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mardi 12 décembre 2000

Les petits bonheurs de la vie disent tout

Josée Bilodeau se fait discrète et attentive, brode sur sa vie, sur Montréal, une rue, un restaurant, une rencontre ou encore sur une échappée dans son pays natal. Elle fuit un homme qu'elle n'aime plus ou qu'elle aime encore trop.
Rien de spectaculaire. Nous nous laissons guider par l’écrivaine, caresser par ces gestes qui font que la vie est la vie. Elle excelle dans cet art de montrer le quotidien sans le maquiller. Nous nous prenons à sourire quand elle surveille un grand blond dans un autobus qui file vers le centre-ville de Montréal. Parce que c'est cela «Kilomètres» de Josée Bilodeau. Un monde de sourires, de regards, de petites attentions qui font que la vie est bonne et qu'on la savoure comme un café odorant. J'aime cette manière de montrer le bonheur sans sortir trompettes et percussions.
«Souvent, je vois cet homme passer. Nous avons commencé à nous sourire. J'ai amassé plein d'histoires sur ses trajets, sur sa démarche nonchalante. Ce soir, je le salue de la main. Demain, il entrera dans le café, prendra place face à moi, sur ta chaise libre.» (p.23)
Et nous y croyons! Nous y prenons plaisir. Josée Bilodeau note tout avec un bonheur rare dans ce récit qui tient du journal intime et de l'aquarelle. Jouant admirablement de l'ombre et de la lumière, elle garde une justesse sans faille.
«Moi je regarde le coucher de soleil sur mon pays, pour la première fois me semble-t-il, et je trouve que c'est vrai, que c'est beau, que l'or du ventre de cette terre se reflète parfois dans le ciel, comme maintenant, ici. J'oublie les kilomètres l'espace de ce coucher de soleil et contemple la mort douce du jour sur le pays de mon enfance.» (p.42)
Certains parlerons de mièvrerie. Pourtant, ce sont ces petits bonheurs qui font que la vie vaut la peine d'être la vie.

«Kilomètres» de Josée Bilodeau est paru aux Éditions Les Intouchables.

Gérard Étienne déçoit dans ce court texte

Gérard Étienne dans ce court texte offre un monde qui peut sembler bien léger et superficiel. Un bar de Montréal où des gigolos de la communauté haïtienne font métier de séduire les femmes blanches de préférence. Ils attendent dans l'ombre comme des araignées qui, le moment venu, se jettent en avant pour capturer leur proie. Serge Lespérance est de ceux-là. Fier, beau garçon, bonnes manières, il chasse la femelle tout en se faisant entretenir par son infirmière de femme. Docteur en mensonges, le beau Serge se fait passer pour médecin et, comme il se doit, la jeune et séduisante Nicole tombe dans les filets de cet expert qui pavoise devant les copains. La suite on le devine...
Et oui! La petite oie pure et vierge de la campagne se fait dévorer par le méchant loup des villes. La petite gaspésienne qui rêvait du prince charmant y laisse ses ailes en plus d'y perdre sa virginité.
Histoire ficelée de gros fils blancs et truffée de clichés. Gérard Étienne tente bien d'injecter un peu de poids social à son récit mais c'est peine perdue. Même si tous les hommes d'Haïti étaient des imposteurs qui se donnent des titres et des diplômes pour en mettre plein la vue aux Blancs, cela ne justifiera jamais un mauvais texte.
«Je n'ai moi aucun problème avec la bacouloutisme qui est à l'origine de notre histoire en tant que peuple. J'y vois même un trait de génie. Il fallait le faire : imiter la signature d'un maître blanc pour fuir les habitations où l'on se faisait fouetter, couper les oreilles, les doigts, les jambes, au moindre écart de conduite.» (pp.32-33)
Bien sûr la morale est sauve. Les bons Haïtiens dénoncent Serge Lespérance et le menteur est confondu. Sa femme le chasse et les deux jeunes Québécoises peuvent de nouveau regarder l'avenir, oublier le mensonge et rêver encore d'un prince un peu moins charmant mais au portefeuille bien garni. La virginité est retrouvée! Si, si... Un texte désolant et une écriture à peine maîtrisée. Le «bacouloutisme» serait de penser que nous sommes en littérature avec ce texte de Gérard Étienne.

«Le bacoulou» de Gérard Étienne est paru aux Éditions Métropolis.

lundi 14 août 2000

Diane-Monique Daviau fait face à sa mère

Diane-Monique Daviau nous entraîne dans un salon funéraire et nous figeons avec elle devant un cercueil. Là, le visage d'une femme, d'une mère. La figure de la mort. Les mots se nouent avec les larmes.
«Mon endormie, ma rêveuse, ma presque souriante désormais, ma toute calme, ma tranquille à jamais, ma patiente, ma paisible, ma belle pacifiée, ma reposée, ma sans souci, ma soulagée, ma sereine pour l'éternité, ma reine de rien... » (pp.17-18)
Les phrases refoulées dans l'enfance reviennent, aussi maladroites que les pleurs, les soupirs qui bercent les regrets. Vient alors les questions que l'on a toujours repoussées: qu'était cette mère qui savait si mal aimer et se faire aimer? La narratrice fouille le passé. Une rencontre a-t-elle été ratée?
«Tourner autour d'elle l'empêche de mourir dans mon souvenir. Tourner autour d'elle l'étourdit, l'hypnotise, la fige sur place. Tourner autour d'elle sans cesse, à vive allure, avec des mots qui déboulent, garde ma mère au centre de ma vie, l'empêche de disparaître.» (p.90)
Des reculs, des poussées, Diane-Monique Daviau tente de cerner la mère qui l'a dominée  pendant si longtemps. Elle ne veut pas se leurrer. Le portrait est juste, le ton est dur, amer parfois, sans compromission. Avec des phrases cassées, elle esquisse le visage d'une femme qui croyait que le monde tournait pour elle. La narratrice redevient la fillette en quête d'un geste, d'un mot que la morte n'a jamais formulé; reste aussi l'adulte qui veut voir et comprendre. Pas question d'enjoliver ou de gommer les souvenirs!

Les traces
Elle classe les bibelots, les photographies, les petites phrases écrites sur des bouts de papier. Ce sont les traces de la mère... Évocation, souvenirs, rires, peines, Diane-Monique Daviau emprunte tous les chemins qui permettent de cerner cette femme dure et autoritaire. Elle s'étourdira même autour de cette mère que la mort a réduite au silence.
Des pages d'une grande justesse et une émotion soutenue. Il faut lire et relire la description de la rencontre ultime de la narratrice et de sa mère dans une succursale bancaire. Un véritable bijou! Du grand art!
Diane-Monique Daviau fascine avec ses surprises d'écriture, cette phrase ciselée. N'est-ce pas le propre de l'écrivain que de chercher un sens à la vie et de donner un visage à ceux que l'on aime et que l'on a aimés? Pour ce qui est de Gainsbourg, il faudra lire le très beau livre de Diane-Monique Daviau pour comprendre.

«Ma mère et Gainsbourg» de Diane-Monique Daviau est paru aux Éditions de L'instant même.

L'enfance reste un sujet inépuisable et fascinant

Robert Lalonde ne s'en est jamais caché. Depuis le tout début de son aventure d'écrivain, il voyage dans son enfance et le monde qui l'entoure. Il a besoin de racines, des arbres chargés de feuilles, des vents qui bousculent le ciel, de ces odeurs fortes et enivrantes qui imprègnent son écriture. Je n'hésite jamais à suivre ce fouineur qui plonge dans les livres comme un chien troublé par les effluves des mots. «Le Vacarmeur» qui a précédé de quelques semaines la parution de «Le vaste monde», est de cet ordre.
Ici, Robert Lalonde, dans une dizaine de courts textes, parcourt le territoire qui marque l'adulte à jamais. Il aime les frontières, ce pays où l'adolescent n'est plus un enfant mais pas encore un homme vraiment. Prisonnier d'un corps troublé par des pulsions d'adulte, le jeune Vallier découvre la sexualité, la dureté du monde et ses brutalités, la douceur et l'envoûtement qui viennent souvent quand un vent parfumé ébouriffe les arbres et ride l'eau du lac. Parce que ce «vaste monde», celui du Survenant peut-être, fascine tout être curieux et fureteur.

Errance

Vallier épie les gens à l'église, au village, au grand magasin, suit des pistes, se perd la nuit en naviguant sous les étoiles, dérive dans un champ bourré de trèfles; retient son souffle dans la maison familiale où la folie comme la sagesse entrent sans frapper. Parce que les chemins de la vie sont parsemés d'obstacles qui marquent à jamais.
Vallier voit ses parents se coltailler avec les jours et rêve de faire les choses autrement. Un père aux gestes patients qui transforme la réalité avec, à ses côtés, une mère qui retrouve toujours le sol en puisant dans la sagesse populaire, les expressions qui nous enseignent un art de vivre.
Temps d'arrêt sur un monde un peu inquiétant, rencontre d'humains qui perdent les phrases et qui se jettent dans la rivière ou la folie quand ils n'en peuvent plus des servitudes. Il faut suivre Angélique qui, consciente de son destin, devine que l'avenir la broiera.
«Comment penses-tu qu'une femme se sent, toi, devant eux, avec sa jupe jusqu'à terre, sa vertu qu'elle tient à deux mains, pareille au chaperon rouge épié par le loup ? Être étripée, n'avoir plus qu'une carcasse molle et sans âme à leur laisser, merci bien, merci beaucoup!» (p.114)
 Vallier écoute, rêve, effleure, sent, souffle sur cette destinée qui l'entraînera au-delà des horizons. Jamais il ne se laissera entamer par la banalité du quotidien qui casse les êtres et coupe les élans. «J'étais né pour tout connaître et tout savoir». (p.113)
Ce désir de voir, de «savoir» porte le livre. Rires, larmes, tout repose sur cette manière de dire. Et puis Robert Lalonde nous fait voir la vie qui se fait et se défait selon les rythmes des saisons et des rencontres. Le lecteur ne peut qu'être remué par la justesse et le ton de ces récits. Après tout, qui peut oublier son enfance! Alors autant en faire un monde magique et étonnant.

«Le vaste monde» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Seuil.

Abla Farhoud cherche à reconquérir son passé


Abla Farhoud, dans «Le bonheur a la queue glissante» nous présente une vieille femme. Dounia a quasi une vie derrière elle et en a fait du chemin depuis son Liban natal. Il y a si longtemps qu'elle est née cette dame un peu frêle... Elle a connu l'exil, le déracinement et s'est plus ou moins adaptée à ce pays qu'est Montréal. Comment croire que ses petits-enfants ne comprennent pas sa langue... Elle a appris à parler si peu qu'on la croirait muette. Pourtant elle bouge les lèvres, elle a des choses à dire. Il faut s'approcher et écouter. Nous nous laissons prendre par ce filet de voix qui devient musique, ces phrases qui se bousculent et que sa fille, une écrivaine ivre de questions, aimerait bien pouvoir attraper. Nous aimons Dounia, dès les premiers moments du roman.
«Mes mots sont les branches de persil que je lave, que je trie, que je découpe, les poivrons et les courgettes que je vide pour mieux les farcir, les pommes de terre que j'épluche, les feuilles de vigne et les feuilles de choux que je roule.» (p.14)
Le véritable exil c'est quand il n'y a plus de mots mais des gestes, des habitudes qui étourdissent...

Une vie

De confidence en révélation, nous apprenons la vie de la petite analphabète qui a épousé Salim, un beau parleur qui possédait l'avenir et qu'elle a suivi. Les femmes alors n'avaient que le droit d'obéir. Les enfants sont arrivés, différents, emportés par une façon de vivre qu'elle a du mal à comprendre.
Petit à petit, nous entrons dans l'intimité de Dounia. D'abord Salim, cet époux écartelé entre son lieu d'origine et ce nouveau pays qui lui a permis de vivre. Hâbleur, sûr de son droit de mâle, il comprend mal le monde qui l'entoure. Il préfère le passé aboli, ruminer, incapable d'avouer qu'il a été largué par son propre passé et la vie. Ses fréquents retours au Liban ne permettront jamais non plus de cicatriser la blessure. Il souffre du mal du déraciné.
Abla Farhoud montre magnifiquement bien les déchirements, les affres que vivent les émigrants qui débarquent avec tout juste des mains et qui se creusent un nid avec une patience admirable. Le récit de Dounia révèle une femme qui a subi la violence et la domination de son mari. C'est peut-être le plus terrible des exils que celui qui isole Dounia et Salim qui l'a frappée d'un coup de botte au visage alors que la vie était encore au matin.
Dounia confie ses secrets avec une économie de mots remarquable. A commencer par ce père qui prêchait l'amour et le partage mais qui n'a pas su la protéger contre le despote qu'était son mari. Lâcheté, abandon, isolement, domination des mâles sur les femmes. Tout cela est dit. La tyrannie s'installe toujours avec la lâcheté des uns et la complicité des autres. Et si c'était le propre de tous les pays où le politique repose sur une domination ethnique, religieuse ou sexuelle?
Myriam, la fille romancière, n'entendra jamais ces secrets, ne connaîtra jamais la violence de son père envers son frère Abdallah. Dounia ne pourra jamais avouer. Les tyrans se nourrissent du mutisme des victimes. Myriam devra mettre des mots dans les silences si elle veut écrire un livre sur sa mère.
Récit émouvant, parsemé de belles réflexions sur la mort et le vieillissement, une écriture fine qui ne cherche jamais à épater mais qui trouve son chemin. Abla Farhoud décrit une réalité que l'on ne voit jamais à la télévision, évoque un Québec peu familier.
Un roman d'odeurs, de soupirs, de gestes contenus, de regards qui s'attardent à la fenêtre quand le jour devient gris avec le soir. Oui le bonheur file et bien malin qui saurait le retenir.

«Le bonheur a la queue glissante» d’Abla Farhoud est paru aux Éditions de L'Hexagone.

samedi 12 août 2000

Évelyne Voldeng ne se livre pas facilement

Dans «Moi Ève Sophie Marie» Évelyne Voldeng entreprend de raconter ses pérégrinations. Naissance en Bretagne, vie en Provence, mariage et installation au Canada. Pas facile d'abandonner son pays, une enfance et de se créer d'autres racines dans un ailleurs différent et semblable. Évelyne Voldeng parvient mal à larguer les souvenirs, les images et les odeurs qui surgissent de l'enfance. Comment peut-on y échapper? Est-il possible de couper vraiment avec son passé? C'est tout un monde que l'on transporte en soi.
L'entreprise est sympathique. Peu d'écrivains migrateurs s'interrogent sur les difficultés de l'émigration. Abla Farhoud l'a fait avec justesse dans «Le bonheur a la queue glissante» mais le plus souvent, ces auteurs basculent dans la nostalgie ou tentent d'effacer leurs origines. En seize chapitres, Évelyne Voldeng nous fait valser entre l'enfance et la vie présente. Oublions les remarques souvent primaires qui houspillent le syndicalisme, le monde universitaire et les collègues. Passons...
«Page blanchie à la chaux, prête à recevoir tous les codes de la médiocrité. Je pourrais écrire dix livres de recettes pour destruction. Mais dans toutes les cliniques américaines (lapsus calami, je voulais dire canadiennes, mais j'ai cédé à l'impérialisme américain, paramécie géante dont les cellules politiques, économiques et culturelles envahissent tout le continent au rythme des marées galopantes), dans les cliniques canadiennes donc : cliniques pour autos poussives, cliniques pour fauteuils rongés, cliniques pour vieilles bottines, j'ai cherché en vain la clinique où cautériser les échecs.» (pp.24 25)

Occasion ratée

Évelyne Voldeng rate une belle occasion de mieux nous faire comprendre cet arrachement et les difficultés d'adaptation. Son questionnement reste pertinent, ses remarques souvent justes mais ce qui fait obstacle dans ce récit, c'est l'écriture même. L'auteure a cru bon de dresser une véritable muraille entre le lecteur et elle, multipliant les mots, les phrases et les images. Elle se comporte en auteure boulimique qui ne sait quand s'arrêter.
«La neige est pure, belle. Elle est le duvet de cygne qui recouvre les plaies de la nature. Elle est l'aile du goéland qui fleurit la lande du cap des Tempêtes. Elle est le cristal ébloui. Le sacrement qui rafraîchit la lèvre gercée de gel. Elle dessine mille ombelles sur les arbres radieux. Lanterne magique, sa blancheur emprisonne le prisme ocellé. Elle est la bouse blanche où sommeillent mille métamorphoses. Elle est le blanc repoussoir d'un vol de geais bleus. Dans le roulis des raquettes sur l'océan blanc, je respire la neige, je la bois, je la mange, je la transsubtantie.» (p.68)
La lecture devient une véritable épreuve et ce n'est que par entêtement que j’ai réussi à me frayer un chemin. A la toute fin, à la dernière phrase, j’ai eu l'impression de vivre une libération. C'est peut-être ce que voulait Évelyne Voldeng mais quelle épreuve ! Dommage...

«Moi Ève Sophie Marie» d’Évelyne Voldeng est paru au Nordir.