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dimanche 11 janvier 2009

Le Canada nie son passé, affirme John Saul

Le Canada, sa façon de faire et ses relations avec les autres puissances de la Planète, préoccupe John Saul depuis longtemps. «Réflexions d’un frère siamois», un ouvrage paru en 1998, amorçait cette longue démarche. Le Canada depuis, il l’a parcouru d’est en ouest et du nord au sud pour se forger une vision originale et surprenante qu’il livre dans «Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada».
D’après l’essayiste, la société canadienne est écartelée entre deux approches depuis la Confédération de 1867. L’une souhaite un État monolithique de type européen et l’autre, proche de la pensée autochtone, est plus inclusive et ouverte. La domination de la première approche constitue la source de tous les problèmes depuis une vingtaine d’années.

Le Canada trouverait sa personnalité et son originalité en prenant ses distances avec les États européens et les États-Unis. Jusqu’à la Confédération de 1867, le pays était largement influencé par la philosophie des autochtones qui concevaient «la société comme un cercle inclusif… où toutes les parties devraient être en mesure d’en profiter.» (p.66)
Cette approche a permis d’esquisser un pays accueillant pour les nouveaux arrivants qui deviennent de «vrais citoyens» rapidement. Et ce malgré bien des conflits, des essais et des négociations.

Métis ou pas

Il serait terriblement périlleux d’affirmer que la pensée des Autochtones n’a eu aucune influence sur les comportements des Canadiens d’origine française ou anglaise, le contraire serait étonnant. Peut-on affirmer pour autant que les Canadiens sont tous des Métis? John Saul dans «Mon pays métis» va à l’encontre de tout ce que nous connaissons de l’histoire canadienne. Peu d’historiens ont réussi à démontrer que la population canadienne était un mélange d’Autochtones et d’Européens. Saul révèle là le secret le mieux caché de notre histoire.
Le Canada de John Saul trouverait sa force et sa vitalité dans cette réalité que nous nions ou ignorons. Nos penchants pour la paix, la négociation, le dialogue et les «ajustements perpétuels» que nécessitent la Confédération trouvent leurs origines dans la pensée des Premières nations. En niant ce fait, le pays se coupe de ses racines et risque de s’effriter.

Trahison

Dans la seconde partie de son essai, l’auteur frappe fort et juste, pourfend l’élite canadienne qui démantèle le pays en offrant ses entreprises aux intérêts étrangers. Il multiplie les exemples, dont celle d’Alcan, avalée par Rio Tinto.
«La liquidation d’Alcan, lourde de répercussions pour Montréal comme centre d’affaires, a valu 42 millions de dollars à son PDG. Les cadres du noyau administratif vont toucher 800 millions de dollars.» (p.210)
Adieu siège social et influence sur les décisions administratives. Désormais, tout se règle ailleurs. John Saul parle de «trahison» et les politiciens de toutes les tendances en prennent pour leur rhume.
«Dans l’affaire Alcan, beaucoup de chefs d’entreprise et de hauts fonctionnaires canadiens ont déchiré leur chemise en coulisse, mais personne n’a osé protester en public. Ni le gouvernement canadien ni le gouvernement fédéraliste du Québec n’ont semblé réaliser complètement que l’on usurpait une partie de leurs pouvoirs. Les partis souverainistes du Québec, obnubilés par leur vision romantique du pouvoir politique et leur dévouement au libre-échange comme instrument de sécession, semblent incapables de saisir le fonctionnement réel du pouvoir économique qui leur file sous le nez.» (p.214)
Relance

L’auteur de «Mort de la globalisation», un essai percutant sur l’utopie commerciale internationale, se promène allégrement dans les sphères de la société, écorche Brian Mulroney, Conrad Black, Stephen Harper sans jamais le nommer et toute la classe dirigeante. L’essayiste affirme qu’il est encore temps d’agir, de repenser l’immigration, la politique du Nord, notre regard sur l’environnement, de reconnaître les nations autochtones, de réformer l’éducation, le système de soins de santé et de mettre fin au bradage des entreprises. Le Canada ne pourra survivre qu’en retrouvant cette pensée métisse.
«Nous ne sommes pas un prolongement du modèle européen. Nous avons toujours été et sommes encore un projet expérimental. Nous avons de profondes racines, grâce à l’influence des Autochtones et à leurs propres liens, encore plus étroits que les nôtres, avec ce lieu.» (p.276)
Je ne sais si les politiciens d’Ottawa et du Québec s’attarderont à cet essai, mais ils auraient avantage à le lire, ne serait-ce que pour questionner leurs façons de gérer le puzzle canadien. Que l’on soit souverainiste ou fédéraliste, il y a matière à réflexion et à débats.

«Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada» de John Saul est édité par les Éditions du Boréal.

dimanche 4 janvier 2009

La famille préoccupe toujours les écrivains

On pourrait croire, après ma chronique où je m’attardais aux écrivaines Sophie Bouchard et Anick Fortin que la famille a déserté à jamais le champ littéraire du Québec; que ce sujet n’intéresse plus personne avec les séparations fréquentes et les unions libres qui ont transformé la société en cinquante ans. Même si certains illustrent la solitude et l’incapacité à établir une relation de couple, la famille traditionnelle et reconstituée reste une source d’inspiration pour toutes les générations. 
Marie-Claire Blais, dans ses derniers ouvrages, suit des réseaux qui se nouent et se défont dans une société de plus en plus métissée. Des individus s’aident à vivre ou se perdent dans cette grande fresque qui débutait avec «Soifs» pour déboucher sur la «Naissance de Rebecca à l’ère des tourments». La famille décrite dans «Une saison dans la vie d’Emmanuel» n’est plus qu’un souvenir.
Nous effleurons là un fil conducteur important chez Victor-Lévy Beaulieu. Les relations tordues et incestueuses des enfants de la famille Beauchemin se mélangent dans quasi tous ses ouvrages, donnant une lumière particulière à une œuvre touffue où le pire comme le meilleur surgissent.
De jeunes écrivains s’intéressent à ces liens qui subsistent entre les individus expulsés des familles éclatées. Stéfani Meunier, dans «Et je te demanderai la mer», présente des hommes et des femmes qui se retrouvent, s’aident, créent des liens étonnants et originaux. Avec l’aide des enfants, les adultes oublient leur «moi» et se redressent. Signalons l’univers étrange de Gaétan Soucy dans «La petite fille qui aimait trop les allumettes» et ces figures interchangeables qui scandent leur vie dans «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard. Jocelyne Saucier dans «Les héritiers de la mine» et «Jeanne sur les routes» décrit elle aussi des liens parentaux singuliers. Marie-Sissi Labrèche illustre de façon remarquable une famille dysfonctionnelle dans «Borderline».

Le monde de Maryse

Francine Noël, en 1984, nous entraînait dans l’univers de Maryse O’Sullivan, l’une des figures les plus attachantes de la littérature québécoise. François Ladouceur pensait changer la société en oubliant de le faire dans sa vie privée. Ce roman s’attardait à une réalité nouvelle. La famille contemporaine doit permettre à chacun de s’épanouir. L’autorité matriarcale ou patriarcale qui sévissait depuis des siècles tombait en désuétude, était remplacée par un clan élargi où, malgré la fin des passions amoureuses, des liens résistent.
Francine Noël revient régulièrement à sa tribu depuis «Maryse» qui a connu un beau succès. En 1987, elle ajoutait une page à cette aventure contemporaine dans «Myriam première». Dix ans plus tard, les lecteurs retrouvaient Maryse O’Sullivan dans «La conjuration des bâtards», une plongée au coeur de la question environnementale. Le terrorisme y est illustré de façon dramatique, deux ans avant l’attaque des tours de New York en 2001. Une réalité où des groupuscules transportent la guerre dans les autobus, les trains, les gares ou les quartiers commerciaux pour faire le plus grand nombre de victimes. Dans cette œuvre touffue, ambitieuse et multiforme, Francine Noël aborde ce sujet de façon remarquable et présente les séquelles de cette violence aveugle dans «J’ai l’angoisse légère», le dernier volet de sa saga.
Le clan

Dans cette récente parution de Francine Noël, François Ladouceur est écrivain et vit mal le succès. Maryse O’Sullivan a été tuée dans un attentat terroriste au Mexique, il y a cinq ans. Myriam vit sa vie de comédienne et Marité et Elvire s’occupent des leurs. Tibodo, Félix et Vincent se débattent dans leur quotidien pendant que Garance, une artiste inventive, rôde autour du clan. Elle n’arrive pas à retenir les hommes qu’elle aime et trouve «un peu d’humanité» dans ce réseau qui allège sa solitude. L’esprit de groupe, de partage et d’amitiés constitue l’essence des oeuvres de Francine Noël. Un univers profondément humain qui distille le bonheur malgré les pires épreuves. Ses romans décrivent une nouvelle famille qui ne cesse de changer selon les avatars de la vie. Madame Noël sculpte ses romans avec finesse et elle s’y montre une conteuse remarquable.
Le sujet n’a certainement pas fini d’inspirer les créateurs de tous les âges, autant au cinéma – pensons à C.R.A.Z.Y - qu’en fiction et d’explorer des avenues étonnantes et originales.

«J’ai l’angoisse légère» de Francine Noël est paru chez Leméac Éditeur.

dimanche 21 décembre 2008

Alain Gagnon suit les traces de Faulkner

Obsédé par son coin de pays, William Faulkner n’a cessé de parcourir le Sud des États-Unis, le vaste état du Mississipi que hante la famille du vieux John Sartoris. Il est allé jusqu’à rebaptiser cette région pour en faire un lieu littéraire qui a fasciné le monde entier. Victor-Lévy Beaulieu a fait des Trois-Pistoles la région la plus fréquentée de notre littérature, autant par l’angle de la télévision que par ses œuvres de fiction. Dans la région, Michel Marc Bouchard ne cesse d’explorer le vaste espace du Lac-Saint-Jean dans ses œuvres pour la scène et le cinéma. On peut aussi mentionner Jacques Poulin qui fait de la ville de Québec son lieu d’écriture. Certains respectent la toponymie des lieux, d’autres ne peuvent résister au plaisir de tout rebaptiser comme l’ont fait les explorateurs en débarquant en Amérique.
«En toute franchise, je crois avoir écrit «La langue des Abeilles», «Le truc de l’oncle Henry», «Kassauan» et ces «Chroniques d’Euxémie» pour me promener, par l’imaginaire, dans mes paysages premiers», avoue Alain Gagnon dans l’avant-propos de «Chroniques d’Euxémie» paru récemment. L’écrivain natif de Saint-Félicien pourrait ajouter à cette liste «Thomas K» et dans une certaine mesure «Le gardien des glaces».

Espace d’écriture

L’auteur de «Sud» - le clin d’œil à William Faulkner est évident - a choisi de renommer le vaste territoire qui s’étend entre la rivière aux Saumons et le lac Saint-Jean pour en faire son espace d’écriture. Cette façon de faire lui permet de s’enfoncer dans la région à la manière d’un chasseur qui connaît les moindres replis du terrain et tout ce qui l’habite. Avec cette nouvelle topographie, il échappe à «l’histoire réelle et au temps chronologique». Il peut alors tout réinventer et suivre les méandres de son imaginaire.
Dans «Le dévot d’Is», la première nouvelle du recueil, le personnage choisit de devenir scribe, d’être marginal parmi les siens. «Tellement sont morts – et meurent encore – pour cet acte si simple que je me mets à l’écriture ou à la lecture avec une solennité dans les gestes, avec une pensée respectueuse pour tous ceux qui, avant moi, ont tracé des caractères et transmis l’expérience humaine jusqu’à nous.» (p.17)

Le gardien des glaces

L’écriture devient un des éléments essentiels de la trame dramatique de plusieurs ouvrages d’Alain Gagnon. Dans «Le gardien des glaces», un roman publié une première fois en 1984 et réédité en 2008, son héros, un avocat au passé nébuleux, part avec armes et bagages pour construire un relais le long de la piste des glaces, entre Roberval et Péribonka. «Sitôt les glaces suffisantes à porter hommes, bêtes et traîneaux, j’arrive. Et je m’installe au milieu de ce désert à surface lisse et dure… …Avec une sourde mélancolie, je retrouve mes ombres familières, et le vent qui bientôt poussera les neiges en des tourbillons démentiels, et les lourds craquements du froid qui torturent les glaces aux longues nuits de janvier.» (pp.11 et 12)
Le gardien accueille des personnages inquiétants, se bute à une montagne de lettres, évoquant l’écriture en vrac que l’écrivain doit dompter pour faire œuvre. Le lac Saint-Jean se transforme en une incroyable page blanche où tout peut arriver. Confrontation avec la mort, plongée dans un monde onirique semblable à celui de «L’odyssée», le livre de chevet du gardien irascible. J’ai relu «Le gardien des glaces» pour une troisième ou quatrième fois avec le même plaisir.
L’écrivain, pour Alain Gagnon, est celui qui exerce un pouvoir magique, invente des personnages en risquant sa vie. «Au début de mon âge adulte, j’ai demandé à devenir scribe, c’est-à-dire celui qui a le droit de désigner et d’engranger la réalité par des chiffres et des mots», écrit le narrateur du «dévot d’Is».  
Ce droit Alain Gagnon l’exerce avec une ferveur exceptionnelle. Ses romans demandent d’oublier nos références, de s’aventurer dans l’inconnu où agissent des forces malfaisantes et bénéfiques. Pour fixer la vie et se coltailler avec la mort, sa sœur siamoise. Une forme d’initiation à chaque fois.

«Chroniques d’Euxémie» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram et «Le gardien des glaces» a été réédité aux Éditions SM.

lundi 15 décembre 2008

Lise Gauvin sur les traces de d’Albert Camus

La fascination pour un écrivain pousse certains lecteurs à vouloir suivre ses traces. Ils cherchent à reconstituer sa vie par le biais de ses œuvres. Une aventure qui risque de les faire basculer dans des mondes étranges.
Marie étudie Albert Camus, l’auteur de «L’étranger» et de «Noces», depuis des années. Après avoir ratissé ses carnets et ses romans, comme un archéologue le ferait d’un site historique, elle s’installe à Lourmarin, un village de Provence où l’écrivain a vécu un temps avant sa fin tragique. Elle retourne chaque mot comme une pierre et tente de trouver des aspects inédits à l’œuvre de cet écrivain décédé dans un accident d’automobile. Qui sait, peut-être aussi un texte inconnu.
Dès son arrivée, elle fait la connaissance du guide du château où se trouve une bibliothèque bien garnie. Toute une section y est consacrée à Camus. Rapidement elle s’installe chez cet homme, suscitant des réactions et des regards suspects dans la communauté.
«C’est alors que le plus naturellement du monde, il lui propose de venir habiter avec lui. « Ce sera plus commode, ajoute-t-il, pour vos travaux. » On aurait dit qu’elle s’attendait à cette offre, qu’elle n’était venue dans cet endroit que pour ces paroles dans lesquelles elle ne perçoit ni désir de séduction ni projet de conquête. Cette absence de sentiment la rassure. Elle n’est pas surprise de s’entendre accepter aussitôt, sans hésitation aucune.» (p.24)
Des recherches l’occupent pendant le jour, des lectures qu’elle fait à l’insu des responsables de la bibliothèque qui ne laissent pas entrer qui veut dans ce sanctuaire. Elle fouille, scrute des manuscrits et tombe sur une première version de «L’étranger». Et il y a ce guide qui accueille les visiteurs, cet homme silencieux et secret. Ils vivent une forme d’amour la nuit, se tenant à une distance «camusienne » le jour.
«Chaque soir ils se retrouvent sans qu’aucun mot ne soit prononcé. Une entente tacite veut qu’au cours de la journée, aucune allusion ne soit faite à leurs rencontres nocturnes. Ils continuent à vaguer à leurs occupations quotidiennes comme si rien ne s’était passé. Ils continuent même à se vouvoyer.» (p.30)
Les gestes arrivent parce qu’ils doivent arriver, comme s’ils étaient dictés par une étrange fatalité. Les rituels de l’amour sont exécutés sans passion. Marie vit cette relation dans la neutralité qui a marqué la destinée de Meursault, le héros de «L’étranger». Une forme de retrait du monde où l’humain est témoin de sa vie et de celle des autres. Il n’y a pas de pulsion, de passion qui secoue l’univers. Seulement cette indifférence qui pousse Marie en marge de la société. Tout prendra une direction inattendue. Le dénouement surprend tout autant le lecteur que l’héroïne.
Lise Gauvin y démontre une belle sensibilité et une profonde connaissance de l’œuvre d’Albert Camus. Un seul regret: la brièveté de ce récit impressionniste. Cinquante pages, c’est peu. On en souhaiterait beaucoup plus.

«Quelques jours cet été-là» de Lise Gauvin est publié aux Éditions punctum.

Jean-Luc Doumont et l'écriture tout azimut


Tout doit être édité, sans sélection, sans censure, proclament certains écrivains en devenir. Il faut se libérer des éditeurs et au lecteur de choisir.
Ces adeptes de la diffusion tout azimut trouvent un véhicule de choix avec Internet. Il suffit de placer un texte sur un site et les visiteurs peuvent le télécharger pour un prix raisonnable. Une présentation racoleuse et un nouvel écrivain vient de naître.
Jean-Luc Doumont a trouvé une niche dans un site ou une maison d’édition qui ignore le sens des mots «sélection» et «rigueur». Un semblant d’éditeur qui fait penser à un village cinématographique constitué uniquement de façades.
«Petits hasards de la vie, une saga Made in Québec», un pavé de plus de quatre cents pages, se présente comme un récit où un certain Serge Simoneau raconte les malheurs qui ne cessent de l’accabler. Mort du père, du meilleur ami, de son demi-frère, fausse-couche de sa femme, dépression et alcoolisme. Le tout s’égare dans de longues digressions où notre gestionnaire dans une société d’État écorche tout le monde, mélangeant réalité et fiction. Tous des incompétents, des menteurs et des manipulateurs. Les politiciens, les médecins, les infirmières, les fonctionnaires, les journalistes et les éditeurs. Tous des profiteurs. Tous des salauds, des opportunistes qui contemplent leur nombril. Impossible de se fier à quiconque dans ce monde du pour soi et de la réussite à tout prix.
Heureusement, notre Simoneau aime sa femme. Il ne cesse de le répéter même si cette Hélène est à peu près absente du récit. Après un acte de contrition chez les Alcooliques anonymes, notre fils en manque de géniteur se refait une virginité grâce à l’écriture d’une biographie de Simoneau père. L’homme aurait joué un rôle important lors de la Révolution tranquille au Québec.

Chaos

Un manuscrit jonché de fautes grammaticales, de non-sens, de grossièretés, d’idioties qui font sursauter à chaque page. On en vient à éprouver un plaisir malsain à poursuivre cette lecture pour voir quelles tortures l’auteur va infliger à la langue française.
«À peine vingt-quatre heures après son départ, j’ai reçu un message sur mon répondeur. Je l’ai pris lorsque je suis revenu d’avoir été me promener dehors pour changer d’air. » (p.91)
Si seulement Jean-Luc Doumont mettait en pratique les conseils de son maître en écriture Marc Fisher. À le lire, on croirait qu’il a appris le français dans une grammaire rédigée par Jean Chrétien.
«Elle doit être comme le vin, plus mature elle devient, plus meilleure elle devient.» (p.134)
Jean-Luc Doumont démontre par l’absurde le rôle de l’éditeur et sa nécessité. «Petits hasards de la vie, une Saga made in Québec» illustre les pires facettes de l’écriture et de l’édition. Aucune mise en page, toutes les règles bafouées dans une langue atroce.
«Aujourd’hui, les pages se transforment en page internet, l’interactivité est de mise. Les égocentricités de l’écriture s’exhibent sur la toile internet sous différents surnoms et bien souvent sous un mauvais visage. Les quelques indices que l’on décèle dans les écrits, sont pour prendre une responsabilité sociale. Foutaise!» (p.74)
Jean-Luc Doumont est l’exemple de cette «égocentricité» et de ce «mauvais visage». Heureusement, Internet permet de balancer le tout à la poubelle en un clic.

«Petits hasards de la vie, une saga Made in Québec» de Jean-Luc Doumont est paru aux Éditions Atelier de presse.

Brigitte Haentjens descend au fond des enfers

La perte d’un proche peut faire perdre tout équilibre. La vie devient une incroyable glissade qui semble ne jamais vouloir s’arrêter.
Dans «Blanchie», de Brigitte Haentjens, un récit troué dit-on, la narratrice vit en chute libre depuis la mort tragique de son frère. Elle est dévastée et n’arrive plus à reprendre son travail de photographe, dérive dans son corps, l’esprit vide, la pensée au neutre. Le monde est devenu étranger. Elle continue à vivre pourtant, fuit en Europe, roule le jour et s’arrête dans des villages, s’installe dans une auberge, un café pour être encore près des vivants.
Cette errance masque l’envie de mourir, la culpabilité et la responsabilité que la narratrice ressent devant cette mort. Il y a aussi la honte d’être du côté des vivants. Elle fait tout pour se punir et s’avilir.
«Depuis je ne pouvais plus travailler ni / Écrire ni penser ni surtout / Photographier / Tout restait en chantier les projets abandonnés aussitôt qu’évoqués / Les livres ouverts les courants d’air / Mon esprit affolé tourbillonnait autour de vieilles idées / Déjà vu déjà vu» (pp.11,12,13)

Un homme

Un homme dans un village d’Espagne ou du Portugal, on perd ses références tellement la course emporte tout. Ils font l’amour et une relation étrange s’installe, faite de violence et d’agressions. Un amour parsemé d’échappées et de retrouvailles.
«Son désir surgissait à tous moments / Au milieu d’un repas bien arrosé / Dans le salon VIP de l’aéroport / Sur le quai d’une gare / Dans la rue / Il me prenait par le bras / Et m’engouffrait brutalement dans un hôtel / Il me poussait dans les toilettes / De grands restaurants / Où il commandait sans me consulter / Des plateaux de fruits de mer des huîtres / Du foie gras et du champagne / Il me prenait vite et brutalement» (pp.108,109)

La gestuelle de l’amour s’impose et lui rappelle qu’elle est un corps. Une dépossession et un avilissement total. L’homme la réduit peu à peu à l’état d’objet.

Zones inavouables

Brigitte Haentjens s’aventure dans des zones inavouables. Le récit minimaliste, plein de «blancs» ou de «trous de mémoire», épouse la forme poétique pour faire ressentir cette spoliation. De plus en plus troublant et dérangeant à mesure que l’on progresse dans cette lecture. Heureusement, il y a la remontée, le retour à Montréal, la rencontre d’un homme, un projet qui démontre qu’il est possible d’échapper au désespoir. Elle en sort meurtrie, mais vivante.
Des photographies d’Angelo Barsetti proposent des images de désolation. On y palpe la peur, la fascination de la mort et la fragilité du corps. Un fort bel objet, ce qui ne gâche rien.

«Blanchie» de Brigitte Haentjens est paru aux Éditions Prise de parole.