AMÉLIE A COMMIS L’IRRÉPARABLE.
L’adolescente s’est laissée prendre par un manipulateur qui a profité de sa
naïveté et de son besoin d’attention. Elle a dévoilé ses seins devant l’écran
de son ordinateur et l’image a fait le tour de son école. La jeune fille doit
se refaire une santé mentale chez sa tante qui l’héberge. Un facteur à la
retraite, pour payer ses dettes de jeu, accepte de livrer un colis. Sa démarche
n’aboutira jamais parce que le destinataire est introuvable et que l’édifice, où
il travaille, est un véritable labyrinthe. Une femme, nue sur le toit d’un édifice
du centre-ville, menace de sauter dans le vide et paralyse toutes les activités
du secteur. Une journée comme les autres dans un monde cruel où chacun est prisonnier
de sa solitude.
Le titre du roman de Christiane Lahaie, Parhélie ou Les corps terrestres, est intrigant. Parhélie signifie
« tache lumineuse due à la réflexion des rayons solaires sur un nuage de
cristaux de glace ». Une sorte d’illusion en somme qui peut nous fait croire à
l’existence d’une chose ou d’un être qui n’existe pas. Voilà qui en dit long
sur le texte de madame Lahaie qui s’attarde aux reflets qui ne cessent d’attirer
l’attention pendant que les « corps terrestres » poursuivent leur course dans la
plus terrible des solitudes.
Abele Seraphini est un solitaire qui ne cesse de fuir et de se
dérober. Il cherche le destinataire d’un colis qui change continuellement de
lieu et d’occupation. Un véritable courant d’air qui disparaît avec le matin pour
surgir dans le soir. Il est « l’ange annonciateur » qui ne trouve pas sa
direction.
Amélie, après son geste impulsif, est devenue celle que l’on pointe
du doigt. Elle souhaitait un peu d’attention, un regard qui lui disait qu’elle
existe, qu’elle peut être belle dans le regard d’un autre. Elle a attiré tous
les yeux et sa vie est devenue un enfer.
Et il y a cette femme sur le toit d’un édifice qui délire dans le
soleil et qui ne sait plus qui elle est. Elle pense s’envoler peut-être, échapper
à son corps après une épreuve qui lui a broyé l’esprit.
Chacun tente de trouver quelqu’un, de retenir son attention. Parce
que ce n’est pas tout de vivre. Il faut des liens avec ses semblables, sentir une
main ou une épaule de temps en temps.
Devenir quelqu’un dans notre époque n’est pas une mince affaire. Il
y a tellement de sollicitations, de cris pour attirer l’attention, créer
l’illusion. Que dire de ces émissions de radio où les gens appellent pour parler
du sujet du jour et devenir quelqu’un. On a même fait appel aux auditeurs,
dernièrement dans une station de Québec, pour leur demander si un homme devait
uriner debout comme un vrai mâle ou s’asseoir…
Ça peut expliquer peut-être le succès des médias sociaux. Chacun imagine
devenir quelqu’un. Les plus fragiles posent des gestes désespérés avec
Amélie ou profèrent des grossièretés qui peuvent les suivre longtemps. Notre époque
est fertile en assertions et recettes où le bonheur est assuré. Les médias
martèlent la vérité et la discussion, malgré tous les sparages, n’intéresse
personne. Ce qui importe, c’est ce moi qui a tout à dire. Et si tu deviens le
sujet d’une véritable curée, la vie est impossible.
En un sens, Danaé a bien fait. Amélie devenait folle à force
d’aller voir ce qu’on disait d’elle dans les réseaux sociaux. Elle avait arrêté
de dormir et de manger. Elle se rongeait les ongles jusqu’au sang. Même le
vernis amer destiné à lui faire perdre cette vilaine habitude n’avait plus
d’effet sur ses papilles. Elle se serait rendue à l’os si on ne lui avait pas
enlevé tous ses bidules. (p.25)
Les personnages de Lahaie n’aiment pas leur image et tentent de
s’arracher à leur drame existentiel. Tous sont en quête d’une présence, d’un
sourire peut-être pour exister.
Amélie ne cesse de feuilleter les revues où des femmes au corps
parfait s’affichent. Alice moderne, elle se cherche dans un miroir qui lui
retourne une image qu’elle ne sera jamais. Qui a les jambes idéales, la
poitrine de rêve, les lèvres sensuelles ? Ces femmes parfaites sont souvent «
arrangées » par la chirurgie ou encore par un logiciel qui rend toujours plus
beau que beau. Ces interventions diaboliques permettent de modifier son
apparence et de glisser dans un autre corps. Je songe au drame de Nelly Arcand
qui était obsédée par le regard de l’autre. Sa vie ne pouvait
que glisser vers la catastrophe.
REJET
Abele Seraphini a ressenti quelques sensations fortes en jouant aux
cartes, n’ayant jamais personne avec qui parler et rêver le monde. Il a marché
dans la ville en distribuant des lettres, enviant peut-être ceux qui
recevaient des messages quand lui rentrait le soir avec rien dans les mains. Il
lui restait son chat pour amorcer un dialogue impossible.
La femme brûlée par le soleil se donne en spectacle. Qui elle est ?
Où est sa réalité ?
J’ai chaud. Je crois, oui, que j’ai chaud. Mais je n’en suis pas
sûre. Au loin, je vois de grandes tours, serrées les unes contre les autres.
Peut-être qu’elles ont chaud, elles aussi. Et ce bleu, tout ce bleu si clair.
Si transparent. J’essaie de me souvenir. Mais j’ignore de quoi je dois me
souvenir. Ai-je un nom ? Ai-je quelque chose qui puisse ressembler à un passé ?
J’ai trop mal pour que des images me viennent en tête. Tout à l’heure, j’ai
touché à ma joue droite. Retiré un bout de tissu qui pendouillait. Depuis, mon
visage brûle et je voudrais que le soleil s’éteigne. (p.27)
Nous accompagnons Icare qui se consume et pense fuir la gravité
terrestre et un corps trop lourd et douloureux.
Abele Seraphini court derrière une ombre qui prend tous les visages.
Tous ceux qu’il croise donnent une description différente d’Angel Stone, des illuminés qui se consacrent à des tâches absurdes. Véritable dédale que cet
édifice du centre-ville où il se retrouvera peut-être devant le Minotaure.
REFLETS
Le monde multiplie les reflets et transforme le corps. L’illusion
et les images ne peuvent que décevoir, les médias sociaux ne savent qu’enfermer
dans un terrible labyrinthe où les issues se dérobent.
Madame Lahaie suit des solitaires qui ne savent comment échapper à
leur fatalité. Elle s’attarde surtout à ceux qui se sentent mal dans leur corps
et qui cherchent à muter. De quoi devenir schizophrénique dans un monde où
l’irréel et le virtuel s’imposent comme la vérité à atteindre.
Seraphini, qui ne veut pas en savoir davantage, en profite pour
filer. Non seulement il n’a pas encore trouvé Angel Stone, mais il éprouve un
malaise sans cesse croissant à l’idée de transporter un colis qui puisse
s’avérer incriminant. Il a déjà assez de problèmes. Inutile d’en rajouter. Ce
Stone n’avait aucun scrupule et ne mérite pas qu’on fasse preuve de tant de
zèle pour lui. S’il n’y avait pas tant d’argent à la clé, Seraphini rendrait le
colis au nain et trouverait une autre façon de rembourser ses dettes. (p.78)
Un regard singulier sur notre monde où les frontières ne cessent de
bouger. Et tout geste de transgression pour s’avancer vers la perfection
virtuelle s’avère terriblement dangereux.
Amélie est abandonnée dans son adolescence, comme Seraphini qui ne
peut s’arracher à sa solitude. Et que dire de cette femme qui veut sortir de sa
douleur et qui se retrouve au coeur d’un spectacle horrible.
Amélie
et Seraphini vont vivre une éclaircie, un espoir. Le facteur a un terrible
secret qu’il ne peut partager. Nous sommes tous un peu à son image. Ce qui est
n’est pas et ce qui n’est pas est.
Nu, face au miroir, il contemple son sexe court et pendant. Puis,
plus bas, bien dissimulée sous la toison grise, la fente discrète où nul ne
s’est aventuré. À la naissance, tout cela aurait pu être corrigé. Mais les
parents de Seraphini n’ont jamais pu s’entendre. Alors, tout est demeuré tel
quel.
Dans la cuisine, Nitro miaule. Réclame son dû.
- J’arrive, j’arrive !
Seraphini enfile son peignoir de coton usé à la corde. Se permet
de sourire à son reflet. À la télé défilent des images en boucle de Justine
d’Aubigny, de son chirurgien plastique, d’un officier de police et d’un
pompier. Elle était splendide, pourtant. (p.136)
Il s’agit bel et bien de la femme qui voulait s’envoler du haut de
l’édifice.
Un roman fascinant où les protagonistes doivent muter dans leur
tête et leur corps pour toucher leur moi profond. Les humains chez Lahaie semblent condamnés à la plus terrible des solitudes.
Tous sont attirés par des reflets et des mirages comme les papillons que vous
connaissez. Chacun est prisonnier de ses obsessions et s’isole de plus en plus.
À moins d’être ce Stone insaisissable, cette ombre qui ne cesse de muter, cet « ange
de pierre ».
Qu’est-ce que j’ai tenté de fuir dans ma vie ? Qu’est-ce que j’ai
refusé de voir… Christiane Lahaie nous laisse avec ce genre de questions qui
trouvent difficilement une réponse. J’en suis à me demander si les livres que
j’ai publiés ne sont pas tout simplement des pièces à conviction. Un roman
puissant.
PARHÉLIE
OU LES CORPS TERRESTRES de CHRISTIANE LAHAIE est publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR.
PROCHAINE
CHRONIQUE :
Le regard du hibou d’ANDRÉ MAJOR, est
paru chez BORÉAL ÉDITEUR.
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