Voilà un livre qui ressasse
beaucoup plus de questions qu’il ne fournit de certitudes. Il est plutôt rare
qu’un contemporain tente de tisser des liens entre la pensée de maintenant et
des réflexions qui ont porté la civilisation occidentale. Alain Gagnon est
de cette race de jongleurs qui restent fidèles à eux-mêmes sans se soucier des
modes et des croyances.
Alain Gagnon, dans «Propos pour Jakob», dans une sorte
de testament intellectuel, lègue à son petit-fils ce qu’il a de plus précieux.
Avec trente-quatre publications, cet écrivain est riche de mots et de phrases.
Ici, il s’attarde à des questionnements qui ont marqué sa vie de lecteur et
d’écrivain.
«À ma mort, je ne te laisserai rien ou si peu. Je serai pauvre. Par
paresse, manque de discipline, insouciance et aptitude aux plaisirs, mes
comptes en banque seront vides ou presque. Cet ouvrage te tiendra lieu de legs.
Ne sois pas trop déçu. Je t’ai aimé comme personne, et j’espère me faire pardonner
en t’offrant ce qui m’est le plus cher : sur quelques pages, ces
intuitions puisées dans l’héritage commun et en moi-même, parfois. Si tu en
tires quelque profit, je serai moins mort, et tu seras peut-être un peu plus
vivant.» (p.9)
L’entreprise s’avère noble et intéressante. Le lecteur trouvera peut-être
pourquoi cet écrivain a tant écrit, exploré l’essai, la poésie, le roman et le
récit.
LECTURES
Des sujets, des questions ont suivi Alain Gagnon sans qu’il ne trouve de
réponses définitives.
«Je tenterai d’expliquer ce qui toujours me dépasse. Je le saisis
pleinement. Je ne me sous-estime pas, mais je connais l’ampleur du sujet, tout
comme celle de mes insuffisances. Je m’avancerai donc à tâtons, à pas prudents
de loup…» (p.9)
Qu’est-ce qui hante l’écrivain, l’homme, le père et le grand-père ? On
pourrait résumer simplement : qui sommes-nous, pourquoi vivons-nous et où
allons-nous ? Est-ce que la vie a un sens et où se situe l’homme dans cet
univers affolant?
L’écrivain n’est pas de ceux qui se forcent à assister aux rituels et aux
cérémonies liturgiques même s’il est croyant. Il parle plutôt d’une forme
d’immanence, de Dieu qui est la source et l’aboutissement de tout. Certain de
rien, il fait le pari de croire.
«À mon avis, le seul fait que l’humain soit en quête d’un univers plus
éthique, prouve une source de l’éthique (Dieu) ; tout comme le seul fait que
l’humain souhaite l’immortalité, incline à croire à sa propre immortalité,
présente ou future. Il ne saurait désirer ce qu’il ne peut atteindre, comme
individu ou espèce.» (p. 24)
Ces conclusions sembleront bien minces à l’athée ou à l’irréductible
sceptique.
LES MAÎTRES
Alain Gagnon revient à des penseurs qui l’ont accompagné toute sa vie.
Marc-Aurèle entre autres.
«J’ai privilégié l’empereur, non pour m’attirer ses faveurs, il est mort ;
mais plutôt parce que j’aime sa concision et, surtout, j’ai entretenu avec lui
de longues fréquentations. Il n’a jamais quitté mon chevet. J’ai en main son
ouvrage « Pensées pour moi-même » dans une traduction de Meunier, acheté la
première année de mon mariage avec ta grand-mère. J’étais encore étudiant.»
(p.31)
Il y a plusieurs de ces magisters qui l’accompagnent depuis toujours.
Maître Eckhart, François Villon, Aurobindo, Teilhard de Chardin et bien
d’autres. Il ne manque pas non plus de secouer certains de ses ouvrages :
«Lélie ou la vie horizontale», «Thomas K» et «Kassauan». On retrouve là la
fibre qui porte l’entreprise d’écriture riche et diversifiée de cet écrivain.
Il se fait compagnon de Jean Désy qui s’attarde aux mêmes questions dans «Âme,
foi et poésie». La réflexion d’un homme qui sent le besoin de regarder derrière
lui pour mieux entreprendre le reste de la traversée.
C’est rassurant, pour ne pas dire nécessaire de
pouvoir lire ce genre d’ouvrage qu’on ne retrouvera certainement pas dans le
palmarès des ventes. Il ne sera pas non plus l’un des invités de «Tout le monde
en parle». Les écrits de cet écrivain sont là pour durer et résister à
l’éphémère. Le genre de livre qui peut vous accompagner pendant toute une
vie.
PROPOS POUR JAKOB d’Alain Gagnon est publié à la
Grenouille bleue.
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