Maude Veilleux, dans Le
Vertige des insectes, une histoire en apparence banale, ancrée dans le
quotidien, ne semble aller nulle part. Pourtant, un détail, un geste,
l’impression qu’un drame couve, que tout va basculer d’un moment à l’autre,
vous retient. Un terrible malaise. Les jours emportent Mathilde et nous voilà
pris au piège. Les indices, disséminés un peu partout, prennent toute leur importance
quand le geste de la jeune femme, à la toute fin, vous éclabousse. Une lente
dérive des continents, un piège qui se referme peu à peu et laisse abasourdi.
Certains moments de
l’enfance sont impossibles à effacer. Ils sont là, toujours prêts à refaire
surface à la moindre occasion. Il suffit souvent d’un regard, d’une rencontre
et tout revient, comme si le temps se repliait pour vous ramener à un événement
qui a tout bouleversé.
Mathilde vit dans la
grande ville avec son amoureuse, poursuit des études et tout semble bien aller
dans le meilleur des mondes. Elle partage son appartement avec Jeanne et Thomas,
un ami discret, un garçon qui vit des escapades amoureuses à gauche et à droite,
dont une avec une voisine.
La grand-mère de
Mathilde meurt. Il faut y arriver un jour. Une grand-mère aimée et aimante,
toujours présente, capable de l’écouter et de la conseiller. Un choc, une
grande peine qui font ressurgir une foule de souvenirs.
Elle se sentait seule, mais surtout
étrangère à cet endroit ; des années la séparaient de ses douze ans. Elle
aurait voulu porter une casquette encore une fois, remplir son sac de biscuits
secs pour se rendre au village, dépenser ses économies en bonbons, jouer avec
son frère dans la forêt. Oui, surtout jouer avec Christophe, n’importe où.
(p.16)
La mort de son jeune frère alors qu’elle
n’était qu’une fillette la hante même si elle a tout fait pour oublier. Elle se
sent responsable de cette tragédie. Le remords la ronge et vient la surprendre,
ébranler toutes ses certitudes.
Une assiette apparut devant elle. Elle la
repoussa ; une angoisse nauséeuse la tenait. Une gorgée d’eau pour caler le
dégueulis des souvenirs. Elle voyait les mêmes visages, treize ans plus tôt.
Assis au même endroit, parlant des mêmes choses du monde. La grand-tante venue
malgré les neuf heures de voiture qui la séparait du cercueil de Christophe.
Mathilde, trop jeune pour comprendre les conversations d’adultes, devant cette
presque même salade de macaronis, savait que son enfance était affaire du
passé. (p.18)
Le départ de sa
copine pour le Yukon la plonge dans une lente dérive où elle n’arrive plus à
s’accrocher. En fait, c’est plus compliqué que ça. Mathilde est hantée par le
désir d’avoir un enfant, pour réparer peut-être la mort du frère, pour
continuer la grand-mère dans sa descendance, maintenir les liens, tendre un fil
entre les générations.
Souvenirs
Mathilde aide sa
famille à vider la maison de sa grand-mère, fait des boîtes, trouve des objets
qui font remonter des souvenirs, découvre aussi des aspects inconnus de cette
femme qu’elle aimait tant. Cette grande maison que l’on va mettre en vente,
c’est son enfance, sa vie que l’on va brader. Comme si elle faisait
l’inventaire de son passé, n’osait se tourner vers l’avenir.
Mathilde aurait aimé tout conserver, acheter
la demeure et y vivre comme sa grand-mère l’a fait. Des enfants dans les
tiroirs, un chien couché sous la table, un camion stationné dans l’entrée. Elle
se lèverait tôt pour préparer les crêpes aux bleuets, guetterait l’autobus
scolaire le visage collé à la fenêtre. Elle n’aurait jamais peur la nuit. Elle
sortit un pyjama de bébé, caressa le tissu souple au motif de pois. Elle le mit
de côté pour l’apporter chez elle. (p.115)
Elle invente les
occasions pour séduire Thomas et devenir mère. Malgré plusieurs tentatives où
elle pense avoir tout prévu, elle n’y arrive pas. Comme si son corps refusait
la maternité.
Tout s’effrite et Mathilde
s’enfonce de plus en plus dans le silence, dans cette obsession qui la tourmente
du matin au soir. Elle ne s’intéresse plus aux études qu’elle devait poursuivre
à l’automne, se perd quand elle veut lire ou s’intéresser aux gens de son
entourage. Tout meurt autour d’elle. Son chat et les insectes qu’elle ramasse
un peu partout. Même les communications avec Jeanne sont de plus en plus
laconiques et insignifiantes. L’univers se replie pour la broyer. Elle perd
pied et il y a des images d’une exposition qui ne cessent de s’imposer.
Les images vues au musée ne la quittaient
plus. Elle avait abandonné son chandail, parcourait son abdomen, questionnait
les masses sous la paroi de chair. Où percer ? Où ouvrir une brèche ? (p.122)
Une forme
d’accouchement où l’on s’ouvre le ventre pour en laisser sortir les organes
vitaux. Une fascination morbide.
Un roman dense,
réussi. Un monde vous aspire et vous broie. Maude Veilleux place les éléments
du piège et le lecteur est cerné peu à peu. La fin ébranle, surprend, vous fige.
Tout vous poussait vers ce geste et pourtant vous n’avez rien vu. Vous voilà en
train de douter de vos capacités à voir les autres, les drames qu’ils peuvent
vivre.
Des atmosphères, des
déplacements tectoniques qui remuent les profondeurs et broient l’être. Un
véritable jeu d’échecs où tous les éléments poussent vers l’inéluctable. Un drame
qui donne des frissons dans le dos, écrit avec délicatesse.
Le Vertige des insectes, de
Maude Veilleux est paru aux Éditions Hamac,
18,95 $.
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/vertige-des-insectes-695.html
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/vertige-des-insectes-695.html