DANS La femme de Montréal, Pauline Vincent emboîte le pas d’une jeune frondeuse qui rêve de devenir journaliste. En 1934, c’était encore et toujours un métier d’homme. Quelques femmes se faufilaient dans les médias pour rédiger des horoscopes ou des courriers du cœur, mais elles ne le faisaient par la porte arrière. Claude Dufresne est prête à tout pour faire sa place au quotidien La Laurentie. Madame Vincent revient au roman après La femme de Berlin, le premier volet de ce triptyque paru en 2004 et repris dans une version remaniée en 2017. La femme de Lisbonne complétera l’aventure. L’écrivaine l’affirmait à l’émission de Radio-Canada animée par Catherine Doucet lors de son passage au Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
La candidature de Claude n’est pas retenue par les patrons du journal quand elle se présente devant eux. Ne reculant devant rien, elle change son nom, se déguise en homme et décroche le poste convoité. Pas facile de cacher sa féminité et de porter perruque et fausse moustache dans un monde de mâles. Claude Dumesne parvient à se faire rapidement une réputation dans le milieu de l’information par la qualité de son travail et son sérieux.
« Déterminée, elle s’était alors ingéniée à trouver un moyen pour réaliser son rêve de devenir journaliste sans l’aide de son père. Après plusieurs jours à échafauder des scénarios, une seule option l’avait satisfaite : forcer la porte de La Laurentie. Et, c’est ainsi qu’était né son alter ego, Claude Dumesne, jeune homme enthousiaste et entreprenant. » (p.24)
S’amorce une vie trépidante pour cette femme volontaire, frondeuse qui ne recule devant rien. Elle est rapidement ciblée par l’Ordre de la Patrie, un mouvement qui vise l’épanouissement des Canadiens français en infiltrant tous les milieux pour influencer le cours des choses. Une confrérie avec ses rites, ses codes qui contrôlent ses membres et ne tolèrent aucune dérive. Ce n’est pas sans faire penser à l’Ordre de Jacques-Cartier qui a connu un certain succès au Québec et dans différentes parties du Canada à la même époque et qui a œuvré pendant une quarantaine d’années pour contrer l’action des francs-maçons entre autres.
L’Ordre de Jacques-Cartier, plus souvent appelé « La Patente », était une société secrète qui a vu le jour en 1926. Les dirigeants promouvaient les intérêts religieux, sociaux et économiques des Canadiens français partout au Canada et aux États-Unis. À l’avant-garde des luttes linguistiques et nationalistes jusqu’aux années 1960, l’organisation a infiltré plusieurs milieux. Au plus fort de sa popularité, l’Ordre comptait environ 12 000 membres.
La montée du nationalisme québécois à partir des années 60 et des différends idéologiques feront que le mouvement se sabordera en 1965. À noter que l’Ordre de Jacques-Cartier ne comprenait que des hommes dans ses rangs et qu’il était particulièrement rigide et contrôlant. Il reposait sur une structure à caractère militaire avec ses commandeurs que l’on suivait aveuglément.
POLITIQUE
Pauline Vincent prend ses distances en décrivant un Rosaire Favreau, avocat, qui se laisse séduire par le fascisme qui en mène large à l’époque, surtout en Italie avec Benito Mussolini qui a reçu l’aval du pape Pie XI. On peut faire des liens avec Adrien Arcand au Québec qui prônait cette idée politique. Il se montrait farouchement fédéraliste, ce qui n’est pas le cas du personnage de madame Vincent. Rosaire Favreau, un homme sans foi ni loi, tout comme Mussolini, rêve d’implanter une dictature au Québec en réalisant l’indépendance. Il entraîne secrètement une milice dans les Laurentides.
La jeune journaliste accepte l’invitation de ce mouvement, plus par curiosité que par conviction, et se soumet à un rituel un peu étonnant.
« On frappa un coup. Tous les nouveaux frères se mirent au garde-à-vous. Claude reçut une feuille qu’elle lut avec aplomb.
— Moi, Claude Dumesne, en présence de Dieu et devant cette honorable assistance, je jure n’être mû par aucun motif qui ne servirait pas uniquement la gloire de la sainte Église catholique, apostolique et romaine et le bien de mes compatriotes. Je m’engage solennellement à observer la discrétion la plus absolue sur tout ce qui, directement et indirectement, concerne l’Ordre de la Patrie. Si, par malheur, j’oublie le serment que je viens de prononcer, je reconnais mériter pleinement la peine encourue en cas de félonie : être rejeté dans la compagnie infamante des hommes sans volonté et sans honneur. Ainsi, que Dieu me vienne en aide et qu’il m’aide à garder le secret de mon obligation. » (p.50)
Pauline Vincent, toujours lors de la même entrevue à Radio-Canada, précisait que ce rituel venait de l’Ordre de Jacques-Cartier. « Tout le reste est pure imagination », devait-elle préciser.
La journaliste prendra conscience très vite que cette société est intransigeante et misogyne, réduisant les femmes à leur rôle de génitrice et de servantes au foyer même si elles sont de la bourgeoisie.
Elle comprend rapidement le jeu de Rosaire Favreau, un homme charismatique et populaire, qui entend prendre le contrôle de l’Ordre de la Patrie, imposer une dictature à l’image de celle qui existe en Italie après son élection comme chef de parti
Claude met la main sur un document où Favreau explique ses intentions et son programme politique. Reste à savoir qui est le grand commandeur qui lui a fait prononcer son serment lors de son initiation.
ACTION
Le récit de Pauline Vincent se transforme en thriller avec des rebondissements inattendus. Favreau ne recule devant rien et perd les pédales quand il se sent démasqué. Malgré les dangers et les menaces, Claude réussira à savoir qui se cache sous la cagoule du grand commandeur.
La femme de Montréal nous permet de voir Claude retrouver sa féminité et de vivre l’amour avec un collègue, sans les carcans et les interdits de l’époque, ce qui est assez étonnant. Il faut dire que la jeune journaliste vient d’un milieu aisé et beaucoup plus libre que celui où les curés exerçaient un contrôle quasi total sur leurs ouailles.
Le texte nous entraîne dans les années trente, juste avant la Deuxième Guerre mondiale, dans un Québec à la fois traditionnel et religieux qui cherche à s’affirmer et à résister aux diktats d’Ottawa. Les réformistes devront attendre les années soixante pour s’imposer dans ce que nous avons nommé la Révolution tranquille.
Un magnifique portrait des années 30 avec des héros qui secouent des tabous et apportent un peu de lumière sur La grande noirceur où Maurice Duplessis a fait la pluie et le beau temps. Un texte vivant et surtout des personnages qui vous séduisent ou vous rebutent.
Pauline Vincent n’a rien perdu de sa vivacité et elle nous plonge dans l’action et brosse un moment de la société québécoise qui garde une incontestable opacité. Elle a encore bien des secrets à nous révéler, j’en suis convaincu.
Le roman est un art nécessaire qui nous apprend à mieux comprendre notre passé et à être lucides devant tout ce qui agite le présent. Surtout avec la plus folle des fictions qui fait courir tout le monde aux États-Unis derrière un certain Donald. Il n'y a pas que dans les romans où la fiction dépasse la réalité.
VINCENT PAULINE : La femme de Montréal, Éditions Alire, Lévis, 314 pages.
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