UN SALON DU LIVRE permet toujours de belles rencontres. Après deux ans d’absence, c’était le bonheur que de se faufiler dans la foule à Jonquière et de flâner dans les stands. J’y ai passé d’agréables moments avec Jean-François Caron, Mustapha Fahmi, Marjolaine Bouchard, Charles Sagalane, Hervé Gagnon et Guy Ménard. J’y ai fait des acquisitions aussi, le récit de Ève Michèle Tremblay, Le voyage de Madame Davenport, une aventure incroyable, une traversée du parc des Laurentides, en 1871. Et j’ai croisé Mélanie Minier, une écrivaine de Jonquière qui présentait un premier roman pour adulte et son livre jeunesse. Une rencontre sympathique, naturelle et spontanée. Quelques jours plus tard, je recevais Cascouia par la poste. Comme je venais de terminer le dernier opus de Keven Lambert, Que notre joie demeure (un autre achat lors de mon passage au salon) j’ai plongé dans cette histoire qui m’a poussé vers le lac Kénogami, dans une zone de Larouche. Un titre évocateur pour quelqu’un du Saguenay ou du Lac-Saint-Jean.
Rapidement, ce roman qui s’ancre dans un secteur de villégiature, tout près de la grande baie de Cascouia, m’a fasciné. Un lieu en mutation, comme partout autour des plans d’eau, où les chalets qui s’animaient pendant l’été deviennent des maisons que les propriétaires habitent à l’année. On parle d’étalement urbain. Plus simplement, les gens cherchent la paix, la tranquillité et un espace où respirer sans avoir les deux pieds sur le ciment ou un carré d’asphalte. De l’eau, un horizon le plus large possible et la chance de voir les saisons glisser l’une dans l’autre. De la qualité de vie avant tout, malgré les déplacements et les engorgements de la circulation. Mais à Larouche, ces inconvénients sont de la fiction.
Un univers familier, comme si ceux que je croise lors de mes promenades ou encore quand je vais au dépanneur, se retrouvaient dans ce récit. Je connais le milieu dans lequel Sarah Bouchard, le personnage principal de ce roman réaliste, tourne en rond. Un monde où des gens savent tout des voisins, mais se taisent. On parle peu ou pas, mais tous sont prêts à rendre service et à donner un coup de main. Des lieux fréquentés par Lise Tremblay on dirait. J’ai suivi Sarah sur la rue Saint-Dominique à Jonquière, cette rue où les estaminets se multipliaient à une certaine époque, quand j’habitais près la rivière aux Sables, du côté du mont Jacob. Des scènes surréalistes se répétaient. Les vendredis soir, en hiver, on voyait de jeunes femmes en jupes écourtées, bras nus et décolletés plongeants, cheveux au vent courir d’un établissement à l’autre par moins trente degrés Celsius. Une chorégraphie étrange. Les danseuses bravaient les engelures pour éviter de payer des frais de vestiaire.
RETOUR
Sarah revient dans la région après vingt ans d’exil à Montréal. Elle s’installe dans le chalet familial qu’elle a hérité à la mort de son père, il y a plusieurs années. Tout est à l’abandon. Pas facile d’arriver comme ça en plein hiver, dans une bâtisse où le froid et l’humidité se sont incrustés. Elle doit aller chez le voisin pour « emprunter » discrètement quelques bûches pour rallumer le vieux poêle. Sans compter les problèmes d’eau potable. Ça m’a rappelé la grande maison du rang Saint-Joseph à la Doré à mon retour de la ville. Pas de bois de chauffage, l’eau que l’on devait aller chercher au village et l’air et la neige qui se faufilaient au bas des portes. La glace le matin dans le bassin qu’il fallait casser. Et quand je trouvais un chicot sec dans la forêt toute proche, je le débitais et la chaleur finissait par se recroqueviller dans cette maison délaissée depuis des années.
Tout va de travers pour Sarah. Elle rentre parce qu’elle n’en pouvait plus de la ville et peut-être pour se donner une chance de raccommoder son existence.
« J’avais quitté le Saguenay pour Montréal il y avait maintenant quinze ans, déterminée à devenir quelqu’un. J’allais m’inventer une vie disciplinée, rangée ; j’allais me faire des coiffures de madames de Chicoutimi, me mettre des tailleurs et des talons hauts comme on plaque le bonheur d’une autre sur soi. Dès que j’avais eu franchi le pont Jacques-Cartier, ma vie dans ma région natale m’était apparue tellement lointaine que ça avait été presque comme si elle n’avait jamais existé, comme si tout avait été effacé. » (p.13)
Nous plongeons dans le froid avec l’impression de s’allonger tout doucement dans les falaises et que l’air devient solide et palpable.
FAMILLE
Tous les personnages de Mélanie Minier plaisantent sur tout en masquant les drames qu’ils vivent.
Je m’étais réfugié dans cette maison de La Doré, pour écrire. Ce fut tout le contraire. Je n’ai jamais pu y secouer une phrase. Tous les soirs, quelqu’un poussait la porte et s’installait dans la berceuse devant le poêle. Et c’était parti jusqu’au milieu de la nuit avec les confidences. J’écoutais, accumulais des anecdotes, des récits qui m’ont servi plus tard. Tous inventant des histoires comme Wilfrid qui masque le réel et évite ainsi d’effleurer les points sensibles. Des hommes qui refoulaient tout et qui ravalaient comme on dit. Ils apportaient toujours une caisse de bière parce qu’il fallait l’alcool pour que des bouts de vérité sortent et qu’une larme coule.
Des drames, il y en a eu dans la famille Bouchard. Le père que tout le monde connaissait, un taiseux qui aimait les fêtes, est mort de façon tragique. Madeleine, la mère, une femme qui faisait tourner toutes les têtes, semble avoir plongé dans une terrible dépression. Michel-André Bouchard, le père de Sarah, a été retrouvé dans l’eau, au bord du lac. Rien n’est clair pourtant et la fille refuse de confronter ce drame parce que c’est elle qu’elle risque de trouver, la fuyante qui ne peut jamais s’abandonner et qui se sent toujours menacée.
Des images surgissent, des moments de son enfance, son grand frère Vincent qui s’est exilé aux États-Unis sans jamais donner de nouvelles. La mère aussi qui reste une présence évasive.
« Je me revoyais, à onze ans, entrer en hésitant dans la chambre sombre de ma mère, après la mort de papa. Une peur viscérale me lacérait le ventre chaque fois que je poussais la porte, ignorant l’État dans lequel je la trouverais. Je tournais la poignée lentement, jusqu’à ce que le mécanisme claque et que je ne puisse plus reculer.
— Maman ? Maman, tu dors ?
Parfois, elle ne répondait pas et je la voyais ravagée. Parfois aussi, les bonnes journées, elle se retournait et me faisait signe de venir m’asseoir près d’elle, en tapotant une petite place circulaire sur le matelas. Je m’assoyais, raide et tendue.
— Tu pleures, maman ? je disais, dans un filet d’air.
— Maman est juste fatiguée. » (p.54)
Les souvenirs, que Sarah le veuille ou pas, parviennent à la secouer dans son présent. Elle finira par se surprendre dans le reflet d’une vitre, savoir pourquoi elle n’est pas capable de s’abandonner à la tendresse, pourquoi elle a décidé de revenir sur les lieux de son enfance. Et cet amour tout écrianché qu’elle a vécu avec Jimmy qui n’est pas cicatrisé. Un beau gâchis.
« Ce soir-là, on fait l’amour en silence. Après, j’attends que Jimmy soit endormi et je retourne chez moi. Je n’y ai pas mis les pieds depuis un mois. Il veut que je sois à lui. Et moi je ne sais pas comment faire. » (p.36)
RÉNOVATION
Elle entreprend de rénover le chalet, à grands coups de masse dans les cloisons, dans une sorte de rage, pour effacer tout de son ancienne vie peut-être. Et des amis de son père surgissent pour donner un coup de pouce. Wilfrid et Hervé. L’un parle sans arrêt tandis qu’Hervé vide ses bières. Jean-Martin, le voisin arrive et les travaux semblent vouloir prendre la bonne direction. Sarah est dépossédée de son projet et tous s’en mêlent. Elle écoute et des bribes de son passé refont surface. C’était il y a quinze ans. Son père est encore là dans tous les esprits. Sa présence. Certaines fêtes. Et son frère qu’elle ne pensait jamais revoir, vient frapper à la porte. Tout le monde veut protéger Sarah, lui venir en aide et lui prodiguer des conseils.
La jeune femme est un véritable hérisson, incapable de tendresse, de gestes amoureux malgré sa terrible solitude. Jean-Martin l’attire, mais lui aussi couve un drame qu’elle finira par découvrir. Une autre voisine, Caroline, s’occupe seule d’un enfant autiste. Des éclopés, des poqués qui cernent peu à peu les tragédies qui ont bouleversé leur existence.
Un roman vrai, des tranches de vie qui semblent découper dans le réel et qui sonnent tellement juste. Pas comme le vieux piano désaccordé de sa grand-mère que Sarah mettra bien du temps à apprivoiser.
Un retour en région ne se fait jamais facilement, surtout quand on doit faire face à ses peurs, des malheurs et tout ce que l’on a cherché à oublier en fuyant en ville ou en se perdant aux États-Unis comme Vincent.
Mathieu Villeneuve dans Boréalium tremens raconte une histoire similaire. David Gagnon doit lui aussi se coltailler avec des hantises, des secrets que personne ne veut effleurer, une maison à l’abandon qu’il pense rénover.
L’écrivaine sait entretenir un certain mystère autour de Sarah, ses sautes d’humeur, nous dévoilant le drame d’une jeune femme qui se protège de tout par crainte de se faire mal. Peu à peu, la vie fait ce qu’elle doit.
Des scènes d’une justesse formidable, d’une vérité qui m’a fait revenir dans mon village où tous se connaissaient et tentaient de vivre sans bousculer les autres, même s’il y avait des fanfarons qui se mêlaient de tout.
Mélanie Minier a le sens du détail, d’un mot qui tombe et fait des cercles autour comme une pierre dans l’eau. Lentement, l’histoire de Sarah et la mort de Michel-André se précisent avec la poussée du printemps. Jour après jour, on finit par comprendre le geste du père, son problème avec le réel et, peut-être aussi, la mère qui s’est retrouvée coincée entre les deux meilleurs amis du monde qui l’aimaient.
Un très beau roman qui nous emporte dès la première phrase. J’ai souri en écoutant Wilfrid, tendu l’oreille devant les énoncés jamais terminés de Vincent ou encore les regards de Jean-Martin. Tout vibre et palpite derrière le silence des villageois qui baissent la tête pour ne pas ouvrir des blessure qui ne sont pas cicatrisées. Une langue riche, des personnages fascinants et une appropriation du territoire qui fait plaisir. Mélanie Minier possède un sens rare du dialogue, de la description et mélanger le passé et le présent comme elle le fait nous permet de cerner son drame tout doucement. Un ouvrage qui m’a touché particulièrement, parce qu’il m’a rapproché de mes premiers romans dans lesquels je tentais, tout comme elle, de mettre la main sur des moments de ma vie pour en examiner toutes les coutures.
MINIER MÉLANIE, Cascouia, Éditions LÉMÉAC, Montréal, 176 pages.
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