lundi 17 février 2014

La pacifiste et le guerrier se comprennent

Elle est pacifiste, antimilitariste. Il est soldat, en mission à Kaboul, en Afghanistan. Tout les sépare, rien ne peut faire en sorte qu'ils se comprennent et partagent ce qu’ils vivent. C'est pourtant ce qui arrive à Roxanne Bouchard, enseignante, écrivaine et un militaire du 22e régiment, Patrick Kègle. Une belle manière de mettre ses convictions à l'épreuve, d'écouter l’autre, de comprendre ce que chacun vit et peut-être trouver qui ils sont au-delà des idées préconçues et les différences. Un bel exemple d'empathie et de curiosité.

Tout commence de façon anodine. Patrick Kègle, de Kaboul, écrit à son groupe favori Les Charbonniers de l’enfer. Il apprécie leur musique et écoute souvent leur dernier disque dans ce pays du bout du monde. Roxanne Bouchard, étant alors la compagne d’un membre du groupe, lui répond. C’était en 2004. C’est ainsi que commence une correspondance. Les messages, avec de longues interruptions, circuleront jusqu’en 2009. La magie d’Internet permet ça. Kim Thuy et Pascal Janovjak ont vécu un échange du genre dans À toi. Cette nouvelle technologie permet des contacts qu’il était à peu près impossible, il n’y a pas si longtemps.

Le temps pour le militaire d’aller au bout de sa mission, de rentrer au Québec et de connaître les affres du retour avant de repartir à Kandahar.
Pendant ces années, Roxanne Bouchard voit son couple s’étioler, vit une séparation difficile, deviendra l’écrivaine que l’on connaît, voyagera dans les mers du Sud pour se refaire une santé émotive.

Je suis militaire. Je me suis engagé à défendre mon pays et les valeurs qui font de lui un havre de paix. (p.9)

Elle fait écho à cette déclaration.

J’étais antimilitariste quand, en 2004, j’ai reçu le premier courriel du soldat Kègle. Posté à Kaboul, il disait travailler au rétablissement de la paix. (p.9)

Il raconte ses missions, les dangers du quotidien, ses peurs et l’horreur qui le fixe tous les jours. La mort rôde chaque fois que le soleil se lève. Elle tente de comprendre ce qui l’anime, ce qu’il ressent en vivant avec une arme qui ne le quitte jamais. Pourquoi surtout il accepte de vivre ça.

L’autre jour, en lisant cette lettre où tu me parlais de l’attentat et de ton inquiétude, je me suis aperçue que mes propos antimilitaristes, je les énonçais avec dureté et que, finalement, j’avais l’air plus agressive avec mon crayon que toi, malgré tes fusils. Moi qui prêche l’ouverture d’esprit, le respect et la compréhension de l’autre, je n’ai pas été très aimable depuis le début de cette correspondance et je m’en excuse. (p.54)

Patrikc Kègle raconte souvent ce qu’il cache à sa femme pour ne pas l’inquiéter. Roxanne Bouchard est secouée par les propos de ce guerrier qui fait preuve d’un humanisme que bien des pacifistes pourraient lui envier.

Compréhension
 
Les courriels vont, d’un monde à l’autre, abolissent le temps et l’espace. Ils vivent des doutes, connaissent des hésitations. Une femme et un homme tentent de se comprendre. Deux univers se rapprochent.
Il rentre de mission, vit une dépression, celle qui touche beaucoup de militaires à leur retour, vit aussi une séparation. Elle doit surmonter des moments difficiles. Une solitude qu’elle doit apprivoiser dans sa nouvelle vie, avant de rencontrer un nouvel amoureux.
Ce dialogue permet peut-être d’aller au-delà de ce qu’ils auraient pu se dire dans des tête-à-tête. Admirable franchise qui résiste malgré les bouleversements qui secouent leur vie.
Un dialogue vrai, senti, souvent amusant. Roxanne Bouchard, malgré ses épreuves, possède un solide sens de l’humour. Les deux deviendront de meilleurs humains grâce à cette amitié improbable, à cette correspondance exemplaire.

Bouchard Roxanne, Kègle Patrick, En terrain miné, Correspondance en temps de guerre, Montréal, VLB Éditeur, 240 pages, 24,95 $.
Ce qu’ils ont écrit :

Patrick Kègle

Tu sais, on a rencontré des mollahs dernièrement et plus de la moitié ne savaient ni lire, ni écrire… Alors ne va pas t’imaginer qu’ils comprennent le Coran puisqu’ils ne parlent pas arabe non plus ! Ce sont ces mêmes mollahs qui dictent la bonne conduite au peuple ! (p.34)

Roxanne Bouchard

Qui partira en guerre contre les touristes qui achètent, sur les plages ensoleillées de la République dominicaine, de petites esclaves haïtiennes ? Qui dénoncera les exploiteurs d’ouvrières sous-payées dans les usines textiles de Vancouver, de Montréal ? Que faire avec tous ceux qui battent leur femme et jouissent sur le corps violé des enfants ? (p.43)

Patrick Kègle

Nous avons su par la suite par les services médicaux qui étaient sur place avec nous que les femmes ne pouvaient être vues ni soignées, que les conditions d’hygiène étaient archaïques : jamais aucun bain ou aucune douche n’avaient été pris… Pas surprenant en cette terre aride. (p.80)

Roxanne Bouchard

Il ne s’agit pas toujours de faire un geste en mémoire de, mais uniquement de se rappeler. Parce que tu te rappelles de ta mère, elle ne mourra jamais et c’est toi qui la sauves de l’oubli. Parce que tu ne l’oublies pas, tu témoignes à quel point elle a été importante. Sa vie a été importante. (p.205)


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