronte ses fantômes. Il se débat dans l’écriture d’un nouveau roman et ne sort plus de son appartement. Francis pourvoit à ses besoins et sa grande sœur n’est jamais loin. Les dernières nouvelles de la famille, quoi.
«Limoilou allait un peu mieux, sur le plan physique en tout cas. Avec Marine, pendant l’hiver, elle avait patiné sur l’étang et parcouru à skis les sentiers avoisinant le chalet. Elle avait repris des forces. De mon côté, je lui lisais des textes depuis le printemps, c’est-à-dire depuis que la neige avait fondu sur le chemin de terre. Lorsque celui-ci était impraticable à cause de la boue, Marine venait me chercher avec sa Jeep. Elle accordait une grande importance à mes visites. Une fois, dans un moment d’exaltation, elle avait dit que les séances de lecture étaient une forme de thérapie.» (p.29)

Histoire policière

Le travail un peu étrange de Francis exige discipline et versatilité. Une femme le contacte pour une séance de lecture.
«La femme gardait le silence. En temps normal, après les salutations d’usage, j’aurais raccroché. Mais cette fois, je voulais entendre de nouveau la petite musique. – Avez-vous des goûts particuliers ? demandai-je. – Parlez-moi d’amour, dit-elle.» (p.12)
Il se rend à l’adresse indiquée à l’heure convenue. Un lecteur professionnel se doit d’être ponctuel. La porte de l’appartement est ouverte, mais personne ne répond. La femme semble s’être volatilisée. S’ensuit une véritable enquête policière. Qui est cette inconnue? Est-ce une femme réelle ou un fantasme que le lecteur ne cesse de pourchasser en bondissant d’un roman à l’autre?
«Je m’étais construit un monde imaginaire autour de la mystérieuse femme, et voilà qu’un intrus pénétrait dans mon petit univers et risquait de tout jeter à terre», explique Francis qui ne sait plus où cette histoire va l’entraîner.

Écrivains

La lecture tient une grande place dans les romans de Jacques Poulin. Il suffit de se rappeler «La tournée d’automne» où les livres sont à l’avant scène. Jack va de village en village pour approvisionner les lecteurs. Il revient ici à ses écrivains favoris, s’attarde à Réjean Ducharme, Raymond Carver, Ernest Hemingway, Alain Granbois, Gabrielle Roy et plusieurs autres. Il en parle si justement.
«L’écriture de Ducharme était tout le contraire d’une «petite musique». Elle frémissait, elle bougeait sans cesse, les mots se choquaient, les images allaient dans tous les sens, prenaient toutes les couleurs, et des bouts de phrases jaillissaient comme un feu d’artifice.» (p.99)
Et pourquoi pas une plongée dans l’histoire avec le récit de voyage de Lewis et Clark. Les explorateurs partent à la recherche du passage de l’Ouest, au temps où l’Amérique était française. Le clin d’œil à «Volkswagen blues» est évident.
«L’anglais n’est pas une langue magique» est un roman lumineux, empreint de tendresse et d’empathie. On en réchappe sourire aux lèvres, avec un regard différent sur les gens et les choses. Un moment de bonheur qui s’avère toujours trop court. Il ne reste plus qu’à patienter ou retourner dans l’œuvre de cet écrivain pas comme les autres. Pourquoi pas relire «Le vieux Chagrin» ou «Les yeux bleus de Mistassini» en attendant un nouveau titre. 

«L’anglais n’est pas une langue magique» de Jacques Poulin est publié chez Leméac/Actes sud.

dimanche 17 mai 2009

Nicolas Dickner témoigne du monde actuel

Nicolas Dickner a fait une entrée remarquée en littérature, en 2005, avec «Nikolski». Un roman traduit en dix langues. Son second livre, «Tarmac», ne décevra pas les nombreux lecteurs qui ont adopté ce jeune écrivain.    Hope aboutit à Rivière-du-Loup avec sa mère Ann Randall, en août 1989. Elles arrivent de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, fuyant l’Apocalypse qui doit survenir d’un moment à l’autre. La famille Randall s’est fait une spécialité de prédire la fin des temps.
«Mary Hope Juliet Randall, dite Hope, était la plus jeune représentante d’une famille qui, depuis une époque imprécise - mais que d’aucuns situaient sept générations en arrière -, souffrait d’une grave obsession pour la fin du monde.» (p.18)

Tous connaissent une illumination et la date fatidique surgit comme une révélation. Ann croit qu’en fuyant vers l’Ouest, elle et sa fille échapperont pendant un temps au grand cataclysme. Clin d’œil au mythe du recommencement qui a présidé à la conquête de l’Ouest américain. Le mythe de la frontière aussi qui s’est déplacé depuis quelque part en Asie. Elle doit trouver une nouvelle date. Le grand bouleversement se fait tirer l’oreille et elle se perd dans ses calculs.
Hope semble échapper à l’obsession familiale et mène une vie à peu près ordinaire, même si elle n’est pas menstruée, une anomalie pour une fille de son âge. Michel et elle deviennent inséparables.

Fins du monde

L’actualité témoigne à tous les jours de petites fins du monde. Le mur de Berlin s’est écroulé et l’empire russe est démantelé. Les protagonistes vivent la fin de la Guerre froide. Un équilibre est rompu.
«Les maisons anciennes avaient des caves, des cryptes, des celliers, des vides sanitaires ou des cachettes à kalachnikovs. Mais le sous-sol du bungalow nord-américain est différent. Il est isolé, chauffé, meublé, équipé avec des lits, des congélateurs, des chambres froides, la télévision, le téléphone et des jeux de société… …Le sous-sol moderne est apparu durant la guerre froide, c’est le produit d’une civilisation obsédée par son avenir. Mais quand on y pense bien, la dernière fois qu’autant d’Homo sapiens ont habité sous terre, ça remonte à l’âge de pierre.» (p.47)

17 juillet 2001

Hope, s’amusant avec des dés, trouve une date. Elle se bute au 17 juillet 2001, le jour où tout s’écroulera. Cela aurait pu être le 11 septembre de la même année ou l’an 2000 où tous les ordinateurs devaient tomber en panne. Les signes se multiplient, nourrissant son obsession. La date de péremption sur les boîtes de ramen Captain Mofuku tombe le 17 juillet 2001. Tout bascule quand elle découvre le livre des prophéties d’un certain Charles Smith. Le gourou prédit lui aussi la fin du monde pour le 17 juillet 2001.
«Je lisais et relisais l’encadré, incrédule, répétant qu’il s’agissait d’une simple coïncidence, mais Hope ne voulait rien entendre. À son avis, les probabilités qu’un autre illuminé annonce la fin du monde pour le 17 juillet 2001 s’élevaient à environ 1 sur 16 milliards. Cette découverte nous coupa subitement toute envie de fêter.» (p.147)
Hope part pour New York pour rencontrer Smith. D’étape en étape, elle se retrouve à Tokyo, une ville qui a connu une «fin du monde» avec l’explosion de la bombe atomique.

Monde familier

Le monde de Nicolas Dickner est à la fois familier et étrange. Les frontières sont abolies, les nations de plus en plus floues. Avec la mondialisation, tous se gavent des mêmes images à la télévision, consomment les mêmes aliments, partagent les mêmes hantises et les mêmes angoisses. L’identité est plus incertaine que jamais, les gens sont à peu près semblables et pareillement hallucinés. Les hommes et les femmes sont de plus en plus nomades, en quête de sens et d’ancrage. Et comment échapper à la malédiction génétique? Dickner nous plonge dans une réalité où l’équilibre se rapproche de la folie.
L’écriture dépouillée et d’une efficacité remarquable tient en haleine du début à la fin. Nicolas Dickner a relevé le défi du second roman.

«Tarmac» de Nicolas Dickner est publié chez Alto Éditeur.

dimanche 10 mai 2009

Djemila Benhabid se méfie des intégristes.

Djemila Benhabid est née en Algérie. Ses parents, des universitaires et des militants, ont lutté pour faire de ce pays un état démocratique ou hommes et femmes pouvaient circuler à visage découvert, discuter et contester les idées religieuses et politiques.  Dans «Ma vie à contre-coran», l’écrivaine montre comment cet espoir a basculé avec l’arrivée des intégristes qui subordonnent tous les gestes du quotidien à leurs croyances. Au Québec, malgré les accommodements raisonnables, il semble bien que nous venons d’ouvrir la porte à cette mouvance.
« Je vois se dissimuler au Québec l’expression d’un islam radical qui n’inaugure rien de bon pour la santé de notre démocratie. L’intrusion du religieux dans les sphères publique et privée, je l’ai vécue sous toutes ses formes, des plus petites au plus grandes, de ma petite enfance à l’âge adulte. Je sais de quoi je parle. Je connais ce qu’est l’intégrisme.» (p.22)

Ces «fous de dieu» s’implantent dans les communautés immigrantes et imposent leurs croyances, leur domination sur les femmes, le port du voile, du turban ou le kirpa.

Privilèges

Djemila Benhabid refuse que l’on accorde des privilèges à ces groupes qui s’isolent dans leur société d’accueil et réfutent les principes fondateurs de la démocratie qui accorde les mêmes droits et les mêmes obligations à tous les citoyens.
«Depuis la commission Bouchard-Taylor, les islamistes occupent toutes les tribunes, à travers les femmes essentiellement. L’écrasante majorité porte le hidjab. Elles défilent les unes après les autres pour fustiger les médias et pour jurer qu’elles ne sont pas soumises et qu’elles sont mêmes féministes jusqu’au bout des ongles. Les journalistes marchent sur des œufs.» (p.46)
Un peu plus loin elle ajoute: «Le voile est une fausse route pour les jeunes filles. Rien dans le Coran ne leur impose d’afficher ainsi leur foi. Le voile conduit trop souvent à ces comportements inquiétants, comme le refus de la mixité, de l’égalité des sexes, des cours de biologie ou de sport.» (p.73)

Guérilla

Les groupes intégristes mènent une véritable guérilla au Canada, aux États-Unis, au Danemark, aux Pays-Bas, en France comme en Allemagne en réclamant des privilèges. Les mosquées deviennent des lieux où l’on promeut le racisme et la suprématie d’Allah, où l’on proclame la domination des hommes sur les femmes, la haine et la violence.
«On en arrive même à entretenir l’illusion que le voile pourrait être une alternative à l’hypersexualisation des filles, quand en fait le voile est l’une des pires formes de sexualisation des femmes. Le voile, c’est un rapport obsessionnel au corps, à la chair, au sexe. Le voile, c’est le contrôle de la sexualité des femmes. Ne soyons pas assez naïfs pour croire que le hidjab serait acceptable, voir progressiste alors que la burka serait rétrograde et inacceptable.» (p.79)
Polygamie légalisée, viols et «meurtres d’honneur» commis au nom d’Allah par un frère ou un père qui punissent les récalcitrantes. Résultats : une société où règne la terreur et la pire des violences.

Exil

La famille de Djemila Benhabid a dû fuir en France pour échapper à la mort. Elle y a vu les islamistes s’installer dans les faubourgs pour y implanter leur dogme. On se souvient des émeutes qui ont secoué les banlieues de Paris il n’y a pas si longtemps. Partout une même façon de faire où l’on crie au racisme et à la persécution pour exiger des dérogations et des privilèges. Port du voile dans les écoles, dans la pratique des sports et demande de lieux de prières dans les universités ou les hôpitaux.
Toujours au nom du respect des différences et de la liberté d’expression. Résultats : repli sur soi, refus des habitudes du pays d’accueil. Madame Benhabid montre comment les Hassidiques vivent en pleine autarcie au Québec et résistent à toute intégration.
À lire pour la réflexion que Djemila Benhabid suscite un an après le rapport de la Commission Bouchard-Taylor. Elle montre nos travers et notre peur viscérale de faire respecter les éléments fondateurs de notre démocratie. Un témoignage troublant qui met un doigt sur bien des contractions, des peurs, des petites et grandes lâchetés.

«Ma vie à contre-coran» de Djemila Benhabib est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 3 mai 2009

Bruno Roy témoigne d’une vie exceptionnelle

J’aime les journaux d’écrivains et prends toujours grand plaisir à plonger dans leur intimité. Certains sont devenus célèbres par cette écriture au quotidien. Je pense à Anaïs Nin qui a tenté de tout raconter dans son journal, même le plus intime. Ou Julien Green qui a fait de sa vie une véritable saga en publiant l’un des journaux les plus volumineux de l’histoire de la littérature. Que dire de l’expérience de Jean-Pierre Guay, au Québec? Son périple est devenu une ascèse pathétique et une aventure particulièrement douloureuse.
Bruno Roy se confie, parle de sa vie, de ses questionnements, de ses hésitations et ne cesse de reconstituer son existence par l’écriture dans le quatrième tome de son «Journal dérivé». Après l’espace de «la lecture», de «l’écriture» et «de la vie publique», voici «l’espace privé».
«Ai-je préféré la vie de l’esprit à la vie elle-même?», se demande l’écrivain dans sa présentation. «Je ne le crois pas. Écrire ne consiste pas à reproduire la vie et ses connaissances, mais à l’inventer pour mieux lui donner un sens.» Le journal est là pour fournir de multiples réponses.

Vie inventée

Cette «vie inventée» nous entraîne dans l’intimité de l’écrivain. Comme s’il nous faisait une petite place dans sa maison de Roxboro ou au lac Baker où la famille passe ses étés. Nous y retrouvons son épouse Luce et ses filles Isabelle et Catherine. Des amis aussi, des parentés littéraires, des rencontres marquantes. Il témoigne de nombreuses retrouvailles, de ses engagements à l’Uneq où il a été un président marquant. Bruno Roy, lecteur boulimique, envoie aussi beaucoup de lettres aux écrivains pour commenter leurs ouvrages. En retour, il reçoit énormément de courrier.
Comme dans le troisième tome de son journal, il s’attarde à ses combats, sa lutte avec les Orphelins de Duplessis, une bataille mémorable où il a contribué à donner un nom à ces enfants enfermés dans des asiles. Lui-même orphelin, il s’en est réchappé par miracle.
«Une partie de mon imaginaire s’est alimentée à la seule observation des comportements «originaux» qui ont accompagné mon séjour à l’hôpital psychiatrique. Qu’en est-il resté? Quel impact cela a-t-il pu avoir sur mon comportement, sur mon évolution personnelle et, ultimement, sur la constitution de mon identité? En d’autres mots, par quel miracle la folie des autres est-elle restée un objet étranger, incapable de m’atteindre dans mes retranchements les plus intimes?» (p.106)
Le privé et le public se croisent dans l’œuvre de cet écrivain singulier qui a dû se construire et se défendre contre les vicissitudes du monde. Son essai intitulé «Naître, c’est se séparer» prend ici son sens et sa plénitude.

Identité

Une quête d’identité soutient l’œuvre de Roy, que ce soit dans son journal personnel ou dans ses œuvres de fiction. Un questionnement qui fait qu’il est, qu’il existe, qu’il s’est forgé une personnalité par l’écriture, l’enseignement, les rencontres qui ont bousculé sa vie. Gaston Miron entre autres.
«D’ailleurs, ce qui faisait de moi un être commun, c’était mon expérience institutionnelle: ce qui aujourd’hui fait de moi un être unique, c’est que j’ai rencontré le langage; ou est-ce lui qui est venu vers moi? Oui, je suis bien vivant, même sans enfance, même sans père ni mère. L’identité, c’est son espace intérieur, c’est-à-dire sa propre ressemblance. Car le vrai drame, c’est d’être absent à soi-même.» (p.150)

Une invitation

Être toujours en mouvement, Bruno Roy nous accorde le privilège d’arpenter son espace intérieur en frère. Il témoigne de ses amours, de ses déceptions, de ses engagements et garde surtout un extraordinaire instinct de vie qui fait de son journal un document précieux. Un voyage de plus d’une trentaine d’années qui risque d’ébranler le lecteur qui cherche un sens à son existence.
Bruno Roy nous force à nous situer dans l’espace de la vie et il s’avère un compagnon essentiel. Nous retrouvons trop peu de témoignages du genre dans un monde où le potinage devient la matière des émissions dites culturelles. Bruno Roy vit avec le doute, porte une parole vivante, plonge en soi pour mieux surprendre le regard de l’autre dans l’aventure d’être homme.

«Journal dérivé», L’espace privé 1967-1970 de Bruno Roy est paru chez XYZ Éditeur.