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lundi 14 novembre 2011

Dominique Fortier est une conteuse formidable

Les familiers de Dominique Fortier peuvent croire que son dernier roman, «La porte du ciel», est moins complexe que «Les larmes de saint Laurent». Il ne faudrait pas se laisser duper cependant. Tout simplement l’écrivaine parvient peut-être mieux à dissimuler les coutures de son histoire. Elle travaille à la manière de ces femmes qui savaient camoufler des messages dans les motifs de leurs courtepointes en Louisiane et en Alabama. 

Elles guidaient ainsi les esclaves en fuite qui cherchaient à joindre l’armée du Nord. Ces travaux d’apparence neutre devenaient des fanions qui balisaient les chemins de la liberté. 
«On m’a dit qu’ils suspendaient à leur fenêtre des courtepointes. Ce sont les motifs qui servent de messages.» (p.203)
Madame Fortier m’a entraîné aux États-Unis, au moment où le territoire est ravagé par la guerre des Sécessions. Un pays aux frontières mouvantes, qui changent selon les avancées et les reculs des armées en présence.
Le Sud où une population blanche possédait tout et décidait de la vie et de la mort des Noirs. Ces derniers étaient traités comme du bétail que l’on vend et que l’on échange. Il faut lire l’admirable livre de Laurence Hill, «Aminata» pour comprendre l’horreur d’une époque où des hommes et des femmes étaient considérés comme des bêtes dont on se débarrassait quand ils vieillissaient et travaillaient un peu moins.

Deux femmes

Eleanor est fille de médecin et Ève une esclave que son père a acheté sur un coup de tête. Elles ont à peu près le même âge et se suivront dans la vie. Chacune consciente de sa place et de ses devoirs. Eleanor se marie à un jeune homme riche et Ève l’accompagne dans la plantation pour servir. Deux jeunes femmes que tout sépare et que tout unit.
«Nous avons été mariés le 15 mai 1864. Trois semaines après mon dix-huitième anniversaire, alors que les magnolias embaumaient l’air dans le salon de la maison où j’avais grandi et que je laisserais moins d’une heure plus tard. J’avais du chagrin à l’idée de quitter la seule demeure que j’avais jamais connue, mais on m’avait promis que je pourrais amener Ève avec moi, et que ma nouvelle maison serait plus grande et plus belle encore. Et puis, il me semblait qu’en passant le seuil ce jour-là, je  deviendrais enfin adulte et libre.» (p.125)
Eleanor trouve un monde dirigé au doigt et à l’oeil par sa belle-mère. Son mari peu loquace se perd dans des recherches et la routine. Et «le devoir conjugal» n’est pas assez pour illuminer la vie de cette jeune femme rêveuse et romantique. Son destin est lié aux travaux de broderie qui occupent son oisiveté.
Tout pourrait changer au retour du frère de son mari, un homme libre et orignal qui a fait la guerre. Relations troubles, sensualité, désirs, ambiance chaude et envoûtante, le roman de Dominique Fortier atteint des sommets.

Narration

En fait, le vrai narrateur de cette histoire est le pays qui voit des hommes et des femmes mourir, aimer, souffrir, rêver et tenter de faire les choses autrement.
La vie est un labyrinthe où il faut s’enfoncer pour affronter son Minotaure. Peut-on en revenir sain et sauf? Ève parviendra à retrouver son lieu d’origine. Eleanor mourra bêtement d’une morsure de serpent parce qu’elle a osé s’aventurer dans la nuit, ce qu’une femme de son milieu ne fait pas.
Bien sûr, le Sud ne peut plus être le même avec l’abolition de l’esclavage. Tout cela mènera à la naissance du Klux Klux Klan, une forme de barbarie raciste dans ce qu’elle a de plus abjecte. Ève échappera au viol de justesse.
Dominique Fortier est une formidable conteuse qui attire son lecteur comme l’araignée qui tisse sa toile Elle nous mène où elle veut sans que nous ayons une hésitation. Un roman fort complexe malgré les apparences. Tout est pensé et organisé, codé comme les fameuses courtepointes.
Un très beau roman qui nous montre les côtés les plus sombres des humains, une Amérique que nous n’aimons guère voir. Voilà une écrivaine de plus en plus certaine de ses moyens. Une véritable virtuose. Impressionnant.

«La porte du ciel» de Dominique Fortier est paru aux Éditions Alto.

lundi 7 novembre 2011

Les bonnes filles vivent leur malheur en silence

Les héroïnes de Claudia Larochelle, dans «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps», ont le goût de la mort sur les lèvres. Elles sont bouleversées par la perte d’un amoureux ou d’un amant, habitées par une forme de désarroi devant la vie qui va toujours trop vite et emporte tout. Des femmes qui doutent dans leur être sans parvenir à trouver une orientation ou un point d’ancrage. Elles hésitent entre l’espoir de tout recommencer et une forme de renoncement.
«Je peux redevenir une femme libre, danser n’importe comment devant des êtres inanimés et beiges qui veulent juste me baiser mal. Je le fais. J’obéis pour arracher de mon corps toute trace de toi. Un nettoyage épidermique. Le cœur se brouille pourtant, comme mon jeu de tarots dans lequel les cartes ne disent plus rien de vrai. Le pendu me ressemble. J’ai collé cette image dans le miroir de ma salle de bains à la place de ta photo.» (p.13)
Faire comme si, jouer le jeu. Être belle, séduisante, performante malgré les blessures à l’âme.

Bascule

La vie a tout saccagé autour de ces femmes, leur jeunesse aussi et leurs certitudes en l’avenir. Elles sont habitées par une grisaille, malgré les gestes qui permettent de sauver les apparences, d’espérer le moins pire peut-être… ou la fin.
Les personnages de Claudia Larochelle glissent sur un fil et peuvent basculer d’un moment à l’autre.
 «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps. Elle savent comment faire et trouvent le temps. Les bonnes filles n’appellent pas à l’aide en hurlant dans le combiné du téléphone. Elles se taisent en revêtent des vestes de laine de couleurs pastel achetées chez Simons. Elles lisent des ouvrages de psychologie populaire sur le deuil, marquent les pages avec un signet rose et se font des tisanes à la camomille pour trouver le sommeil.» (p.97)

La survie

Une veuve séduisante du drame qu’elle porte comme une oriflamme. Une jeune mère qui décide d’en finir et qui regarde son fils sourire en babillant, ignorant la menace et le drame.
«Anne Letendre s’engage sur la voie de service déserte. Si elle tendait l’oreille, elle pourrait percevoir l’agitation des flots, cette complainte hypnotique qui noie les chagrins. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle n’aperçoive pas ce faisceau de lumière s’insinuer entre deux cumulus. Comme une fleur restée blanche à la surface d’une mare de sang, naît ce doute, un fragment d’espérance qui délie brusquement les doigts et fait tourner le regard vers le portable. Il faudrait demander à Stéphane de les attendre pour le souper.» (p.72)
Un rayon de soleil troue les nuages. C’est suffisant. Un moment de beauté retarde le geste fatidique.
Ces femmes vont, viennent dans l’encombrement des jours sans trouver le feu de l’amour qui irradie le corps et fait croire que la vie est bonheur. Textes durs, terribles de justesse et de désespérance.
«Mes cheveux tombent en lambeaux sur l’oreiller, ma peau s’effrite, ma bouche ne peut qu’accueillir son sperme, les aliments ne passent plus. J’ai l’impression de courir contre le temps, armée d’un bataillon de pilules de toutes les couleurs qui ne servent qu’à enrichir les compagnies pharmaceutiques, qu’à donner l’illusion à mon corps qu’il peut encore tenir jusqu’au lendemain. Ce sera quand le dernier lendemain?» (p.117)
 
Fardeau

L’écrivaine s’attarde au fardeau de vivre, de vieillir, de voir les élans de la passion s’éteindre. Le quotidien s’impose. Les gestes de la veille deviendront ceux du lendemain.
Et quelle écriture! Toute de finesse, de douceur pour masquer la tragédie et la douleur. Madame Larochelle montre un immense talent pour décrire la vie qui se flétrit doucement, l’espoir qui a du mal à survivre.
J’ai refermé «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» avec le motton dans la gorge. Une formidable réussite, l’art de décrire les drames et les secousses intérieures que nul ne devine dans les étourdissements du quotidien. Un mal être qui décrit bien la société de maintenant qui se montre particulièrement impitoyable pour les femmes.

«Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» de Claudia Larochelle est paru chez Leméac.

lundi 31 octobre 2011

Pierre Nepveu présente Gaston Miron

Pierre Nepveu a réalisé un travail impressionnant en signant «Gaston Miron, La vie d’un homme». Une biographie de plus de 800 pages, des centaines de références, des photos pour illustrer les différentes époques de ce militant qui a marqué le Québec.
Pas facile de s’y retrouver. Miron a été de tous les combats, de tous les événements littéraires et ce autant à Montréal qu’en France où il a séjourné à de multiples reprises.
Pierre Nepveu, poète, romancier et professeur, a écrit plus que la vie d’un homme. Il a esquissé le portrait du milieu littéraire québécois à partir des années cinquante jusqu’à la mort de Miron en 1996. Il s’attarde à la longue démarche de cet éternel insatisfait qui reprenait sans cesse «L’homme rapaillé», à ses combats pour faire reconnaître notre littérature au Québec et à l’étranger. Il aura été une sorte d’ambassadeur infatigable qui ne ratait jamais une occasion d’intervenir, de convaincre et de s’expliquer. Un militant pour le français, la souveraineté à laquelle il est demeuré fidèle toute sa vie, y sacrifiant du temps d’écriture et bien souvent sa santé.

L’animateur

Miron était plus qu’un poète et un éditeur. Il était un animateur, un homme de convictions qui n’hésitait jamais à retrousser ses manches pour travailler à l’indépendance du Québec qui assurerait l’avenir de la langue française dans cette terre d’Amérique. Voilà le grand combat de sa vie. Il le répètera sur à peu près toutes les tribunes ici et en Europe.
Nepveu plonge dans l’intimité de Miron, le suit pas à pas sans jamais se transformer en voyeur. Il reste respectueux, même s’il n’hésite pas à montrer les contradictions et les hésitations de cet homme fidèle dans ses amitiés comme dans ses convictions.


Les poèmes

J’ai aimé sa façon de montrer la naissance des poèmes «La vie agonique» et «La marche à l’amour» pour ne nommer que ceux-là. Tout commençait par une image, une strophe qu’il retournait dans tous les sens et qui finissait par devenir le poème. Il reprenait chacun de ses vers qu’il considérait «en souffrance» pour les peaufiner et les sculpter. Et même là, son œuvre majeure qu’est «L’homme rapaillé» a toujours été en devenir, une forme de chantier. Il a apporté des correctifs et des modifications jusqu’à la toute fin.
En lisant la biographie de Nepveu, on voit le poème se transformer à chacune des étapes de sa vie et des publications. Les traductions aussi. Miron a été publié en anglais, italien, portugais et autres.
Il écrivait à son corps défendant et les éditeurs devaient faire preuve d’une patience terrible pour réussir à lui arracher un texte. Même qu’il fallait quasi le prendre en otage. Ce fut le cas pour certains textes importants. Il remettait la publication d’année en année, trouvait toujours autre chose à faire ou de plus important à réaliser.

Solitude

Gaston Miron malgré une vie sociale trépidante aura été un homme seul, souvent malheureux en amour, incapable d’approcher une femme ou le faisant avec une gaucherie et une maladresse étonnante. Même qu’il pouvait être parfois un peu grossier. Il aura réussi à exaspérer Marie-Andrée Beaudet lors d’une première rencontre, celle qui devait devenir sa compagne des dernières années.
Célébré partout comme «poète national du Québec», il se comportait souvent comme un adolescent qui tente de masquer sa timidité  en étant frondeur.
Heureusement tout s’apaisera vers la cinquantaine et il pourra couler des jours paisibles auprès de sa compagne.
Un homme tourmenté, angoissé, un peu hypocondriaque, peu sur de lui qui compensait pas une hyperactivité et une certaine gaucherie, pour ne pas dire effronterie.
La tâche était immense et Pierre Nepveu s’en sort magnifiquement bien. L’histoire d’un homme, oui, mais aussi celle de l’édition, de la poésie, de la littérature qui a connu un essor remarquable à partir des années soixante. De la pensée souverainiste aussi. Miron aura été l’un des grands diffuseurs de la littérature d’ici, un artisan de l’édition et un vulgarisateur unique. Il aura été l’auteur d’un livre qui touchera les Québécois et les citoyens du monde. C’est ainsi quand on demeure authentique. Un grand poète, il ne faut jamais l’oublier, un homme attachant, voir fascinant.

«Gaston Miron, La vie d’un homme» de Pierre Nepveu est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 24 octobre 2011

Samuel Archibald subjugue son lecteur

«Arvida» de Samuel Archibald a créé une vague lors de sa parution en septembre. On parlait d’une découverte, de l’événement de la rentrée peut-être.
Je me méfie toujours de ces entrées fracassantes. À la lecture, peut-être que je m’attends à trop, je suis déçu. Souvent.
Ce n’est pas le cas avec «Arvida». Voici un roman étonnant de fraîcheur et d’originalité. Je suis passé par toutes les émotions en lisant ces histoires qui tournent autour de la ville de l’aluminium et de la famille Archibald. L’auteur explique parfaitement ses intentions à la dernière page de son récit.
«Des histoires d’Arvida et d’ailleurs. Des histoires épouvantables et des histoires drôles et des histoires épouvantables et drôles. Des histoires de roadtrip, de petits bandits et de débiles légers. Des histoires de monstres et de maisons hantées. Des histoires d’hommes mauvais comme le sont souvent les hommes et de femmes énigmatiques et terrifiantes comme le sont toutes les femmes. Des histoires vraies que j’écrivais sans demander la permission ni changer les noms, en donnait les dates et le nom des rues.» (p.315)
On ne saurait mieux définir son parcours. Archibald nous entraîne d’un bout à l’autre de la ville pour suivre sa famille et quelques originaux. Nous nous échappons aussi sur les monts Valin pour plonger dans des aventures que les hommes se racontent le soir après avoir suivi les traces d’un orignal et malmené sérieusement une bouteille.

Faits vécus

Samuel Archibald a glané ici et là des histoires, des faits vécus pour créer des moments époustouflants. Je songe à «Foyer des loisirs et de l’oubli», un match épique de hockey entre les anciens joueurs du Canadien et une équipe locale. Cette histoire aussi, ma favorite, celle de «L’animal» qui met en scène un ours apprivoisé et des jeunes filles qui découvrent la vie. Un texte magnifique.
«Il marcha pendant des jours et des jours. Il y avait dans son âme d’ours une connaissance ancestrale des points cardinaux et des exigences de la nourriture et du cycle des saisons et d’une certaine violence mais dans sa tête d’ours il ne connaissait pas la solitude et surtout il ignorait qu’il était normal pour un ours de ne pas avoir de maison.» (p.147)
Le contraire aussi. L’horrible avec «Jigai». Je me suis demandé ce que ce texte faisait dans l’ensemble. Une fausse note, un faux pas je crois. Impensable ces femmes qui se mutilent et finissent en pièces détachées. L’horreur!
Heureusement, la volonté de transcender le quotidien et de le mettre à sa main prend le dessus. C’est souvent truculent et étonnant. Archibald est un conteur imaginatif et un menteur incroyable comme disait ma mère. Le genre à pouvoir transformer un souvenir d’enfance en véritable épopée.
Petits truands qui ratent tout, demeurés qui planifient un meurtre qui tourne à la farce. Victime et agresseur deviendront des inséparables dans «Les derniers-nés».
«La soirée était douce et tranquille et on entendait les estomacs de Raisin et de Martial gargouiller dans l’air du soir. Au début, ils tétèrent tous les trois leur bière en silence, puis la conversation trouva son rythme. Ils parlèrent de la météo, des résultats des matchs et du décolleté émouvant d’une barmaid de la brasserie. Autant de sujets qui semblaient avoir été inventés, ce soir-là, tout spécialement pour eux, tous spécialement pour que les gens comme eux puissent parler de quelque chose.» (p.251)
L’impression de me retrouver dans un texte de John Steinbeck.

L’art de dire

Bien sûr, les résidents d’Arvida chercheront à démêler le vrai du faux. J’ai croisé deux ou trois lecteurs qui s’amusaient à ce jeu. Pas nécessaire pourtant d’avoir parcouru les rues et les parcs de cette ville pour apprécier le roman d’Archibald. L’auteur évoque des histoires qui se répètent lors de ces rencontres familiales où le ton monte après un verre ou deux. Tout cela avec une écriture sentie et belle de vigueur. Un savant mélange qui couvre toute une époque et la transcende.
Samuel Archibald sera certainement un sérieux candidat aux prix littéraires du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’an prochain. Vraiment une belle découverte et un écrivain plein de ressources. Un premier roman remarquable.

«Arvida» de Samuel Archibald est paru aux Éditions du Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/archibald.htm

lundi 17 octobre 2011

Pierre Gobeil atteint un sommet

Peter a dix ans et fonce vers la catastrophe. Plus rien ne va à l’école. Les diagnostics tombent comme des couperets.
«Mon fils de Port-au-Prince. Diagnostiqué dyslexique et dysorthographique avec déficit d’attention dès sa maternelle, il a toujours des difficultés à suivre un programme scolaire et, parti comme ça, il devra sûrement reprendre sa cinquième année.» (p.22)
Pierre Gobeil, l’écrivain que l’on connaît, et son fils s’exilent aux États-Unis, vers Hyannis. Pendant l’hiver, ils vont tenter de reprendre le temps perdu. Les parents se sentent un peu coupable devant ce gâchis scolaire. Que faire? Comment s’y prendre pour que le garçon retrouve sa place dans la société des études?
«Non, à nos yeux, ce ne sont pas l’absence de performances scolaires ou la perte d’un diplôme qui importe, mais le fait que, dans le cas de Peter, il est maintenant malheureux. Pas très malheureux ou encore pas malheureux comme peut l’être quelqu’un qui perd tout espoir, mais assez conscient de ce qui se passe pour nous sembler chaque jour un peu plus triste que la veille et, qu’à seulement dix ans, ça lui arrive de broyer du noir comme ça arrive le jour où l’on commence à réaliser que la vie ne nous apportera jamais tout ce qu’on veut sur un plateau.» (p.23)
De quoi ressasser bien des idées.

Séjour

Ils louent une grande maison où ils vivront à trois. Ils ont apporté Nouky, une petite chienne, un jeune animal qui ne pense qu’à faire la vie difficile à ses maîtres. Tout est calme pendant cette période de l’année. La plupart des résidents sont partis pour le Sud. Les traversiers font la navette entre Martha’s Vineyard et Nantucket. Je connais bien le secteur pour y avoir passé des jours. Des navires réguliers comme les aiguilles d’une horloge.
Français, mathématiques et géographie. Il faut secouer ces matières dont Peter se détache de plus en plus.
«On révise le programme officiel. En tout cas, on se dit qu’on va réviser tout ce qui a déjà été vu en classe, mais je ne suis pas long à me rendre compte qu’on part de très loin et c’est une absence quasi totale de connaissance qui me saute aux yeux lorsque je tente d’élaborer avec mon fils une feuille de route pour les mois à venir.» (p.25)
À peine si le fils peut lire et compter. Il faut tout reprendre, répéter et expliquer. Il l’a suivi pendant des années pourtant. De quoi se questionner sur la société, l’école et tout ce que l’on exige des enfants de maintenant. Impossible non plus de ne pas se retourner pour comprendre l’enfant que l’écrivain était au même âge.
Avant et maintenant. Gobeil note dans son carnet, ne sait où il va avec son texte. Tout se déglingue dans cet hiver de bord de mer, de pluie et de nuages.
C’était mieux ou c’était pire avant. Le père tente de faire progresser le fils qui est de plus en plus «scotché» au téléviseur. Petit à petit, on en apprend un peu sur ce qu’est la littérature pour Gobeil, les sources de certains romans importants, surtout «La mort de Marlon Brando» et «Dessins et cartes du territoire». Et il y a l’histoire de Richard Ford, «Independance» qui le hante. La littérature se profile dans le récit. Le journal de Jean-Pierre Guay que Gobeil apprécie plus que tout.

Progrès
Le moindre progrès devient un exploit. Peter suit des cours de musique, se sent de plus en plus seul dans ce monde en attente. Et les parents de l’auteur vont de plus en plus mal dans ce Saguenay mythique. Le père surtout. L’âge. La vieillesse. Des réflexions sur la vie, la mort, la paternité, l’école, la société, l’écriture parsèment le carnet.
Tout est si fragile. Tout vacille. Si toute société était en déficit d’attention. Si tout était en train de s’effriter. Si on tentait d’en faire trop avec ces enfants.
Rarement Pierre Gobeil n’a atteint une telle émotion dans ses écrits. Avec l’art qu’on lui connaît de s’attarder aux glissements des saisons, des nuages, du temps qui passe et emporte tout, il fascine. Des pages senties et émouvantes. Un récit touchant et juste, vrai, discret aussi. On comprend. Le sujet est délicat. Une magnifique réussite.

«L’hiver à Cape Cod» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions du Septentrion.

lundi 10 octobre 2011

Pascal Millet découvre le Québec

Pascal Millet nous emporte dans une lente et douce dérive dans «Québec aller simple». Un désir irrésistible de s’arracher à la monotonie, d’échapper à toutes les balises pour changer sa vie, la transformer et être un autre marque ce roman. Comment ne pas songer à Jack Kerouac... À Jack London aussi pour qui la nature est une présence qui pousse l’humain au dépassement. L’écrivain raconte peut-être aussi son arrivée dans le pays du Québec puisqu’il est Français d’origine. Bien sûr, le lecteur n’hésite jamais à le suivre.
Mal dans sa peau, Manu étouffe dans sa société. Incapable d’imaginer son avenir dans un tel contexte, il fuit, voyage, vit au jour le jour. Sans trop savoir où il pourra dormir, il se laisse bousculer par les rencontres et le hasard. Il y a d’abord les États-Unis qui fascinent tous les Français et Montréal où il croise un jeune homme qui pense faire le tour du monde en voilier, mais qui ne partira jamais. Une rencontre marquante. Il apprendra plus tard, que ce garçon s’est suicidé. Est-ce ce qui arrive à ceux qui tournent le dos à ses rêves?
Manu se retrouve à l’auberge de jeunesse de Tadoussac où des marginaux hibernent pendant l’hiver. Tous attendent les jours chauds en échafaudant des projets. Ce sont des déracinés qui s’étourdissent à la moindre occasion, vivent l’instant sans trop poser de questions. Une rencontre, un sourire et peut-être que l’avenir s’avance dans le lointain.

Nature

Manu est fasciné par ce pays de démesure, de froid et de glace qui recouvre la baie de Tadoussac. Il découvre les excursions avec les chiens, y trouve un apaisement, une forme d’engourdissement peut-être.
Quand il doit retourner en France (question de visa), il retombe dans les mêmes ornières. Il se heurte à son père qui devient l’image de ce qu’il sera dans quelques années s’il se laisse happer par le quotidien et l’amour. La femme devient un piège qui castre l’homme en le sédentarisant. Il retrouve Françoise qu’il a croisée à Tadoussac, séjourne en Bretagne, mais comprend vite que cet amour est impossible. Pourquoi pas l’armée! Un an à n’être personne, à n’être nulle part.
Il rencontre une artiste-peintre à sa libération, travaille dans une banque, au service des archives pour survivre. Le quotidien, malgré l’amour, malgré l’exultation des corps le rattrape. Manu n’arrive pas à chasser son mal à l’âme. Il doit se remettre en mouvement pour être pleinement vivant.

Tadoussac

À Tadoussac, plusieurs sont partis, d’autres occupent les petites chambres de l’auberge. Les projets d’André, le patron de la maison de jeunesse, happent tout le monde. Un bistrot, le ski dans les dunes de sable. Manu vit au jour le jour, travaille pour gagner sa bouffe et avoir une place pour dormir. Des filles arrivent et repartent. Il pourrait y avoir là une façon de secouer la grisaille mais le mal existentiel s’incruste. Toujours. Il revit quand il s’égare sur les routes, prend des photos. Son rêve de devenir reporter de guerre peut-être, d’être là où ça compte, où ça se passe s’éloigne un peu plus à chaque jour.
Manu sait que sa vie va dans toutes le directions et qu’il n’arrive pas à trouver une passion qui le pousse hors de soi. Il se sent comme le vieux bateau qu’ils ont radoubé et qui a fini par couler près du quai.
Il y a surtout cette plongée dans le petit monde de Tadoussac. C’est senti, vécu, vibrant. Un portrait saisissant de cette communauté qui respire à peine en hiver et qui s’éclate quand vient les premiers rayons du soleil. Une description minutieuse de plusieurs marginaux qui vivent sans trop regarder autour d’eux. Souvent émouvant et touchant.
Toujours juste, beau et bien senti. Manu devra reprendre la route parce que l’utopie, on le sait, attend au prochain détour, au creux d’une colline. Ce qui importe, c’est le mouvement, l’élan, l’espoir qui change tout. Peut-être qu’il n’y a que le nomadisme pour garder l’être en éveil. On peut le croire à lire ce beau roman de Pascal Millet.

«Québec aller simple» de Pascal Millet est paru aux Éditions XYZ.