vendredi 21 juillet 2006

Line Gaudreault puise dans l’histoire judiciaire

Line Gaudreault, journaliste à Alma, publiait il y a quelques mois son premier roman chez Lanctôt Éditeur. Madame Gaudreault a choisi le chemin de l’histoire pour faire son entrée dans le monde de l’écriture. Le genre attire bon nombre de lecteurs. Elle s’attarde à Emily Gallop, originaire du Nouveau-Brunswick, accusée d’avoir empoisonné son mari à Isle-Maligne en 1925, lors de la construction des grands barrages sur la rivière Grande décharge et de la plus grande centrale électrique du monde.
Tout condamnait cette femme qui avait eu la mauvaise idée de prendre pour amant un jeune Amérindien de Pointe-Bleue. Walter Simpson travaillait au chantier et chambrait chez Emily. Abraham Gallop, le mari, travaillait au même endroit et ne détestait pas lever le coude.
Walter ne comprenait pas l’anglais et le français était une langue inconnue pour Emily. Les corps, semble-t-il, se comprennent sans les subtilités du complément d’objet direct.
«La différence de langue dans leur cas est pour l’instant une alliée plutôt qu’une barrière. Quoi de moins compromettant, pour des amants, que de ne partager que l’attrait de la chair, sans rien avoir à traduire par les mots? La liaison a ainsi toutes les chances de demeurer charnelle, sans devenir risquée.» (p.9)

Le procès

Une grande première pour Roberval. Tous veulent voir et entendre. Les curieux se massent dans la petite salle du Palais de Justice du boulevard Saint-Joseph pour ne rien manquer. Ils sont prêts à en venir aux coups presque pour assister à ces journées mémorables. Pour le plaisir aussi de pouvoir raconter les événements aux malchanceux qui n’ont pu se trouver une place. Roberval vit dans une sorte de transe.
Les voisins, les compagnons de travail répondent aux questions des procureurs et tentent de reconstituer les événements. Qu’est-il arrivé à Abraham Gallop? Emily est-elle coupable?
«L’odeur de foin coupé enveloppe encore l’air chaud et humide qui s’engrange sous forme de pluie dans les nuages au-dessus du lac. C’est une soirée idéale pour faire cailler le lait. Les grumeaux de lait caillé ont tellement bon goût, saupoudrés de cassonade sur des fraises ou mélangés à la salade du jardin avec les échalotes.» (p. 148)
Les jurés condamnent Emily malgré le lait caillé. Il y a appel, un second procès où le juge tombe malade avant les plaidoiries. Il faut tout recommencer. Malheureusement pour les curieux de la région, le troisième procès se tiendra à Québec.

Histoire

Une femme adultère, anglophone de surcroît, un témoin et amant amérindien, une mort par empoisonnement dans un milieu plus catholique que l’évêque. Line Gaudreault avait les éléments d’une très bonne histoire. Mais cela ne suffit pas à faire un bon roman. L’occasion était belle pourtant pour décrire la société, des mœurs et les changements qui s’amorçaient dans la région avec l’arrivée de ces «étrangers» et de la grande industrie.
Line Gaudreault ne s’éloigne pas des délibérations et des témoignages.
«Les témoins profitent de leur séjour à Roberval aux frais de la Couronne pour arpenter la ville et contempler la splendeur du grand lac Saint-Jean qui s’étend comme une plaine bleue une fois le vent du soir tombé. Les prisonniers et amants de l’été dernier n’ont pas cette chance d’assister au magnifique coucher de soleil pareil à une boule de feu s’enfonçant au creux de l’horizon frileux.» (p.81)
Le monde judiciaire demeure une source inépuisable pour les romanciers. Mais encore faut-il faire le travail et ne pas se contenter de surfer sur les éléments rapportés dans les journaux. Une solide documentation est nécessaire, mais ne règle en rien les difficultés de l’écriture.
Line Gaudreault dévoile un autre volet de notre histoire, c’est là tout son mérite. L’intérêt s’étiole rapidement après le premier procès. Il aurait été essentiel de prendre ses distances et de trouver une manière astucieuse de raconter une histoire fort intéressante. L’auteure se contente de broder autour des interrogatoires en glissant quelques éléments du quotidien ici et là. Dommage!

«Le procès d’Emily» de Line Gaudreault a été édité chez Lanctôt Éditeur.

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