dimanche 17 juillet 2011

Isabelle Vinet dévoile des secrets de famille

La fatalité existe, du moins dans les romans. C’est ce que l’on peut croire en lisant «Belles-Amours Junction» d’Isabelle Vinet.
 Les femmes de la famille Thompson sont marquées d’une génération à l’autre. Constance, la dernière de cette longue lignée qui a connu des ruptures, la violence et des amours impossibles, vit en marginale. Elle est la maudite.
«J’ai étudié, connu plein de gens, beaucoup bu, fumé de tout, et en l’absence creuse d’hommes en ma demeure et en dépit de ma disgrâce, sinon à cause d’elle, ma chair s’est trop souvent écartelée pour accueillir celle des garçons. Mais ma différence ne s’est jamais fait oublier. Et même cachée derrière mon personnage, je n’ai pas réussi à mourir.» (pp.15-16)
Comme si l’héritage de ces mauvaises mères l’avait dévisagée pour la démarquer de ses semblables.

La divergente

Constance vit dans la maison ancestrale avec ses tantes et ses cousines. Elle est la sorcière, dit Hélène, la divergente de corps et d’esprit. Elle travaille à la bibliothèque, se passionne pour les trains qui secouent le village, permettent de rêver de départs et d’arrivées, de fuir sa vie comme de la retrouver peut-être.
«Depuis une heure, j’écoute les molosses d’acier s’ébrouer, grincer, s’entrechoquer, tandis qu’un peu partout, semblables à des valets soumis, des hommes vêtus de sombre, embrasés par un dossard orange, s’affairent autour de ces monstres, les séparant pour ensuite les aligner autrement, nouveaux frères dans l’attente d’une destination inconnue.» (p.17)
Elle met la main sur le journal de son ancêtre Zoé qui s’est jetée dans le puits qui est scellé. La jeune femme y revient jour après jour. Il recèle un secret dont personne ne veut parler.
«Il est magnifique, ce puits de maçonnerie. Un vrai puits comme on en voit dans les films. Quand j’ouvre le couvercle du puits, je peux plonger. Ou m’envoler. De ses pierres suinte l’appel de l’eau, de la terre, l’appel du vide intersidéral. Le puits, c’est comme un tunnel qui relierait les profondeurs telluriques à l’immensité cosmique. Comme l’œil de la terre, grand ouvert sur le ciel. Et si peux flanquer la frousse à Hélène en ayant l’air de vouloir y plonger, dans ce puits, c’est encore mieux. Non que l’idée ne m’ait pas effleurée. Surtout depuis que j’ai lu le cahier.» (p.78)
En lisant et en réécrivant le journal de son ancêtre, Constance apprend la vérité sur sa mère, sa famille et surtout sur ses oncles qu’elle ne cesse de magnifier depuis son enfance.

Gâchis

Un mélange explosif où les rapports entre ces êtres blessés s’avèrent particulièrement difficiles. Elles n’arrivent pas à aimer les hommes qu’elles croisent, encore moins leurs filles.
«Tout ce gâchis à cause de ma propre mère, Madeleine, la grand-mère que tu n’as pas connue. Ma mère m’a élevée seule, ma mère qui portait son passé d’enfant mal aimée comme un trophée. Elle avait endossé son enfance difficile comme une armure d’autosatisfaction qui la rendait infaillible et incontestable, prétendant n’agir et ne parler que pour mon bien. «Tu es une petite fille heureuse, toi!» affirmait-elle, sans s’assurer que je ressentais bien la félicité que je devais ressentir pour la confirmer dans sa compétente maternelle.» (p.159)
Un roman terrible de non-dits où l’on passe de l’une à l’autre pour reconstituer le puzzle de ces vies qui échappent à la banalité. Il faudra la mort violente d’Hortense, une tante alcoolique, pour percer des secrets et remettre les choses en perspective.
Tout vibre, gémit, aime, se dispute une place dans cette fresque singulière. Une rage qui finit par s’apprivoiser quand tout est dit, quand toutes ont expié en quelque sorte. Hortense rejoint sa mère dans le puits et Madeleine meurt d’une longue agonie. Alors seulement Constance apprend la vérité sur ses oncles et bien d’autres choses.
Un roman de passion et de colère, de silence et d’agressions qui étouffent toutes les femmes de cette famille. Absolument fascinant, trouble, porté par une écriture ample qui ne cesse de rebondir. Une véritable épopée qui permet de découvrir les amours illicites et les secrets des pères. Constance retrouvera même un frère dans cette quête. La vérité a un prix, celui de briser les plus beaux souvenirs.

«Belles-Amours Junction» d’Isabelle Vinet est paru aux Éditions Trois-Pistoles.
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=459

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