Quelle histoire que Mân de Kim Thuy! Le roman tient son titre du nom de l’héroïne, une Vietnamienne. «Voilà pourquoi je m’appelle Mân, qui veut dire «parfaitement comblée» ou «qu’il ne reste plus rien à désirer », ou «que tous les vœux ont été exaucés». Je ne peux rien demander de plus, car mon nom m’impose cet état de satisfaction et d’assouvissement.» (p.34) Le lecteur sera subjugué par le cheminement de cette femme qui n’exige rien de la vie, mais qui découvrira un autre monde et peut-être, le plus important, son être.
Mân se marie, sans l’amour et
les grandes passions qui secouent le corps et l’âme.
«Il était de ceux qui ont
vécu trop longtemps au Vietnam pour pouvoir devenir canadiens. Et, à l’inverse,
qui ont vécu trop longtemps au Canada pour être vietnamiens de nouveau.» (p.14)
La tradition veut cela et la
fille, même si elle est «comblée, rassasiée», voit la vie lui préparer des
surprises.
«Je lui ai tendu le verre de
limonade à la lime salée que ma mère lui avait préparé. Lui-même ressemblait à
ces limes brunes marinées dans le sel, chauffées au soleil et dénaturées par le
temps, car son regard était non pas vieux, mais vieilli, presque flou, délavé.»
(p.18)
Les grandes émotions passent
par un regard, un geste de la main, un simple sourire.
L’exil
L’homme est propriétaire d’un
restaurant à Montréal où l’on sert des mets de son pays d’origine. Il est
revenu au Vietnam pour dénicher une épouse obéissante et travaillante, une compagne
dévouée et silencieuse, une servante pour tout dire qui obéit au doigt et à l’œil.
La guerre qui a déchiré le
pays, l’affrontement entre le Nord et le Sud, se profile. La mère de Mân a vécu
cette époque où tout pouvait basculer d’un côté comme de l’autre.
«Contrairement aux autres mères
vietnamiennes, qui misaient sur la loyauté et la gratitude de leurs enfants, Maman
voulait que j’oublie, que je l’oublie parce que j’avais une nouvelle chance de
recommencer, de partir sans bagages, de me réinventer. Mais c’était impossible.»
(p.52)
Installée à Montréal, la
jeune femme est confinée dans la cuisine du restaurant où elle prend les choses
en main. Son savoir attirera ses compatriotes d’abord et un public de plus en
plus nombreux. Elle deviendra une cuisinière exceptionnelle et sa réputation
attirera tous les regards.
J’ai adoré découvrir un
savoir ancestral, des mets qui font saliver. Tout y est. Je pense que je vais
essayer quelques recettes à partir des façons suggérées par Kim Thuy. J’ai
fermé les yeux et je humais des effluves, imaginais des agapes. Ce roman permet
au lecteur de goûter, de sentir et de découvrir une gamme d’émotions grâce à la
magie des mots.
Succès
La petite émigrée deviendra
une vedette grâce à son amie Julie, son contraire au Québec, son alter ego. Elle
croisera Luc lors d’un voyage en France, vivra la passion et l’amour. Une illumination
pour cette femme qui n’a jamais songé à avoir une vie où elle vit ses pulsions
et ses désirs.
«Nous avons passé la nuit à
mesurer et remesurer son long fémur contre le mien, à compter le nombre de
baisers requis pour recouvrir mon corps en comparaison avec le sien et,
surtout, à se moquer de mon impatience à son arrivée.» (p.133)
Un bijou de roman gorgé
d’images et de fragrances. Une exploration qui part d’un mot vietnamien et de son
pendant français pour nous entraîner dans le plaisir du langage et des papilles.
Fascinant.
Belle manière de dire, comme
si tout se déroulait selon une chorégraphie étudiée longuement. Une méditation
sur l’art d’aimer et de cuisiner, l’éducation des enfants et la vie.
Mân n’ira pas jusqu’à tout
recommencer avec Luc. Elle protège son secret, le partage avec sa mère qui a
vécu un grand amour auquel elle a dû renoncer au temps de sa jeunesse. La
tradition est trop forte pour qu’elle coupe toutes les amarres et s’abandonne à
la passion comme le ferait son amie Julie.
Pour la finesse, la
délicatesse, la vie dans toutes ses dimensions, il faut lire Mân. Kim Thuy se faufile entre la
tradition vietnamienne et les manières parfois déroutantes des Occidentaux avec
une justesse unique. Le meilleur des deux mondes, peut-être. Quel bonheur de
s’attarder sur ces pages! Quelle fraîcheur, quelle façon de nous entraîner dans
la passion.
Mân de Kim Thuy est paru aux Éditions
Libre expression.
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