AMANDA PEDNEAULT EST née à L’Île-aux-Coudres,
le jour même où l’on faisait brûler la goélette l’Amanda Transport sur le fleuve. Pierre Perreault, le réalisateur
de plusieurs documentaires, a fait époque en s’attardant au passage
du temps, à l’avenir de ces insulaires qui se heurtaient à la modernité. Amanda
quittera son île, restera fidèle à ses amis, vivra la grande passion avec Milan,
tentera dans ses écrits d’expliquer à sa fille Sabina ce qu’elle a vécu et le
monde qu’elle lui lègue.
Amanda explique
son projet dès les premières lignes du roman et, par ce subterfuge, l’écrivaine
Mylène Bouchard nous donne les clefs de l’aventure qu’elle nous propose.
Je me suis
longuement questionnée dans le venteux hiver gaspésien sifflant sur ce que
j’aurais voulu que ma mère fasse pour moi quand j’avais ton âge, si elle avait
finalement quitté Pierre pour Daniel. Je me suis donné comme mission de parler
avec toi en me berçant dans le salon, de réfléchir à voix haute en scrutant la
mer, de te léguer une boîte de compréhension. Tu vas y trouver de tout, tu
pourras entendre et lire… (p.9)
Autrement dit, l’écrivaine
a tout jeté dans cette boîte : des enregistrements, des lettres, des
fragments, une liste de ses amants, la Chronique
des lièvres, des tableaux et une copie du film de Pierre Perreault : Les voitures d’eau. Des fragments, comme
les galets qui entourent l’île d’Amanda, des morceaux épars qui permettront à
sa fille Sabina (le nom vient d’un personnage de Milan Kundera) de reconstituer
sa vie et peut-être, d’en tirer une leçon. C’est le travail qui attend le
lecteur et auquel je me suis attelé avec un peu d’appréhension. Je n’aime pas
les livres déconstruits ou encore qui multiplient les facettes et les
labyrinthes pour le plaisir d’en mettre plein la vue. Je suis plutôt partisan
de la nécessité textuelle et du juste
nécessaire. Il faudrait bien que je m’explique là-dessus un jour.
Elle a de la suite
dans les idées, l’écrivaine et éditrice, puisqu’elle publiait un essai sur
l’acte amoureux en 2014. Dans Faire
l’amour elle interroge l’amour et ses ramifications dans trois œuvres
marquantes de la littérature : Roméo
et Juliette de William Shakespeare, Anna
Karénine de Léon Tolstoï et L’insoutenable
légèreté de l’être de Milan Kundera que j’ai lu lors d’un voyage en
Gaspésie, sous une tente à Forillon, pendant une pluie battante qui ne voulait
plus lâcher le pays. J’ai dû jeter le livre au retour tellement l’humidité l’avait
malmené. Oui, j’ai acheté un autre exemplaire du roman.
Faire l’amour dans
le sens de fabriquer l’amour quand deux êtres se rencontrent et s’attirent.
Nous sommes au-delà des contacts physiques et de la gestuelle amoureuse.
Cette dernière
notion me permet d’émettre une hypothèse : l’amoureux fabrique l’amour
qui, au terme de la construction, constitue une grande vérité. Faire l’amour. Comme la personne,
l’amour « s’édifie à la manière d’une œuvre, à la faveur d’une œuvre, et aux
mêmes conditions, dont la première est la fidélité à quelque chose qui n’était
pas, mais que l’on crée ». Autrement dit, l’amour devient l’événement qui le
traduit, l’amour ressemble à ce que l’on en fait.
(Faire l’amour, Nota Bene, p.10)
Amanda est née
dans cette île du Saint-Laurent que Pierre Perreault a rendu célèbre par ses
documentaires. Le cinéaste s’est mis à l’écoute de quelques personnages qui viennent
d’une autre époque. Marie et Alexis Tremblay ne peuvent que regarder leurs fils
et leurs filles se tourner vers l’avenir. Le passé brûle avec la goélette qui
flotte tel un fanal sur le Saint-Laurent. J’ai vu ce film alors que j’étais
étudiant à l’Université de Montréal. Cette œuvre unique m’a poussé vers La mort d’Alexandre et fait
comprendre que je devais écrire sur la vie de deux de mes frères.
Une île, c’est un
pays et aussi une ouverture sur le monde. Les gens de L’Île-aux-Coudres construisaient
des goélettes ou « des voitures d’eau », s’éloignaient sur le fleuve jusqu’à
la mer pour visiter les côtes de l’Amérique quand ce n’était pas l’Afrique. Ces
gens partaient par plaisir, pour découvrir d’autres mondes, d’autres personnes
et en ramener des trésors et des récits fabuleux.
Amanda a hérité du
tempérament de ses ancêtres. Son père travaillait sur un bateau. Il faut lire
les pages où Pierre passe tout près de l’île. Son épouse se met sur son
trente-six pour le saluer de la galerie. Un moment intense que Madeleine oubliera
une seule fois, lors d’une escapade avec Daniel. Tout vacille alors. L’amour
est fragile et il faut le manipuler avec délicatesse.
Quand mon père
était arrivé, ma mère l’avait senti distant. Loin d’être d’ordinaire
flegmatique, cela supposait un sentiment camouflé. En forçant le dialogue, ma
mère avait pu lui soutirer une explication : au passage du cargo devant
l’île à la deuxième semaine de mai, sa femme n’était pas sortie sur la galerie
pour leur rendez-vous à distance, elle ne s’était pas parfumée pour lui, elle
n’avait pas fait voleter son foulard de soie rouge, signe de salutations
tendres, de magnétisme, de proximité immanente. Leur code à eux depuis
toujours : se regarder avec leurs jumelles, se parfumer même si c’était
illusoire, secouer leurs foulards (mon père gardait un mouchoir dans la poche
intérieure de son veston, avec quelques pastilles au miel), se souffler des
baisers surabondamment. (pp. 113-114)
Amanda savait
depuis son plus jeune âge qu’elle quitterait son île pour aller voir ailleurs.
L’époque voulait cela et la navigation n’était plus ce qu’elle était pour les
insulaires. La construction des navires en acier et les manoeuvres des grandes
entreprises ont fait mourir une manière d’être.
Elle vivra la
liberté des années 1970. Nous vivions alors au jour le jour sans trop nous
demander ce qui allait arriver. Les amours se nouaient et se défaisaient et le Registre des lièvres pouvait prendre
bien des directions.
La jeune femme s’installera
à Prague avec Milan, le grand amour, du moins jusqu’à ce que la vie en décide autrement. Il y a les enfants, Sabina et Finn. Milan devient aveugle et
Amanda rencontre d’autres hommes. Elle ne peut s’empêcher d’aimer, ne résiste jamais
à ses pulsions. Nous sommes dans la ville où se déroule l’action de L’insoutenable légèreté de l’être, il ne
faut pas l’oublier. Amanda est comme Tomas, le héros de Kundera, qui a du mal
avec la fidélité.
CHOIX
Dans ce fouillis
où l’on trouve des bouts de lettres, des enregistrements, des fragments et des
réflexions, le lecteur prend ce qu’il veut. Je ne me suis pas attardé aux
tableaux typographiques, me demandant cependant s’ils pouvaient prendre forme
dans le corps du texte. J’ai évité aussi ces pages où l’auteure répète inlassablement un mot.
Peut-être que lire le tout à haute voix en s’amusant de toutes les tonalités
imaginables permettrait une sorte de danse ou de transe. Je n’ai pas essayé.
L’important, c’est
Amanda, ses aventures, sa vie, ses amitiés et son oeil sur le monde. Elle a
couru partout, suivi des hommes, vécu la fidélité, l’amitié, la passion qui
finit toujours par se calmer. Et peut-être aussi qu’elle a connu une vie qui ne
pouvait être possible que dans les années 1970.
Il fut un temps
où pour moi l’amitié, c’était l’amour. Je mélangeais tout. J’étais
irrationnelle comme en amour. Je transposais la passion vive de l’amoureuse à
l’amitié, qui commande le calme. J’étais possessive. Je voulais chacun, chacune
dans ma vie, chacun, chacune à moi. Cécile à moi. Michelle à moi. Aimée à moi.
Comme en amour avec elles, à les trouver belles et désirables. (p.167)
Comment tirer tout
cela au clair ? L’amour passe par l’amitié et l’amitié est certainement une facette
de l’amour. Amanda vit en s’abandonnant à son instinct et n’en sait pas plus
après qu’au début. L’amour est peut-être un état d’esprit ou une manière de surprendre
le monde, de le voir de toutes les manières imaginables. Il faut certainement
aimer pour parcourir le monde et écouter les hommes et les femmes qui se
présentent à vous.
AVENTURE
Mylène Bouchard
nous fait passer par plusieurs formes littéraires. Fragments, dialogues,
poèmes, sentences, aphorismes, mots d’enfants et lettres. Véritable exploration
qui m’a aspiré. Amanda ne porte pas le nom de la célèbre goélette pour rien. Un
bateau doit affronter le large et toutes les mers du monde. C’est dans sa
nature. La jeune femme sera constamment en déplacements, allant d’un homme à l’autre,
comme la goélette qui allait et revenait à son port d’attache.
Quand la voyageuse
s’installe dans sa maison de L’Anse-Pleureuse, elle ne peut que se bercer en ressassant
sa vie. Elle se consume lentement comme la goélette dans le film de Perreault
qui s’éloigne tel un lampion qui dérive au fil de l’eau avant de sombrer
doucement.
Un roman fascinant
qui s’interroge sur la pulsion, le désir qui fait que l’on est attiré par un
homme ou une femme, que l’on sente le besoin de procréer et de tout
recommencer, même après les plus grandes douleurs. La vie est possible pourvu
que l’on accepte l’amour et l’amitié, le hasard qui a toujours guidé Amanda. Il est peut-être
vrai aussi que l’on part pour revenir. Sans cela la vie n’aurait aucun sens.
Mylène Bouchard nous surprend encore une fois et son texte envoûte. Amanda est un personnage fort qui n’évite jamais les turpitudes de la vie et de l’âme. À lire et relire pour le rythme de la phrase, pour les images, pour les multiples facettes qui tournent comme les escarbilles qui s’échappent de la goélette en feu et qui montent dans le ciel pour disparaître.
Mylène Bouchard nous surprend encore une fois et son texte envoûte. Amanda est un personnage fort qui n’évite jamais les turpitudes de la vie et de l’âme. À lire et relire pour le rythme de la phrase, pour les images, pour les multiples facettes qui tournent comme les escarbilles qui s’échappent de la goélette en feu et qui montent dans le ciel pour disparaître.
L’IMPARFAITE
AMITIÉ de
MYLÈNE BOUCHARD est paru à LA PEUPLADE.
PROCHAINE
CHRONIQUE :
PARHÉLIE OU LES CORPS TERRESTRES de CHRISTIANE
LAHAIE paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.
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