Serge Bruneau nous entraîne
dans un monde un peu étrange dans «Quelques braises et du vent».
Une famille, du moins ce qui en
reste. La grande sœur Marie, écrivaine, travaille comme serveuse et s’occupe de
son fils Martin. Ses romans n’arrivent pas à se démarquer dans la production littéraire.
«Marie en était à la
rédaction de son cinquième roman qui, aux dernières nouvelles, s’intitulerait
Rendez-vous sur Mars. Elle n’avait jamais eu la main pour les titres et il
semblait que ça n’allait pas en s’améliorant. Si seulement elle s’était ouverte
plutôt que de traiter son travail comme un secret d’État, j’aurais pu lui
soumettre quelques idées. Rien de bien fracassant, mais tout de même mieux que
ce qu’elle avait en tête. Je gardais tout ça pour moi. Je n’avais plus voix au
chapitre. (p.15)
Des livres que Marc, son
frère, trouve plus ou moins intéressants.
Elle a tout pourtant: beauté,
intelligence et de l’énergie à revendre. Elle prépare une manifestation pour
protester contre la présence d’une industrie de textile qui fait la pluie et le
beau temps dans la petite ville depuis des décennies.
Rivière
La rivière Sainte-Camille
coupe la ville en deux et devient le symbole de l’exploitation du milieu. Un
barrage retient les eaux dans la haute ville pour le plaisir des riches et ne laisse
que des flaques stagnantes en bas, surtout quand la sècheresse sévit depuis des
semaines.
Marc doit vivre avec un
handicap après un accident de moto. Il est le liant de cette famille qui s’enrichit
d’un autre frère qui risque sa vie en ingurgitant toutes les drogues
imaginables. Il se retrouve à l’hôpital après un infarctus même s’il est encore
tout jeune.
Marc se sent responsable de
sa sœur, de son frère même si cela ne clique guère entre les deux, de son père
aussi, un itinérant qui n’est pas dépourvu de bagou et de charisme. Un sujet
tabou. Marie et Karl deviennent particulièrement virulents quand il est
question de lui.
«Victor avait été marin,
boxeur, plombier, mécano, jardinier, cuisinier, routier, barman, conducteur de
taxi, journalier, trappeur, un peu père, très peu époux. Parfois un moment, il
n’était que soûl.» (p.43)
De la mère, il n’en est jamais
question.
Manifestation
Marie prépare un grand coup
pour donner un élan à sa carrière d’écrivaine peut-être. Comment séparer l’actualité
de la fiction? Une occasion pour elle de faire le ménage dans sa vie peut-être.
«Il m’arrivait de le
comprendre, tout comme il m’arrivait de considérer son attitude injuste envers
Marie. Elle écrivait, et c’était pas rien. Un écrivain, ça ne pouvait pas
toujours se balader avec un air bienheureux plaqué en plein visage. Passer le
monde sous la loupe, le décortiquer, le désosser pour y trouver le nerf
sensible devait valoir un minium de compréhension, pour ne pas dire de respect.
Depuis quand demandait-on aux écrivains de filer comme des fusées dans un
firmament de plus en plus encombré?» (p.127)
Les manifestants envahissent
la ville et la violence éclate. Un sujet particulièrement d’actualité.
Drame
Marc en voulant protéger tout
le monde et surtout son père provoquera un drame terrible.
«L’idée m’était
insupportable. Déjà qu’il avait tout Rivière-Sainte-Camille sur le dos… Qu’on
se moquait de chacun de ses gestes… Qu’on ne ratait pas l’occasion pour le
pointer du doigt, grimacer sur son passage, se pincer le nez pour combattre sa
puanteur. Le pire était d’imaginer Marie devant ce mauvais spectacle qui
viendrait bafouer tant et tant d’efforts pur que les consciences s’éveillent et
poussent à l’action… Des mois de travail et d’espoir. Tout ça anéanti, éclipsé
par l’intervention burlesque de son propre père.» (p.156)
Serge Bruneau a l’art de
mettre en scène des personnages particulièrement séduisants. Ses héros, je
pourrais les croiser à tous les jours en me rendant à l’épicerie.
Chacun cherche sa petite
place au soleil, se débat avec ses peurs et ses angoisses. Toujours tendre, humain
et plein d’empathie. Une forme de grand art du quotidien. Je crois qu’il n’y a
pas d’autres mots pour qualifier l’œuvre de Serge Bruneau.
Juste, émouvant, avec une
écriture qui coule de source. Un écrivain trop discret qui mériterait d’être
mieux connu et apprécié.