dimanche 29 septembre 2013

Larry Tremblay nous pousse dos au mur



Larry Tremblay fait encore preuve d’une constance remarquable au théâtre, en poésie et dans le roman où il ne cesse de surprendre en explorant des thèmes singuliers. Le mangeur de bicyclette et Le christ obèse font partie de mes bons souvenirs de lecteur. Le Christ obèse, prix du roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l’an dernier, était un véritable bain d’acide. On en sortait amoché, en se demandant ce que peut cacher l’esprit des humains.

Dans L’orangeraie, Amed et Aziz, des jumeaux, vivent une vie relativement heureuse dans la propriété de leurs parents. Les deux sont des copies conformes, des reflets que leur grand-mère prend plaisir à confondre.
«Leur grand-mère s’appelait Shaanan. Avec ses mauvais yeux, elle les confondait tout le temps. Elle les appelait ses deux gouttes d’eau dans le désert. Elle disait: «Cessez de vous tenir par la main, j’ai l’impression de voir double.» Elle disait aussi: «Un jour, il n’y aura plus de gouttes, il y aura de l’eau, c’est tout.» Elle aurait pu dire: «Un jour, il y aura du sang, c’est tout.»» (p.11)
Tout serait parfait s’il n’y avait cette guerre sans fin ni commencement. Il semble aux enfants qu’il y a toujours eu ces conflits, des attaques et des morts. L’ennemi vit de l’autre côté des collines, tout près. On cultive la haine avec délectation qui rend plus vivant que vivant. Les hommes rêvent de tueries et de carnages.
Un jour, une bombe pulvérise la maison des grands-parents. Des morts atroces. Zohal, le père des jumeaux, enterre ses parents la rage au cœur. Une mort exige toujours une autre mort. Une sorte d’équilibre nécessaire à la poursuite de la guerre.
« — Des chiens habillés. Nos ennemis sont des chiens habillés. Ils nous encerclent. Au sud, ils ont fermé nos villes avec des murs de pierre. C’est là que Halim est parti. Il a traversé la frontière. Soulayed lui a expliqué comment faire. Il est passé par un tunnel secret. Puis, il est monté dans un autobus bondé. À midi, il s’est fait exploser.» (p.36)
Le carnage. Halim, un jeune garçon a rempli sa mission. Il est devenu un héros, une sorte de saint. Le tour des jumeaux vient. Il faut venger la mort des grands-parents. L’un d’eux doit partir avec une ceinture d’explosifs et tuer pour tuer. Qui d’Amed ou d’AzIz sera désigné? Aziz est atteint d’un cancer et il lui reste peu de temps à vivre. Qui choisir?

Substitution

Avec la complicité de sa mère, Aziz prend la place d’Amed qui a été désigné par le père. L’un devient l’autre. Larry Tremblay aime ces bascules où les identités sont inversées. On avait cela dans Le christ obèse où la victime devient le tortionnaire. Que dire des couples improbables où l’un tente de se voir dans l’autre comme dans un miroir dans Abraham Lincoln va au théâtre?
On imagine la culpabilité d’Amed. Il a envoyé son frère à la mort parce qu’il avait peur. Il portera cette lâcheté toute sa vie.
«La douleur que je ressentais au ventre s’est transformée. Je veux dire, ce n’était plus de la douleur, mais une force qui devait à tout prix sortir de moi. Je me suis défait de l’étreinte, de Soulayed pour me précipiter vers la photo. J’ai fracassé la vitre d’un coup de poing et j’ai déchiré la photo en deux lambeaux qui pendaient du cadre.» (p.136)

Amed migre en Amérique, fuit ou retrouve des fantômes en devenant comédien. Il est une sorte d’errant qui ne peut échapper à son ombre.

Confrontation

Nous nous heurtons au drame de ces enfants sacrifiés au nom de haines ancestrales. Des vies brisées. Et ici en Amérique, que savons-nous de ces guerres, que pouvons-nous en dire? C’est à cela que le dramaturge tente de répondre à la fin. L’horreur imaginée et l’horreur vécue sont peut-être des gouttes d’eau, mais elles ne peuvent avoir la même saveur. Tremblay nous laisse avec un témoignage bouleversant d’Amed, cet homme coupable d’être vivant. Peut-être est-ce le drame de ceux qui survivent à ces atrocités, qui perdent des proches, des frères ou des grands-parents dans des attentats. Comment vivre avec la certitude d’avoir trahi? Comment témoigner quand nous n’avons pas vécu l’horreur? Larry Tremblay jongle avec ces questions dans une langue magnifique, sensuelle qui donne du poids à ses propos. Comme s’il fallait le beau pour faire ressentir l’horreur.

L’orangeraie de Larry Tremblay est paru aux Éditions Alto.

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