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mercredi 29 janvier 2025

DELISLE SURPREND AVEC VEUVE CHOSE

JEAN-MARC est encore étudiant dans Veuve Chose de Michael Delisle. Il rêve de devenir architecte et de construire du solide. Tous les jeunes doivent choisir entre le service militaire d’une durée de douze mois ou la corvée où tous sont bourreaux d’un jour. Ils doivent passer la cagoule au condamné, le nœud coulant et actionner le mécanisme de la trappe. C’est vite fait, et la vie continue. Il reste peut-être un traumatisme. On ne tue pas sans ressentir une forme de culpabilité.

 

Michael Delisle m’a étonné avec Veuve chose, son tout récent roman. Ses derniers ouvrages tenaient du récit personnel et voilà qu’il nous plonge dans une dystopie où il maintient des liens avec le monde présent, bien sûr. Une société qu’un despote mène au doigt et à l’œil. Herménégilde Folch (un prénom bien québécois) règne sans partage. Il a fait ses classes dans la mafia avant de diriger le pays… Les drones sillonnent le ciel parce que le chef doit savoir ce qui se trame un peu partout.

Et il y a cette troisième option que personne ne choisit. En s’abstenant d’être le bourreau d’un jour et de faire son service militaire, le jeune devient le tuteur du criminel. Autrement dit, il est responsable du condamné et doit répondre des actes de ce dernier. Jean-Marc se rend à la prison et il se retrouve devant une célèbre meurtrière accusée d’avoir empoisonné ses enfants. Sous un coup de tête, il refuse et doit s’occuper de cette femme et d’un tueur à gages. 

Tout est vite réglé et les voilà en cavale dans le pays. Veuve chose, un surnom bien sûr, s’avère fort intéressante et Joe LePied, qui a reconnu avoir exécuté au moins quarante-sept personnes, n’est pas un mauvais bougre. 

 

«Chaque jour que je passe avec ces deux-là, mon compte s’alourdit. Vol de voiture. Vol de sandwichs. Je les soupçonne de faire du mal dès que j’ai le dos tourné. Un jour ou l’autre on va m’arrêter pour leurs délits, et ce sera mon tour de trotter vers la potence avec les entraves aux pieds.» (p.47)

 

Le jeune homme s’attache pourtant à ces deux lascars qui ne sont peut-être pas les monstres que l’on a décrits dans les médias. Ni l’un ni l’autre ne renient leurs actes, mais, dans une telle société, les pires criminels ne sont pas ceux qui croupissent en prison. Ça nous rapproche d’une certaine actualité. Comment être du côté des honnêtes gens quand toute l’économie du pays repose sur le trafic des drogues, de l’alcool et du jeu. 

 

FAMILLE

 

Le trio pourrait devenir une sorte de famille un peu dysfonctionnelle quand Joe disparaît mystérieusement. Ce tueur était à l’emploi de l’État et exécutait les basses œuvres du pouvoir avant sa disgrâce. 

Veuve chose et Jean-Marc doivent survivre et les deux se dénichent un travail dans une usine où ils fabriquent des gâteries et des sucreries. Un boulot répétitif, peu valorisant, éreintant, mais que faire d’autre quand la société a fait de vous des parias?

Jean-Marc a laissé entendre au responsable du camp que Veuve chose est sa mère et tout semble aller vers le meilleur des mondes. Surtout quand il croise une jeune femme (peut-être un homme) qui l’attire et qui vit dans ce camp avec sa famille depuis toujours. 

 

«Dès que nous sommes seuls, Myl et moi nous embrassons avec fièvre et rapidement les salopettes tombent. Je passe ma langue sur sa gorge comme j’ai toujours voulu le faire. Je mords son épaule. Myl souffle et halète, suce mon cou, agrippe mes flancs. Je baisse mon caleçon aux chevilles. À côté, Myl fait de même et ce n’est que lorsque mon visage descend sous son nombril que je vois son sexe. Myl est une fille. Eh ben. Je m’enfonce et l’avale. L’odeur est grisante. Le goût est grisant. Le plaisir est grisant.» (p.111)

 

Jean-Marc comprend surtout que Veuve chose est une sacrifiée, qu’elle a été vendue à un pêcheur par sa mère. Une femme de tête, qui aimait les sciences et qui avait tout pour tracer son chemin dans une société normale ou ce qui lui ressemble. Et que faire quand on est donnée à un homme qui ne se lave jamais et qui vous traite comme un sac de vidanges?

 

AVENTURE

 

Chacun parvient à se débrouiller et à en tirer parti, mais Jean-Marc souhaite autre chose. Il ne passera pas sa vie à faire ce travail abrutissant malgré tout l’amour qu’il porte à Myl. Il part avec Veuve chose quand la jeune femme refuse de quitter les siens par peur, par crainte de l’inconnu certainement. Jean-Marc ne sait ce qui l’attend et Veuve chose choisit de servir dans une congrégation de religieuses qui se consacrent aux plus démunis et aux dépossédés de la terre. 

 

«— On nous a affectées aux dispensaires du Nord. Je serai du détachement qui débarque à Cap Jaffo. La capitale mondiale des toxines et la plus forte concentration de maladies infectieuses dans l’univers. Chaque saison, on perd une des nôtres. Les autres iront mourir gelées dans le nord du Nord. Il faut être endurante, mais c’est une bonne œuvre. Et il y a des sphaignes à découvrir, des baies sauvages à tester. Je me suis fait une amie, elle s’appelle Gaétane. Gaétane Osaka. C’est la première fois que j’ai une amie. Je devrais peut-être avoir honte de dire ça, à mon âge, mais bon. Je ne suis pas seule, Gaétane est avec moi.» (p.138)

 

Une fable que Veuve Chose, sur fond de réalité, que Michael Delisle pousse dans ses derniers retranchements. Et, en tournant les pages de ce court roman, il est tentant de mettre des noms sur certains personnages. C’est le propre de la fiction que de flirter avec le présent tout en prenant ses distances. Surtout en ce qui concerne ce fameux Herménégilde, un criminel, un fraudeur qui assouvit sa passion de contrôle et de tout diriger. 

Une société polluée, souillée, saccagée, où les gens sont forcés de travailler dans des conditions pitoyables. C’est peut-être ce qui nous attend avec les étranges individus qui se font élire à la tête de nos gouvernements et qui font tout pour satisfaire des pulsions qui n’ont rien à voir avec la philanthropie. 

Il y a peut-être le Nord où il est possible de tout recommencer et de rêver un monde meilleur, d’échapper à la misère et aux contrôles. 

 

«Je sais qu’on engage au Nord. L’État veut peupler les grands espaces. On verra ce qu’il y a pour moi. Ce ne sera pas l’architecture, mais je trouverai moyen de travailler à la construction de quelque chose.»  (p.131)

 

Jean-Marc retrouve un ami sur le navire et un emploi. Il fera le lien entre le Nord et le Sud et peut enfin imaginer une vie un peu plus normale, même s’il doit oublier son rêve de dessiner des maisons et de créer du beau dans toute cette laideur. La planète est devenue un dépotoir, mais tout s’arrange dans le meilleur des mondes, pourrait-on affirmer avec un certain Candide. 

J’ai embarqué dans cette histoire qui nous rapproche de l’humain, de l’empathie, d’un milieu où les femmes et les hommes doivent se débattre pour survivre, allant jusqu’à tuer parfois. C’est grinçant, étonnant, fascinant et surtout, ça sonne juste, ce qui est le plus important. Et que dire de l’humour de Delisle?

C’est ce qui nous attend si on continue de faire confiance aux criminels qui proposent un retour dans le temps qui ne peut être que catastrophique et qui va détruire tout ce qu’il y a de plus précieux : l’intelligence, la compassion et l’entraide entre les humains. 

 

DELISLE MICHAEL : Veuve chose, Éditions du Boréal, Montréal, 152 pages.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/veuve-chose-4080.html

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