MARIE-CÉLIE AGNANT propose six textes
dans Nouvelles d’ici, d’ailleurs et de
là-bas qui nous entraînent dans des univers troubles où très peu d’écrivains s’aventurent
dans notre littérature. Madame Agnant, il faut le préciser, est originaire
d’Haïti et habite le Québec depuis 1970. Ils seraient plus de 130 000 de ses compatriotes à s’être
installés dans la Belle Province. Voici donc une femme qui a quitté son pays
maintes fois frappé par des cataclysmes ou pire encore, entraîné dans des
dérives politiques où les démunis écopent pour les lubies de certains qui se
sentent investis d’une mission et qui n’hésitent jamais à s’en prendre à tous leurs
opposants. Haïti écrit une saga d’une tristesse infinie depuis plusieurs années.
Tous les personnages de Marie-Célie Agnant sont en quête d’une
forme d’ancrage et d’un lieu où il est possible de respirer, de rêver et de
vivre sans craindre de se faire agresser ou tuer. Tous sont des migrants qui
tentent de s’épanouir même s’il est difficile d’oublier ses origines. S’arracher
au passé pour s’installer dans le présent n’est jamais chose facile.
Partout dans le monde, des réfugiés tentent d’atteindre un pays
dont ils rêvaient. La plupart du temps, ils stagnent dans des enclos comme du
bétail. On parle des camps de réfugiés. Ils ne savent pas ce qui les attend et
ce que les militaires peuvent faire d’eux. Des centaines d’hommes et de femmes
survivent ainsi dans une sorte de trou noir où ils doivent oublier leurs
droits et leur dignité. Tous ont perdu la direction de leur vie et croupissent dans une prison simplement
parce qu’ils ont commis le crime de venir d’ailleurs.
Ils ont eu le tort de naître dans un pays sous-développé, d’avoir
subi des régimes sanguinaires où la grande majorité de la population n’arrivait
jamais à vivre une vie décente et libre. Le nombre des réfugiés aurait dépassé
les 60 millions d’individus l’an dernier et ne cesse d’augmenter.
Bien sûr, ces mouvements importants de populations provoquent
des crises et des heurts. L’Europe est un exemple terrible. Il y a aussi les
lubies d’un Donald Trump qui font fuir des gens vulnérables au Québec et au
Canada. Partout, ces hommes et ces femmes cherchent une nouvelle terre pour
améliorer leur sort et celui de leurs enfants. C’est comme ça que s’est faite
la conquête de l’Amérique. Beaucoup de nouveaux arrivants aux États-Unis, au
Canada et dans les pays d’Amérique du Sud n’arrivaient pas à manger à leur faim
dans leur pays d’origine. Je pense aux Irlandais qui ont migré dans des
conditions épouvantables. D’autres ont été déplacés de force. Les Noirs
africains ont été vendus comme esclaves. L’un des plus grands crimes de
l’humanité ! Il y aurait eu plus de cinq millions d’esclaves dans les Amériques
et un peu plus de 600 000 seulement aux États-Unis. Et ce commerce infâme
existe encore. On a fait les manchettes avec des cas récemment.
RÉFUGIÉS
Les migrations marquent l’histoire de l’humanité et elles sont
souvent accompagnées par l’ostracisme, le racisme et l’exploitation. Marie-Célie
Agnant imagine un réfugié dans un camp qui attend une lettre, la permission de franchir la barrière et de partir ailleurs pour enfin se
forger un avenir.
Alors que je trouvais à des lieues de toi,
j’avais ressenti cette peur que tu ne cachais pas, celle de tout laisser
derrière toi pour aller rejoindre ta Mamusia, pour qui tu étais tout. Je te
savais plein d’appréhensions, terrifié même, à l’idée de te retrouver dans un
avion. Pour dissiper tes craintes, je t’exposais mes plans, te parlais de
l’entreprise que nous allions faire grandir ensemble. J’avais tout fait pour te
rassurer, en vain. « Le temps du vol n’est rien qu’un mauvais moment à passer
», me disais-tu la veille, comme pour me rassurer à ton tour. (p.13)
Comment oublier les Indiens que l’on a refoulés dans des réserves,
les privant de tout leur pays ? Ce sont nos camps de réfugiés et j’ai grandi
tout près de Mashteuiatsh sans comprendre le drame de cette population.
Nous nous blessons au racisme, à l’intolérance, aux abus de
pouvoir, aux viols et aux agressions en parlant des réfugiés. Tous quittent un
pays pour ne pas être tués. Leurs villes et leurs villages ont été ravagés par
des guerres qui ont tour rasé. Leur terre est devenue un charnier où il est
impossible de vivre et de survivre, où il n’est plus imaginable de cultiver le
sol contaminé par les bombes. La migration devient une question de vie et de
mort. Le paradis qu’ils habitaient depuis des générations est maintenant un
champ de cailloux après les bombardements et les folies des fanatiques. Des
gens perdus, déracinés, isolés dans un pays étranger, incapables souvent de
communiquer parce que personne ne parle leur langue. Un drame sans nom dont
nous ne mesurons pas l’ampleur malgré tous les reportages. On s’attarde au
corps d’un petit garçon retrouvé sur une plage, à des camps d’accueils, aux
frontières qui se referment, mais rarement aux terribles difficultés que ces
humains doivent affronter jour après jour.
Heureusement, des écrivains nous plongent dans la dérive d’un père
qui n’arrive jamais à s’en sortir et se sacrifie pour que son fils ait une vie meilleure.
Je pense à Niko de Dimitri Nasrallah
qui décrit cette épouvantable réalité, un destin qui nous fait perdre toutes nos références.
Ils ont fui avec leurs vêtements et ils attendent, démunis,
impuissants, espérant seulement avoir la permission de vivre comme des humains.
Que dire des camps palestiniens où des enfants y naissent, grandissent et font
des enfants à leur tour ? Ils ne connaîtront jamais un autre territoire que ces
enclos où ils sont gardés à vue. C’est un destin à peine imaginable pour un
Québécois qui fréquente les grands espaces et se permet toutes les escapades. Que
dire de l’Innu qui voit son monde se recroqueviller aux limites de la réserve ?
EXPLOITATION
Et il y a toujours des gens sans âme qui réussissent à les
exploiter et à leur soutirer le peu qu’ils ont. Lawrence Hill en fait une
description plutôt troublante dans Le
sans-papiers où une femme dirige un ghetto et exploite tout le monde. Elle s’est
arrogé le droit de vie et de mort sur toute une population qui dépend d’elle et
doit subir ses humeurs et ses fantaisies.
Caroline Vu décrit également cet univers sans pitié dans Palawan, son dernier roman, où des gens
tentent par tous les moyens d’aider des Vietnamiens qui vivent en marge du monde,
ne demandant qu’un peu d’espoir et un passeport pour la liberté.
Il y a aussi les nantis de ces pays qui ont dû fuir et qui trouvent
refuge à l’étranger. Ils réussissent à se refaire un petit milieu et vivent
dans un luxe désolant. Leurs enfants rêvent d’une société où il n’y
a plus de frontières raciales.
C’est le cas de Sigrid qui pense vivre comme tous les jeunes, mais
qui apprend brutalement qu’il existe des frontières qu’il n’est pas possible de
franchir. Le racisme dans sa manifestation la plus horrible.
Cette histoire, qui n’en était pas une, avait
fait le tour de l’île. Pour la punir — Joséphine prétendait que c’était pour la
forcer à choisir —, on l’avait expédiée à New York. Cependant, depuis son
arrivée, elle se sentait engagée dans un marathon insensé, vers un état de
nudité dont elle découvrait à présent toute l’horreur. Engluée dans son
brouillard, Sigrid sentit qu’on prenait son pouls ; des mains tâtaient son
corps, devenu l’objet premier de la condamnation. Sous les draps rêches, elle
se sentit frissonner, car elle était tellement nue ; nue dans son exil, nue
dans sa peau, nue dans son cerveau farci d’horreurs depuis l’enfance, nue dans
l’incommensurable bêtise du monde. (p.61-62)
D’autres s’installent et sont condamnés à faire des tâches peu
valorisantes, mal payées. Une mère compte ses sous et travaille du matin au
soir pour arriver à faire venir son fils au Canada. Le rêve se transforme en
cauchemar dans la plus absurde des tragédies, sans que l’on sache vraiment ce
qui a pu se produire. Peut-être tout simplement la crainte de l’autre qui est
de plus en plus présente avec les attaques terroristes. Le monde des années 70,
où il était possible de découvrir tous les pays, s’est refermé et est devenu
dangereux. Plusieurs pays sont maintenant des terres interdites.
La belle grande fraternité qui faisait danser les jeunes il y a cinquante ans
n’aura pas duré bien longtemps.
Marie-Célie Agnant plaide pour les apatrides, les errants et les
dépossédés de ce monde, les maudits de la terre. Je le répète. Ils sont plus de
60 millions à vivre dans des lieux où l’on aurait du mal à garder le bétail, à
tourner dans des enclos boueux et poussiéreux, à espérer qu’un jour ils auront la
chance de partir et de s’installer dans un vrai pays.
« Tu oublies que le monde, c’est aussi la
Palestine. La Palestine, avec la dépossession qui n’en finit plus, les
territoires volés, les morts que nul ne compte et dont personne ne se soucie.
La Palestine, avec ses cris, ses enfants assassinés, ses larmes et cette misère
innommable. N’est-ce pas toi qui nous as, depuis toujours, rabâché les oreilles
avec cette situation que tu as toujours qualifiée d’ignoble ? » (p.70)
Un espoir qui s’use avec le temps et qui bien souvent, surtout
quand la chance ne se manifeste pas, peut tourner à la violence. Les textes de
Marie-Célie Agnant frappent fort, bouleversent, étonnent, même si on sait déjà
que toutes ces situations existent et se perpétuent. Et il ne faut surtout pas
rater L’attente, la dernière
nouvelle. Un bijou de texte qui m’a retourné. Tout cela dans une langue riche,
luxuriante qui subjugue littéralement.
Heureusement, la littérature a encore le pouvoir de dénoncer et de
bousculer nos aveuglements. Cela a toujours été son rôle et elle doit continuer
à montrer l’horreur pour faire changer les choses peut-être, du moins à allumer
un peu de conscience et d’empathie dans l’esprit des lecteurs. Marie-Célie
Agnant fait un travail de mémoire nécessaire. L’humanité a besoin de se
souvenir, quoi qu'on dise.
NOUVELLES D’ICI, D’AILLEURS ET DE LÀ-BAS de MARIE-CÉLIE AGNANT, une publication des ÉDITIONS DE LA PLEINE
LUNE.
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