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vendredi 24 novembre 2017

MICHAEL SPRINGATE NOUS ASSOMME

MICHAËL SPRINGATE surprend avec L’engrenage des apparences, un roman d’abord paru en anglais sous le titre The Beautiful West and the Beloved of God.  Un peu étrange de voir comment le titre d’un ouvrage peut se transformer en passant d’une langue à l’autre. Une histoire qui laisse peu de chance au lecteur. Les personnages vous heurtent en plein cœur, en pleine conscience. Comme si on basculait dans l’actualité qui se gargarise souvent des mêmes constats et que l’on voyait l’envers des choses. J’ai terminé cette lecture en colère, me demandant jusqu’où les humains peuvent aller dans la bêtise et la stupidité. Comment aussi nos gouvernements se font complices de machinations monstrueuses au nom de la loi et de la sécurité, collaborent avec des assassins et des tortionnaires.
  
Helena quitte son Manitoba natal avec sa fille Sharon. Elle abandonne son père pour la première fois et veut poursuivre des études à Montréal. Elle s’installe et n’arrive pas à s’asseoir sur les bancs de l’université. Son quotidien demande trop d’énergie et surtout, elle est seule à s’occuper de sa petite fille. Elle déniche un emploi dans une boutique de vêtements, possède un certain don pour la vente et accueillir les riches clientes.
Son père, un mécanicien, est prêt à tout pour l’aider, elle et sa petite fille. Un homme fascinant. Trouvez-en des mécaniciens qui prennent la peine d’étudier la langue araméenne pour mieux lire les textes sacrés.
Helena connaît la solitude. Ceux et celles qui s’installent dans une nouvelle ville ont l’impression de ne plus avoir de repères. S’adapter à Montréal est une véritable mutation pour elle.
Rachel, la propriétaire de la boutique, est juive et se prend d’affection pour la jeune femme. Tout va lentement, sur la pointe des pieds, et un arrêt dans un restaurant change tout. Helena rencontre Mahfouz, un Montréalais d’origine égyptienne qui tient l’établissement avec son père. Ce n’est peut-être pas le coup de foudre, mais le jeune homme est gentil et la solitude de la jeune femme est tellement grande. Tout semble vouloir prendre la direction des plus belles histoires d’amour.

BASCULE

Mahfouz se rend au Caire, en Égypte, dans son pays d’origine sous l’incitation de son père. Il va rencontrer son oncle Ibrahim et peut-être se lancer dans le commerce des parfums. Un retour au pays pour le jeune homme, une sorte de pèlerinage.
Là, le roman bascule.
Les partenaires se rencontrent pour conclure une entente et les policiers font irruption. Ça tourne au drame. Omar est tué et Mahfouz se retrouve en prison. Les interrogatoires se multiplient et la torture suit.

Une vague d’angoisse le submerge. Combien de temps a-t-il dormi ? Quinze minutes ? Une heure ? Il demeure raide, immobile. Pourquoi Omar a-t-il résisté ? S’il n’avait pas résisté, s’il s’était montré raisonnable, le malentendu aurait été dissipé et on aurait corrigé la situation. Ils seraient tous libres à présent et à l’abri dans leur propre lit. La vie aurait repris son cours normal. Le problème n’est pas qu’on l’a mis aux arrêts : cela peut arriver même à des innocents, et tout le monde peut se tromper, même si personne ne semble savoir pourquoi. Le problème, c’est ce moment de violence qui laissera pour toujours son empreinte indélébile sur le présent. Sous l’impact, la course du temps a dévié de sa trajectoire et il n’est plus possible de revenir en arrière. Cette violence, Omar en est responsable et elle a tout changé. Tout est arrivé à cause d’Omar. (p.174)

Le gouvernement égyptien soupçonne le jeune homme de faire partie d’une cellule extrémiste et de financer le terrorisme international à partir de Montréal. Surtout que l’oncle de Mahfouz, Ibrahim, est un sympathisant des Frères musulmans, une organisation interdite en Égypte. Omar, l’autre partenaire qui devait diriger la parfumerie, faisait partie d’un groupe de résistants en Somalie et il a fui son pays pour échapper aux autorités.
Mahfouz a été malmené lors de son arrestation et les gardiens passent naturellement à la torture.

RECHERCHES

Bien sûr, la famille s’inquiète. Son père est arrêté à Montréal, soupçonné de faire partie de ce réseau de terroristes. Un avocat, l’ancien mari de Rachel, tente de faire la lumière, de retrouver le garçon qui est disparu officiellement et qui croupit dans une prison sordide.

Au départ, les réponses de Mahfouz ont semblé les intéresser, car ils en cosignaient le moindre mot. À présent, on répète inlassablement les mêmes questions pour vérifier s’il donne chaque fois la même réponse. Quand il se répète, on présume qu’il a mémorisé les réponses. S’il ajoute un détail, on le soupçonne de vouloir modifier sa version des faits. Il dit la vérité de son mieux - scrupuleusement, encore et encore - mais plus rien de tout cela ne les intéresse. Ils se comportent comme s’ils attendaient autre chose. Mais quoi ? (p.182)

Les policiers veulent des aveux pour corroborer leur version des faits. Les droits de la personne, le respect de l’autre, voilà de la fiction. Ce qui choque, c’est l’indifférence des autorités canadiennes, leur complicité avec les gouvernements qui s’acharnent à démanteler une filière terroriste qui n’existe pas.
Michaël Springate démontre l’absurdité et la paranoïa terroriste des pays qui voient des conspirateurs partout. Une machine implacable, démente se met en place. Mahfouz meurt en prison, torturé par des spécialistes américains.

Au bout d’un certain temps, ses épaules se disloquent. Il perd connaissance. Quand il revient à lui, la douleur est intolérable, on le ramène au sol. L’homme devant lui veut savoir pourquoi il se tait. Pour quelle raison refuse-t-il de répondre, même aux questions simples ne servant qu’à lui délier langue ? Mais le jeune homme sérieux qui s’est d’abord montré coopératif refuse désormais de dire le moindre mot. (p.243)

Le raffinement dans la torture faite sous surveillance médicale fait frémir. C’est d’une bêtise, d’une cruauté à peine imaginable, mais c’est la réalité, semble-t-il, depuis Septembre 2001, depuis que les États-Unis ont entrepris de tuer le mal dans le monde, de traquer tous ceux qui peuvent représenter un danger, surtout quand ils portent des noms arabes.
Je connais des Canadiens d’origine marocaine qui vivent au Canada depuis presque toute une vie et qui ont décidé de prendre des prénoms francophones pour avoir la paix, pour voyager sans se faire questionner et fouiller. Même les enfants de ces migrants ont changé leur nom pour ne plus être harcelés à l’école et au travail. C’est dire les ravages que la hantise de la sécurité peut faire. Les Américains sont devenus les champions de cette paranoïa depuis les événements du World Trade Center. Bien sûr, la menace terroriste existe, mais c’est souvent l’occasion de dérives incroyables qui brisent des innocents. Et nous devenons souvent des complices, il ne faut jamais l’oublier.

Tout ce que vous leur direz sera consigné et passé au crible pour en extraire le pire. Avant de répondre aux questions de l’agent, demandez-vous pourquoi ils ne se sont pas donné la peine d’avoir une conversation aussi amicale avec Samih avant de l’emmener de force. Posez-vous la question de savoir ce qui arrive aux autres Canadiens d’origine arabe qu’ils détiennent actuellement et qui n’ont aucun recours légal. Demandez-vous pourquoi ils ne vous disent pas la vérité sur votre fils. (p.250)

Comment ne pas rager devant l’aveuglement des tortionnaires qui veulent découvrir des coupables même là où il n’y en a pas ?
Bien sûr, ce n’est qu’un roman, mais il y a l’actualité, les attentats et la peur qui pousse les gens aux pires comportements. Comment empêcher l’arbitraire, la folie de voir des complots partout et de bafouer les droits des autres parce que certains individus portent des noms arabes.
Un roman terrible. J’ai eu envie de hurler en lisant les propos de Rachel qui défend envers et contre tous les agissements d’Israël, profère des propos incroyables sur les Palestiniens.
Surtout, j’ai compris que nos gouvernements peuvent faire avouer n’importe qui, inventer des scénarios et les preuves finissent toujours par surgir sous la torture. Comment sortir indemne de ce roman incroyable de cruauté et de sadisme ? Si la lutte au terrorisme pousse vers de tels gestes, nos sociétés sont en danger. Il faut comprendre que nous vivons peut-être un retour à l’Inquisition et à la barbarie. Une histoire qui bouscule la conscience et nous pousse dans nos derniers retranchements. Dommage que la traduction de Jocelyne Dorais ne soit pas à la hauteur. Du mot à mot souvent maladroit et du travail un peu bâclé. Ce roman méritait beaucoup mieux.


L’ENGRENAGE DES APPARENCES de MICHAEL SPRINGATE, une publication des ÉDITIONS LE SÉMAPHORE.


  

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