Jamais je n’ai pensé que ce moment viendrait si
rapidement. La décision est tombée. Fini les chroniques au Progrès-Dimanche.
Situation économique oblige. La raison universelle de justifier les bonnes et
les mauvaises décisions. La dernière chronique, la 605e, celle qui
met fin à l’aventure d’une vie. Un document de 1815 pages. Je souhaitais me
rendre à la 1000e bien sûr. Difficile d’imaginer que le contact ne
se fera plus dans ce journal où j’ai été présent pendant quarante ans.
La littérature du Québec, avec ses grandes figures, ses inconnus et surtout
les écrivains et écrivaines du Saguenay-Lac-Saint-Jean, a donné un sens à ma
vie. Les écrivains d’ici, ceux qui ont changé le théâtre au Québec :
Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Daniel Danis et Jean-Rock Gaudreault
m’accompagnent depuis tant de temps. Des noms connus dans le monde, méconnus
dans leur milieu. Des modèles qu’on voit rarement à la télévision.
Et tous les autres, les Alain Gagnon, Guy Lalancette, Hervé Bouchard,
Élisabeth Vonarburg, Lise Tremblay, Pascale Bourassa, Marjolaine Bouchard, Dany
Tremblay, Jean-Pierre Vidal. La liste pourrait s’allonger. Plus de 155
chroniques, plus de 25 pour cent des textes, mettent en valeur ces écrivains
qui disent la région. Pour plusieurs, c’est le seul écho après une publication.
Blogue
Je leur ai offert une plate-forme mondiale en 2010 avec le blogue http://yvonpare.blogspot.ca.
Soixante pour cent des visiteurs proviennent du Québec et du Canada. Les autres
sont des États-Unis, d’Allemagne, de Russie, de Pologne, de la Belgique, de la
France et des pays du Moyen-Orient. Une fréquentation en constante
progression, une diffusion faite uniquement sur les médias sociaux. J’ai la
prétention de croire que quelques auteurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du
Québec sont lus dans le monde grâce à ce blogue. La preuve que l’écrivain, peu
importe son lieu de résidence, parle à la planète. Il n’y a pas de littérature
régionale, mais une seule et belle et grande littérature du Québec.
Économie
La littérature au Québec a généré des revenus de près de 700 millions $ en
2012. Des milliers d’emplois dépendent de ce secteur. Le cinéma, dont on parle
avec raison, traîne loin derrière avec des recettes de 170 millions $. Quatre
fois moins de revenus et pourtant cent fois plus de visibilité que les
écrivains. J’ai répété ces faits pendant des décennies aux élus, aux patrons,
aux lecteurs. Comment expliquer le succès du Salon du livre du
Saguenay-Lac-Saint-Jean avec ses 20 000 fidèles? Un taux de fréquentation
enviable. Par comparaison, il faudrait que le Salon du livre de Montréal
accueille près de 300 000 visiteurs pour présenter des statistiques comparables
à celles du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, alors qu’il attire 120
000 visiteurs bon an mal an. Il y a des lecteurs ici comme ailleurs, n’en
déplaise aux alarmistes qui agitent la cloche de l’analphabétisme.
Un roman, une nouvelle, un essai bousculent la
société, la dérangent, la montrent sous un angle souvent peu favorable. Nous ne
sommes pas dans les publicités où tout est parfait. Nous plongeons dans la
fissure, la blessure, ce qui fait que la société va de travers parce que la
plupart des gens n’arrivent pas à s’identifier aux gagnants, aux vedettes
interchangeables, aux rois du rire et de la blague vermoulue. Nous ne sommes
pas dans la consommation, l’étourdissement, l’instinct. Nous scrutons l’être,
l’âme humaine.
La littérature demeure un refuge pour la pensée, la
réflexion en cette époque qui glisse imperceptiblement vers un autre Moyen-Âge
où la mémoire et le savoir-faire disparaissent dans le trou noir d’un disque
dur qui avale tout. L’expulsion de la pensée et de la réflexion des universités
et des médias est inquiétante. Reste le culte du je, du moi
dilatable, l’émotion, le vécu dans ce qu’il a de plus réducteur, l’opinion
jetable à la radio, à la télévision, dans les journaux. Opinion qui tue la
pensée, relève du bavardage, de la perte de temps, de l’humeur et des pulsions.
Le blogue
Certains suggèrent de continuer sur le blogue, «bénévolement». J’ai
toujours défendu l’écrivain pour qu’il soit reconnu comme un professionnel et
qu’il soit rémunéré pour ses interventions publiques. J’aime la littérature, le
livre, mais pas au point de renier la démarche d’une vie.
Des dizaines de personnes ont écrit des lettres de protestations aux
dirigeants du Quotidien et du Progrès-Dimanche. De quoi m’ébranler. Je ne
pensais pas que c’était possible.
Vous avez été merveilleux, incroyables. J’en garderai un souvenir précieux.
Merci de m’avoir lu, de me l’avoir dit si souvent. Merci de lire envers et
contre tous. La littérature québécoise a besoin de vous.
Cette 605e chronique est la dernière à paraître
dans le Progrès-Dimanche.
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