Peu d’écrivains publient les réflexions qui surgissent des rencontres et des soubresauts de tous les jours.
Jean-Pierre Guay a osé «cette littérature sans parachute», tentant par tous les moyens de coller à sa pensée et à l’émotion quotidienne. Il s’est fait beaucoup d’ennemis avant de basculer dans le mysticisme. L’ensemble du journal de Jean-Pierre Guay est publié aux «Écrits des Forges».
Nous étions une centaine à suivre cette démarche émouvante, semble-t-il. Bruno Roy était du nombre et il publie son «Journal dérivé» par segments depuis 2003. L’aventure débute avec le volet «Lecture», suit «L’écriture» et, dans un troisième temps, plonge dans «L’espace public». «L’Espace privé» paraîtra sous peu.
Bruno Roy a connu un cheminement exceptionnel. Enfermé dès son plus jeune âge dans un asile, cet orphelin de Duplessis s’est retrouvé pratiquement analphabète à l’âge de quinze ans. Il a pourtant trouvé le moyen de soutenir une thèse de doctorat sur la chanson québécoise.
«J’ai été un enfant qu’on a détourné de son enfance. Je suis né contre les valeurs morales d’une époque. J’ai grandi en l’absence d’une mère et d’un père restés inconnus. Interné illégalement dans un hôpital psychiatrique de sept ans à quinze ans, je suis devenu écrivain», lance-t-il dans un cri en présentant le volet «Écrire».
Langage
C’est par le langage et l’écriture que Bruno Roy s’est extirpé de l’anonymat qui pèse si lourd sur les épaules d’un enfant amputé de son passé. «Journal dérivé» couvre trente ans de vie, de réflexions et d’engagements, présente cet humaniste et homme d’action exceptionnels.
«L’espace privé» devrait émouvoir, même si le lecteur s’est familiarisé avec son monde dans «Mémoire d’asile», «Consigner ma naissance» et «Les calepins de Julien».
Bruno Roy est aussi à l’origine de la série «Les orphelins de Duplessis» présentée à la télévision. Encore là, il a dû faire reconnaître ses droits d’auteur. Dans «Écrire», il raconte ses démêlés avec le producteur et l’écrivain Jacques Savoie qui contestaient son apport au scénario et aux dialogues. Pas très édifiant!
Ce spécialiste de la chanson québécoise, il a écrit des textes pour Chloé Sainte-Marie, est un pédagogue généreux, intègre malgré les obstacles; un homme de paroles qui multiplie les engagements dans les syndicats d’enseignants, à l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec et auprès des Orphelins de Duplessis.
«Écrire m’a appris à me défendre. Les mots sont encore pour moi des armes de précision. Je pense que je dois au milieu de l’éducation d’avoir aiguisé ma conscience critique», précise-t-il en ouverture de son troisième volet.
Durs combats
Les déceptions furent nombreuses pour les orphelins, particulièrement pour Bruno Roy, leur porte-parole. Malgré des excuses, Lucien Bouchard et l’Église sont demeurés sourds devant les revendications de ces largués de la société. Il a fallu que Bernard Landry devienne premier ministre pour qu’ils obtiennent des indemnités individuelles. Dix ans de démarches!
Bruno Roy, comme président de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec, a réclamé pendant plus d’une décennie que la littérature québécoise occupe une place plus grande dans les institutions d’enseignement et les médias. On ne semble pas l’avoir encore entendu.
«Journal dérivé» fait revivre cette période où le Québec fonce vers la modernité, tente de se donner un visage. Nationaliste convaincu, Roy décrit ces années avec une justesse qui échappe au temps.
Autant lire à petites gorgées toutefois. Les pages sont denses. Le découpage par thème rend l’ensemble un peu aride et peut décourager un lecteur impatient. Même si, personnellement, j’aurais préféré le «Grand tout» pour accompagner l’homme qui réfléchit, s’attarde dans des lectures ou s’engage dans des luttes épuisantes, l’aventure demeure unique.
Enseignant, poète et écrivain, il n’a cessé de chercher le chemin le plus fréquentable, de multiplier les expériences. Bruno Roy parcourt le Québec et aime rencontrer les jeunes dans les écoles pour parler littérature et création. Il était à Chicoutimi, il y a quelques semaines et de «Voie d’échange» sur le Saguenay, l’été dernier.
Heureusement, il y a des Bruno Roy au Québec qui choisissent l’intégrité et la réflexion pour se forger une identité. C’est rafraîchissant en ces périodes fangeuses où Vincent Lacroix de Norbourg et les inventeurs de commandites font les manchettes. Bruno Roy fait croire en l’humanité.
«Journal dérivé»; Bruno Roy»; «La lecture», «L’écriture», «L’espace public», 1970 à 2000 sont parus chez XYZ Éditeur.
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