J’AI LU PLUSIEURS FOIS le recueil de Benoît Pinette, allant et revenant sur les traces que l’auteur nous offre dans La mémoire est une corde de bois d’allumage. En poésie, nous devons secouer les mots et les images pour en savourer toute la quintessence. Tout ça pour sentir les reptations du texte, les déplacements, les regards et le tissage qui tient les vers dans un grand tout. La poésie est le langage de l’intime, du caché, du refoulé et une tentative souvent de calmer les peurs que l’on traîne dans ses bagages. Ces vers dissimulent tout autant qu’ils révèlent. Une évocation heureuse devient une palpitation de l’être. Je le répète (je pense à Carnet du vent de Carol Lebel) il y a les strophes du livre avec son choix de mots et les autres, les embusqués qu’il faut imaginer parce qu’ils s’étiolent dans l’univers de la page blanche. Lire de la poésie ou en écrire, c’est se mesurer au visible et tenter de concilier le présent et le passé, le réel marqué par les « bleus » de l’enfance.
Le titre du recueil de Benoît Pinette est fascinant, c’est pourquoi j’ai tourné autour comme on le fait d’une sculpture pour en regarder toutes les facettes. La mémoire, ce lieu de souvenirs se transforme en provision d’éclisses de bois secs qui s’embrasent rapidement et permettent aux flammes de s’attaquer aux quartiers de bouleau ou d’érable. Le bois d’allumage crée l’illusion d’un petit brasier qui peut réchauffer toute la maison, c’est l’étincelle hésitante d’abord avant le vrai feu, celui qui procure le confort et le bien-être. Surtout au moment où la nuit s’installe et que les escarbilles montent comme des lucioles vers les étoiles. C’est peut-être aussi renouer avec des temps très anciens où nos ancêtres se regroupaient autour du feu pour manger, raconter la journée, des chasses fabuleuses et éloigner les bêtes rôdeuses. C'était le moment où la parole devenait l'arme la plus précieuse.
Combustion, chaleur, flammes qui permettent de revenir dans les ravages de l’enfance (j’utilise le mot en pensant aux traces que laisse l’orignal dans la neige l’hiver), certains moments traumatisants que le poète a dû refouler pour s’aventurer dans le monde adulte.
Tout le recueil est là dans ce beau titre, cette image percutante qui nous entraîne dans la campagne, les grands espaces. Les citadins ne connaissent peut-être plus cette expression.
GLISSEMENTS
Trois temps pour ce recueil. Je sais déjà ne rien comprendre dans un premier élan, l’équilibre des époques et enfin Le droit à l’oubli permettent à Pinette de s’avancer dans plusieurs directions narratives. Il y a le « je » qui porte souvent le passé, le « tu » qui le pousse dans le présent. Et un « nous » un peu plus tard et même un « vous » quand les enfants l’entourent. Une belle manière d’apprivoiser ses peurs, les traumatismes et des instants dissimulés comme des tisons dans la cendre. Les flammes, les étincelles, la fumée, l’écorce s’imposent dans les poèmes et servent à cerner les souvenirs et à les raviver.
flasbacks
à perpétuité
la mémoire est une corde
de bois d’allumage
la prison d’origine
l’armure d’écorce
je me pars une collection
de barreaux
sciés (p.61)
Nous y revenons, je ne cesse de le répéter. Les premières années s’incrustent et forment l’adulte. Ce peut-être un fardeau, un poids terrible qui vous fait claudiquer et coupe le souffle, ces moments qu’il faut secouer pour nous « décrochir » l’être et calmer ses peurs. Cette « prison d’origine », l’armure qui doit protéger peut s’enflammer et se retourner contre soi. Parce que devenir un homme ou une femme, c’est accepter son passé et le transformer. Beaucoup d’œuvres reposent sur cette visite de l’enfance. Je pense à Victor-Lévy Beaulieu, Michel Tremblay, Michel Marc Bouchard, Robert Lalonde, Gaston Miron et je n’ai guère pris d’autres directions dans mes essais et mes fictions. Les plus belles années reviennent sur la découverte du monde à la petite école de rang. Des moments qui ont permis de m'échapper de la cage familiale.
la cour est immense
je classe les départs
par ordre de malaise
aujourd’hui m’espère
je plaide l’indifférence
entre les bombes à faire taire
et le tableau à nettoyer
comment
vais-je pouvoir
contenir l’enfance
dans mon sac d’école ? (p.19)
Toute la première partie est un inventaire où le poète examine ce qui a constitué son enfance, l’héritage en quelque sorte. Le glissement du « je » au « tu » permet le recul nécessaire, provoque un dialogue qui nous pousse dans le présent. Les premiers moments, les grands et petits drames, les mots qui blessent et le durcissement de l’être pour faire face.
je confectionne des armures
que je porte en permanence
le voile s’épaissit
aux claquements de porte
et j’existe
à côté de mon âge
sur un grand belvédère
où le temps n’abandonne personne (p.28)
Qui sommes-nous ? Des moments que l’on voudrait oublier, des traumatismes encore bien chauds dans l’âge adulte, un puzzle qui tient par miracle ? Le poète jongle avec le dur désir d’être malgré les hésitations et les claudications, les élans cent fois repris autour de blessures qui ne cicatrisent pas. L’écrit va-t-il brûler ces rebuts qui viennent de l’enfance et permettre la course dans un « nous » renouvelé ?
AMOUR
Et tout change quand l’amour secoue l’être, que des enfants arrivent dans la joie et l’hésitation. Le poète offre ses peurs et ses craintes à ces nouveaux vivants qui doivent s’agripper à la vie.
je vous écris
le chantier qu’on m’a légué
l’absence de parole
dont je suis empreint
la beauté simple
comme une seule branche
à laquelle s’agripper
une seule branche
à laquelle vous fier (p.78)
La poésie permet de s’abandonner dans le « vous » qui prend la relève et emporte les ecchymoses du corps et de l’esprit. Voilà la chance de s’avancer dans le maintenant en s’éloignant d’un passé qui couve sous les cendres.
la résilience
est un avis de renouvellement
pour le lendemain
quand se perd en chemin
une époque (p.93)
Ne plus savoir son chemin, son époque, ne plus avoir de direction, allumer le feu et après, le calme, l’apaisement, un temps autre et transformé peut-être.
Les images toutes simples de Benoît Pinette viennent comme des parfums discrets. Tout en retenue et en évocation, ces courts poèmes touchent les failles du soi. J’ai terminé mon exploration en lisant tout le recueil à voix haute, murmurant, parlant sur la pointe des vers pour me laisser prendre par ce « je » qui se livre et tremble devant nous.
Une poésie belle, comme le craquement de l’épinette quand les flammes se jettent sur les écorces et que la chaleur vient au milieu de toutes les saisons. Un froissement d’être, une franchise et une fragilité qui fait frémir les mots. C’est plus que touchant, c’est vivant.
PINETTE BENOÎT, La mémoire est une corde de bois d’allumage, Éditions LA PEUPLADE, Saguenay, 2021, 19,95 $.
https://lapeuplade.com/archives/livres/la-memoire-est-une-corde-de-bois-dallumage
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