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dimanche 22 février 2009

Nadine Bismuth scrute la vie des filles

«Êtes-vous mariée à un psychopathe?» La question fait sourciller. Voilà pourtant le titre qui coiffe les dix nouvelles du plus récent recueil de Nadine Bismuth.
Elles ont dans la trentaine et n’arrivent pas à retenir un homme. Tout se dilue dans la banalité du quotidien. L’amour qui coupait le souffle aux débuts meurt d’inanition. Pourquoi continuer alors, même si le pire des malheurs, pour les héroïnes de Bismuth, semble la vie de célibataire.
Femmes et hommes cherchent à se réfugier dans le cocon du couple, même s’ils vivent dans des mondes irréconciliables. Les femmes misent sur le long terme quand les hommes ne jurent que par le présent. C’est souvent la source de conflits et de ruptures.
«… nous inspirons de la pitié : nous sommes douces et gentilles, ma foi souvent même jolies, nous sommes drôles et intelligentes, alors bon sang, qu’est-ce qui cloche? Pourquoi sommes-nous seules ? Est-ce à cause d’un conflit irrésolu avec notre père? D’un traumatisme vécu dans le ventre de notre mère? Si vous trouvez la réponse, de grâce, dites-le-nous, car notre psy commence à nous coûter cher.» (p.12)
 Les hommes fuient les engagements, regardent la porte quand leurs compagnes veulent imaginer un peu l’avenir.
«- Alors, tu vois ce que je veux dire? C’est une pression pour moi. La pression de savoir que tu crois qu’on sera ensemble dans un an.» (p.139)
Difficile d’avoir des enfants dans ces conditions. Avoir un enfant, c’est miser sur le long terme, l’avenir et les hommes refusent cette aventure. Même la vie à deux n’est guère rassurante.
«Elle affirme que je vis sur une autre planète depuis que je sors avec Juju. Elle dit que je suis devenue une fille qui passe ses journées à traîner au Rockland, à faire du yoga et à coordonner l’arrivée de sa femme de ménage, et que rien de constructif ne ressort de tout ça. «Tu vis aux crochets d’un mec. Tu vas faire quoi s’il te quitte demain matin? Un soufflé au fromage?» (p.53)
Le mal vient souvent du regard de la meilleure amie qui sait tout de la vie, même si elle est tout croche dans la sienne.

Solitude

Nadine Bismuth emboîte le pas de Séfani Meunier, Mélanie Vincelette, Anick Fortin et Sophie Bouchard qui s’attardent à la fragilité des couples qui résistent mal aux ressacs du quotidien.
Les filles cherchent frénétiquement l’âme sœur et s’accrochent. Mais plus le temps passe, plus cela devient difficile. La perle rare a une vie de couple ailleurs et il ne rompra jamais avec sa femme.
«Geneviève s’était tant attardée au récit de chacun des menus détails qui l’avaient amenée à se séparer de Mathieu qu’elles n’avaient pas osé l’interrompre. Il avait été question du comportement ambivalent de Mathieu, des espoirs déçus de Geneviève, du cahotement de leur relation, du constant besoin de Geneviève d’être rassurée et, enfin, le clou dans le cercueil : la sempiternelle hésitation de Mathieu à envisager la cohabitation avec elle.» (p.82)
Au moins, une forme de solidarité existe du côté des femmes. Elles partagent des confidences, se prodiguent des conseils qui tournent mal. C’est beaucoup moins fréquent chez les hommes.

Modernité

Avec ironie et humour, Nadine Bismuth plonge dans le drame des femmes qui n’arrivent pas à s’épanouir aux côtés d’hommes manquant de maturité. Une question, un regard et le monde s’écroule. Elles deviennent un peu hystériques, angoissées, peu sûres d’elles, ne demandant qu’à se faire rassurer par le premier venu. Des candidates idéales pour les thérapies sans fin.
Madame Bismuth a l’oeil perçant, le sens du détail. Elle échafaude des drames sur la banalité du quotidien et possède un sens du détail assez remarquable. L’écrivaine nous entraîne dans l’envers d’une société où tout doit être envoûtant, étonnant et exaltant. Même le quotidien doit devenir un numéro de haute voltige, une frénésie qui brûle chaque seconde. Ce qui importe, ce sont les pulsions et le désir qui coupent le souffle, les amours qui calcinent l’âme et le corps. Autant dire l’impossible.
Méfiez-vous des nouvelles de Nadine Bismuth. Elles troublent, remuent et laissent un goût étrange dans la bouche.

«Etes-vous mariée à un psychopathe?» de Nadine Bismuth est paru chez Boréal Éditeur.

dimanche 15 février 2009

Roman sensuel comme un solo de Miles Davis


Jacques Folch-Ribas ne m’a jamais attiré comme écrivain. Un bref contact en 1989, lors de la publication de «La chair de pierre» ne m’avait guère rassuré. J’avais abandonné après une cinquantaine de pages. Ce qui m’arrive rarement.
Difficile d’expliquer pourquoi des écrivains vous fascinent et d’autres vous laissent sur la touche. Pourquoi vous vous précipitez vers la plus récente parution de Jacques Poulin ou Robert Lalonde et pas vers d’autres. Certains, malgré une œuvre impressionnante, n’arrivent pas à vous accrocher. Les titres? Les sujets? Les hasards des pérégrinations livresques ou la multiplication des parutions… Tout cela fait que des sentiers ne se croisent jamais.
«Les pélicans de Géorgie», un court roman, est arrivé sur ma table. Il était temps d’oser ce rendez-vous, de plonger dans un roman où tout est attente. Folch-Ribas nous entraîne dans la touffeur du sud des États-Unis, dans Savannah où les passions couvent depuis des années.

L’art en question

Un marchand de tableaux voyage. Il rencontre des collectionneurs qui se soucient peu des signatures ou de l’authenticité des œuvres, des obsédés qui achètent par compulsion, collectionnent en avares, sans jamais exposer les objets de leur convoitise. Ils jouissent d’un tableau en solitaire, ne partagent jamais leur plaisir. Ils aiment l’appropriation avant tout, la possession.
«… un privé est un véritable amateur, que l’on nomme aussi un puro dans notre confrérie, un amoureux, un collectionneur, l’homme atteint par le virus de la rareté, voire de l’exclusivité. Qu’est-ce qu’une collection pure sinon le rassemblement de ce que d’autres ne possèdent pas… Le puro déteste les amateurs ses semblables, qu’il préfère ignorer de peur d’être saisi d’une haine meurtrière.» (p.29)
Le hasard fait qu’il retrouve une ancienne amie avec qui il a étudié l’architecture à Paris. Il n’en fallait pas plus pour que la nostalgie s’installe comme un air de jazz obsédant.
«Savannah est devenue ma ville préférée. Elle le fut dès mon premier voyage en Géorgie, sans aucun doute à cause de ma rencontre avec Marie. Ainsi donc, ma compagne en architecture, à Paris, celle que j’avais un peu beaucoup aimée, celle aussi qui avait disparu au bras d’un autre, avait abouti là, à Savannah, où elle semblait exercer la respectable profession de propriétaire, ou gérante peut-être ? d’un de ces établissements très nouveaux que l’on appelait des clubs…» (p.23)
Une histoire d’amour qui prend fin avant d’avoir vraiment commencé. Marie collectionne les hommes comme les œuvres d’art. Notre marchand d’art se berce dans ses souvenirs, amorce une aventure avec Ada, une fille magnifique qu’il tente de dessiner sans y parvenir.

Atmosphère

La chaleur colle à la peau comme un vêtement dans «Les pélicans de Géorgie». Le rythme s’alanguit avec la plainte d’un saxophone qui s’étouffe dans un bar où l’alcool attise le désir. Une sensualité obsédante qui brouille la raison.
«Marie a souri, je crois bien que c’était la première fois depuis que j’étais là, non, la première fois depuis toujours. Une petite chute de la bouche, à droite, minuscule, craintive, de cette ligne si belle et si difficile à dessiner, entre les deux lèvres, elle bouge tout le temps. Une tendresse de la joue aussi, qui m’a surpris, un fard ténu sous la peau si blanche. Elle a encore répété : Patronne de club à Savannah, Géorgie, oui. Puis, comme on condescend à une confidence parce qu’elle ne tire pas à conséquence, elle voulut bien me raconter. Rien. Presque rien. Une bribe de son histoire.» (p.91)
La passion peut-elle se rallumer après tant d’années? Les protagonistes s’avancent sur des braises qui, au moindre souffle, peuvent tout enflammer.
Un roman trouble comme les eaux d’un fleuve où maraudent des alligators. Un goût de sel sur les lèvres, une langueur qui pousse les hommes vers des amours impossibles. Marie, est cette flamme vive qui brûle les téméraires qui s’approchent un peu trop.
L’écriture de Folch-Ribas se fait suggestive, glisse dans des atmosphères étouffantes. Une montée lente, une folie et des espoirs portés par la nostalgie. Une passion qui aveugle et étouffe les personnages.
Comme un air de Miles Davis qui envoûte, une langueur qui retourne l’âme et le corps. Une méditation sur l’art, la vie et le désir. Un roman magnifique de sensualité et de passions refoulées. Tout pour devenir un lecteur fidèle de Jacques Folch-Ribas.

«Les pélicans de Géorgie» de Jacques Folch-Ribas est paru chez Boréal Éditeur. 

http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/jacques-folch-ribas-1612.html

dimanche 8 février 2009

Comment recoller les morceaux de sa vie?

«Ils me disent que Georgie ne reviendra pas, que je suis fou, que je n’arriverai pas à recoller les morceaux. Mais ce n’est pas vrai. Ils me disent: «Regarde autour. Regarde. Il n’y a que la ville, les arbres, les gens et les  chiens.» Ils me disent que je dois m’accrocher à ce qui est.» (p.13)  
Un garçon, perdu dans sa tête, cherche sa soeur Georgie. Elle est disparue, on ne  sait où ni comment. Voilà comment le lecteur plonge dans l’univers de «Joies», un court roman d’Anne Guilbault.
Le frère sillonne la ville, reconstitue les parcours que lui et sa sœur ont empruntés des centaines de fois. Si la vie n’est que circuits qui se croisent, il est possible peut-être de tout recommencer. Il marche, se débattant avec des images et des souvenirs après avoir fui l’institut psychiatrique où sa mère l’a enfermé. Peu à peu le lecteur identifie des moments de bonheur, des tragédies qui ont fait éclater l’enfance comme une boule de cristal.
«Tout ce que je vois m’avale. Je marche sans te chercher réellement. J’essaie seulement de retrouver un peu de toi dans ma mémoire. Car j’ai bien compris- il faut bien que je m’y fasse- tu n’es pas perdue dans la ville mais en moi. Voilà pourquoi je me suis arrêté ici, dans cette ruelle. Je dois me convaincre de la réalité, alors que mon instinct me dit que je me trompe. Je dois me faire violence contre tout ce qui bat en moi. Mon instinct me dit que tu ne peux pas disparaître alors que je sais bien que tu as disparu. Je n’ai plus d’instinct qui tienne quand il s’agit de toi. L’espoir est plus fort que la réalité. Mon instinct se moule à la forme de mon espoir.» (p.39)
Il finit par la cerner cette réalité après avoir plongé au plus creux de son existence et de ses souvenirs.

Puzzle

Peu à peu le lecteur découvre ce qui pousse ce garçon dans son délire. Sa vie est un puzzle à reconstituer avec patience. Il cherche à échapper à cette malédiction qui a emporté sa sœur bien-aimée. Pour empoigner les événements qui ont fait basculer son univers et celui de Georgie.
«Ils se tiennent par la main et tombent, font une étoile, forment une ligne droite, un cercle, Georgie rit, on regarde, on regarde, ils planent, la descente n’en finit plus… Puis les parachutes s’ouvrent: un bleu, un rouge, un jaune. On cherche le vert. Il n’est pas là, le vert ! Il n’y a que le bleu, le rouge et le jaune qui se déploient! Les applaudissements de la foule cessent. Puis: le silence… Le silence… le silence… Mère nous enfouit dans sa jupe. Elle tremble. On nous emmène loin d’elle. Pas assez vite. Son cri nous fait hurler aussi.» (p.80)
Georgie n’arrivera jamais à oublier la mort de son père, cette chute fatidique. Elle finira par tomber ou se jeter en bas d’un pont.
«C’est l’histoire d’un tout petit anéantissement personnel, dans la somme des anéantissements de l’humanité. Rien ne m’avait préparé à la chute de ma sœur, bien que je l’eusse attendue à tout moment. On pense se préparer, prévoir les coups… On se croit sans force et déjà anéanti à la seule idée de la catastrophe… mais quand soudain vient le grand craquement, le métal grince et le vacarme s’engouffre en nous. Nous devenons sourds. La parole s’éteint.» (p.88)
Le narrateur, après avoir épuisé l’errance, après avoir retrouvé Tomasz, l’amant de Georgie, recolle les fragments de sa vie par l’écriture. Il peut enfin s’approcher des drames qui ont soufflé sa vie, imaginer une forme de sérénité.
«Au commencement, je ne sais rien du son de ton corps qui éclate en touchant l’eau. Au commencement, il y a le soleil dans tes cheveux. Et ça fait un mal fou dans la tête, la joie.» (p.94)
Il est possible alors de donner une nouvelle direction à la vie. La fin devient un recommencement.
Une écriture d’une densité qui laisse muet. Un souffle qui vous tient à la limite du supportable, de la douleur et de la beauté. Un roman comme un frémissement,  de la première à la dernière phrase.

«Joies» d’Anne Guilbault est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 1 février 2009

Neil Bissoondath s'attaque aux mensonges

 Qui n’a pas un petit secret qu’il refuse de livrer en public? «Les secrets font tourner le monde: si tout se savait, le monde s’effondrerait», affirme Alec, le personnage masculin de Neil Bissoondath dans «Cartes postales de l’enfer». Il justifie ainsi les mensonges et les fausses représentations qui marquent sa vie.
Toutes les sociétés cultivent les secrets. Ils sont protégés par des décrets et des lois, justifiant des comportements et des actions souvent inacceptables. Ces mensonges refont souvent surface, beaucoup plus tard, quand ils ne peuvent plus nuire aux protagonistes. Ils survivent aux acteurs qui les ont constitués et le travail des historiens, d’une certaine façon, est de faire la lumière sur des décisions privées qui ont marqué le destin d’une nation ou des peuples. L’actualité présente des sociétés financières où le mensonge et la tricherie ont rapporté des milliards à leurs auteurs. Pensons à Nortel et à toutes les cachotteries militaires.
Certaines tragédies couvent pendant des vies. Elles nichent dans des familles que rien ne distingue des autres. Des gens exemplaires, des modèles. Et puis tout est lancé sur la place publique lors d’un procès pour agression sexuelle ou inceste. L’inavouable fait les manchettes. Que ce soit vrai ou faux, des vies volent en éclats, brisent les individus, surtout les victimes.

Vérité ou mensonge

Alec, dans «Cartes postales de l’enfer», joue à l’homosexuel pour plaire à ses clients et réussir comme décorateur. Le succès matériel vient rapidement le combler. Le mensonge est très lucratif dans son cas. Il dirige sa double vie en artiste, se paie des «aventures physiques» avec des prostituées, garde les deux volets de sa vie parfaitement étanche. Personne ne sait, personne ne doit savoir, pas même ses parents et ses plus proches collaborateurs.
Sumintra, fille unique d’une famille d’origine indienne, est plus convaincante que ce parvenu d’Alec. Elle est poussée vers une double vie par ses origines. Elle illustre parfaitement le drame des enfants qui naissent dans des familles d’immigrants qui font tout pour maintenir des coutumes qui perdent leur sens dans leur pays nouveau pays. Sumintra reste une bonne fille avec ses parents traditionalistes, ne contestant pas vraiment les manœuvres de son père et de sa mère qui veulent la voir épouser un fils de bonne famille.
«Les garçons qui s’appellent John, David ou Andy – ou même Kelly – représentent une menace. Contrairement aux Ranjit, aux Ashok ou aux Yogendra, ils sont synonymes d’annihilation. Comme la rotondité de la Terre, la pureté du Gange et la sainteté de Krishna, c’est un sujet tabou, une vérité incontestable.» (p.93)
Ils survivent dans un ghetto et leur fille, résolument moderne, rêve la vie des jeunes de son âge. Le spectre des secrets peut aussi aller de l’anodin petit vice de son père jusqu’à une vie qui ouvre les portes à la schizophrénie.
«La cigarette, c’est un secret entre Sumintra et lui, son seul vice, sa façon d’apaiser la douleur de sa situation d’ingénieur civil dont les diplômes et l’expérience, à son arrivée au pays, se sont révélés si inutiles qu’il a dû, pour soutenir sa famille, se résoudre à vendre des sandwichs à bord d’une fourgonnette.» (p.92)
Sumintra doit rompre avec sa famille ou continuer à faire semblant. Son secret devient existentiel et dépasse l’opportunisme d’Alec. Elle est coincée entre deux mondes, deux façons de faire et de voir la vie. Le drame qui rattrape tous les enfants d’immigrants.

Passion amoureuse

Sumintra et Alec vivent une folle passion amoureuse. Ils accumulent les mensonges, les rendez-vous clandestins, mais la réalité finit par les rejoindre. On n’attise pas les feux de l’amour sans qu’une certaine vérité ne s’impose. Il faut une forme de franchise dans l’intimité pour que le quotidien devienne possible.
Et pourquoi ment-on? Par opportunisme, par faiblesse ou pour éviter de faire mal à des proches? Comment démêler les bonnes raisons de mentir et les mauvaises? Il faut admettre que nous vivons tous un peu en porte-à-faux. Il y a toujours un aspect de soi que personne ne doit connaître.
Neil Bissoondath décrit les grands et petits mensonges que l’on invente pour soi et les autres. J’avoue avoir préféré les tourments de Sumintra à ceux d’Alec. Le personnage est plus solide, plus vrai et moins superficiel. «Cartes postales de l’enfer» touche un sujet qui mine nos sociétés faites d’images et de fausses vérités. La question demeure: jusqu’où devons-nous aller et quelle est la limite à ne pas dépasser. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, semble vouloir redéfinir cette démarcation.

«Cartes postales de l’enfer» de Neil Bissoondath est paru chez Boréal Éditeur. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/neil-bissoondath-690.html

dimanche 25 janvier 2009

Le Mal a-t-il étendu son emprise sur le monde?

Avec la Révolution tranquille au Québec, plus personne ne croyait à la survie du conte et de l’oralité. La population fonçait vers la modernité et tournait le dos à un univers où revenants, géants, sorciers et lutins en menaient large.
En migrant massivement vers la ville, les Québécois abandonnaient récits et contes derrière eux. Ils ne voulaient pas s’encombrer des relents d’une autre époque. Il a fallu des chercheurs comme Aurélien Boivin pour nous redonner nos racines dans certaines anthologies et des citadins audacieux pour redécouvrir les séductions de l’oralité.
André Hamelin, le fondateur des Éditions Planète rebelle qui se consacrent essentiellement au conte, avec quelques téméraires, ont exploré des univers, secoué une tradition qui semblait vouée à l’oubli. Plusieurs courants s’y croisèrent avec Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Fred Pellerin et Jean-Marc Massie.
Peu à peu, le conte retrouva son espace dans l’imaginaire québécois et les événements se sont multipliés, faisant courir les foules. Signalons le «Festival de contes et légendes du Saguenay-Lac-Saint-Jean» qui ne cesse de surprendre et d’envoyer conteurs et menteurs partout dans la région. Fred Pellerin est devenu la figure emblématique de ce renouveau. Le succès du film «Babine» constitue une belle revanche pour tous les conteurs du Québec.

Le temps des loups

Rares sont les écrivains qui s’aventurent sur le terrain du conte et de la légende. C’est pourquoi il faut signaler «Vargöld», ce roman au titre étrange de Jacques Lazure. Le lecteur croirait plonger dans une histoire se déroulant dans un pays scandinave.
Nous sommes au Québec pourtant, en 1828. Un jeune abbé, enseignant au séminaire de Montréal, pratique des exorcismes, ces rituels minutieusement encadrés qui parviennent à chasser les démons qui ont pris possession des hommes et des femmes.
Cette spécialité fera en sorte qu’il soit envoyé en mission par son supérieur dans un chantier de l’Outaouais où anglophones et francophones se côtoient, où un meurtre sauvage que personne n’arrive à expliquer est survenu, Tous affirment que le Diable a pris possession de la forêt. En plus, impossible de retrouver les jambes du mort.
Il faut exorciser le camp, chasser les démons avec de l’eau bénite pour que tout revienne à la normale. Une petite excursion de quelques jours croit l’abbé Verreau qui consent à contrecœur à effectuer ce voyage en forêt.

Fantasmes

Peu à peu nous glissions dans un monde où réel et imaginaire se bousculent. Des scènes d’une violence effroyable surgissent, des loups-garous apparaissent, des mutations surviennent, des diables prennent la forme des loups. L’abbé Verreau s’efforce de cerner le tout avec sa raison, même s’il plonge dans monde où les fantasmes qui traversent les esprits des hommes esseulés se matérialisent pour le pire. 
Le jeune abbé bascule dans une terrible expédition où il affrontera ses pulsions sexuelles et ses doutes. Il s’enfoncera dans un enfer où démons, diables, loups-garous, êtres mi-hommes et mi-bêtes se transforment, errent en cherchant une âme à se mettre sous la dent. Tout se confond, le bien et le mal, l’imaginaire et le réel.
«Antoine chancela, ferma les yeux. Trop d’images le frappaient, le provoquaient, l’anéantissaient. Il avait des visions, encore des visions, toujours des visions. Mais cette fois, ce n’était pas le passé qu’il voyait, ce n’étaient pas les adorateurs de loups, les esprits malsains qui se manifestaient entre la Noël et l’Épiphanie. Non. C’était l’avenir, l’œuvre du démon absent, l’œuvre du Mal en l’homme, l’œuvre de l’homme rendant vivant le Diable.» (p.425)
Antoine Verreau retrouvera le monde civilisé, seul survivant de cette terrible aventure, après avoir perdu son équilibre mental.

Le règne du mal

Faut avoir le cœur solide pour traverser cette épopée étrange où les rebondissements sanglants se bousculent. Le lecteur réchappe de cette lecture en se demandant si Jacques Lazure n’a pas raison. Encore une fois le conte réussit à démontrer, aujourd’hui comme hier, que le pire ennemi de l’homme reste l’homme. Le Mal n’est plus refoulé dans des temps anciens pour rassurer l’auditeur. Le bien échoue dans sa mission. Le Malin s’approprie le présent, s’accapare du futur pour guider les actes des humains.
Comment expliquer autrement la présidence de Georges W. Bush, la poussée sanguinaire d’Israël dans la bande de Gaza, l’Irak, l’Afghanistan et ces conflits où des populations entières sont massacrées comme rarement on l’a fait dans l’histoire.

«Vargöld, Le temps des loups» de Jacques Lazure est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 18 janvier 2009

L’identité porte plusieurs œuvres québécoises

La lecture de «Mon pays métis», l’essai de John Saul à peine terminée, je plongeais dans «Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge. Ce roman suit «La rivière du loup», un ouvrage qui permettait à l’écrivaine de Québec de rafler le prix du Gouverneur général en 2006 et de flirter avec plusieurs prix littéraires prestigieux. Une plongée dans un univers trouble où un fils et un père se confrontent sans jamais se quitter. Un lien filial que rien ne peut briser, pas même les interventions de la société bien pensante. 
Si John Saul affirme que les Canadiens nient leur ascendance métisse dans son dernier ouvrage, Andrée Laberge, elle, entraîne le lecteur dans la ville de Québec, présente des personnages qui cherchent un ancrage qui mettrait fin à leur errance identitaire.
Une jeune femme fouille ses origines. Malgré toutes les négations de sa mère, elle possède des traits amérindiens qui ne mentent pas. Cette mère, au bout de son âge, réalise qu’elle a été flouée par les fables de l’Église catholique. Elle entend tout changer avant qu’il ne soit trop tard. Un itinérant lui donne la réplique dans un chant d’amour improbable, empruntant les mots du «Cantique des cantiques», ce poème d’amour et de sensualité biblique. Un infirmier, orphelin sans lien de famille, éprouve une compassion démesurée pour ses patientes âgées, ce qui ne manque pas de lui attirer bien des embêtements. Le tout sur fond d’affrontements violents entre policiers et manifestants lors de la tenue du Sommet des Amériques à Québec. La capitale nationale est alors une ville occupée où les déplacements sont surveillés et contrôlés.

Débat politique


La question identitaire hante le monde politique québécois depuis des siècles. Après deux référendums, les Québécois hésitent entre l’idée de faire du Québec un pays et le vaste territoire canadien où se mélangent les cultures. Si John Saul effleure cette réalité dans son essai, il se garde bien d’aller au bout de ce questionnement. Son «grand cercle inclusif», l’idéal canadien d’obédience autochtone qui le fascine, aurait vite fait de broyer les minorités et de les assimiler. Dans la réalité, il y a toujours polarisation. Les majorités imposent toujours leur culture aux minorités plus vulnérables.
Cette question, plusieurs écrivains l’ont fouillée. Ying Chen, une écrivaine d’origine chinoise, ira jusqu’à nier ses origines. Dany Laferrière en fait la trame de fond de «Je suis un écrivain japonais». Pensons aussi à Sergio Kokis, à son personnage ballotté entre l’enfance et un présent instable dans «Le retour de Lorenzo Sanchez». Daniel Castillo Durante, dans «Un café dans le Sud», nous décrit un fils tiraillé entre une vie qu’il a construite en s’installant au Québec et l’autre, celle qu’il a quittée, pensant l’oublier à jamais.
Louis Hamelin dans «Le joueur de flûte» suit Ti-Luc Blouin, un jeune homme instable qui part à la recherche de son père sur la côte ouest. Dans «Cowboy», Blancs et Autochtones se côtoient pour le meilleur et le pire, illustrant une cohabitation difficile sous plusieurs aspects, contredisant les propos de Saul.

Une constance

La question de l’identité continue d’imprégner l’univers de plusieurs écrivains. Certains la placent au cœur même de leur projet d’écriture. Victor-Lévy Beaulieu étonne avec des personnages mutilés et handicapés qui illustrent de façon pathétique cette question. Tous sont victimes de cette incapacité à se doter d’un pays. Le pays rêvé adviendra peut-être avec le geste de ces mutilés qui prennent d’assaut l’Assemblée nationale à la fin de «La grande tribu», menés par Bowling Jack.
Et comment expliquer l’omniprésence de l’enfant dans notre littérature sinon par cette carence? Il faut se tourner vers cette question d’identité, d’incapacité à s’ancrer dans la société, de perte d’innocence pour comprendre le refus de vieillir de Bérénice dans «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Dans «Le fin fond de l’histoire», Andrée Laberge présente un roman exigeant où forme et sujet se confondent. Les personnages se bousculent sans pouvoir emprunter une même direction, comme s’ils étaient marqués à jamais par cette carence identitaire qui a fissuré leur vie. Le puzzle est fascinant, l’écriture complexe, mais le lecteur s’attache à ces figures, particulièrement à cette vieille femme qui se croit enceinte et s’invente un amour d’adolescente pour tout recommencer, même si le corps flanche.

«Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/196.html