UN PREMIER ROMAN est toujours un événement dans ma vie de lecteur et de chroniqueur. J’ai retenu mon souffle avant de m’aventurer dans l’ouvrage de Mickaël Carlier au titre un peu étrange : Arides. Ça ne dit pas beaucoup sur les intentions de l’auteur ce mot unique, comme isolé de tout. Bien sûr, la photo de la page couverture est plus révélatrice avec cette longue fissure qui fend le sol et des fleurs qui ressemblent à des chardons qui peuvent résister à bien des sécheresses et s’enraciner dans la poussière. Une lézarde qui déchire la surface craquelée comme les personnages ? Carlier m’a étourdi au début. Son héros, une force de la nature, a du mal à contrôler ses pulsions et sa rage. Et le voilà au milieu de nulle part, dans un secteur à l’abandon, marchant vers un hameau, un lieu qui n’existe peut-être que dans sa tête. Les gens se terrent comme des rongeurs qui fuient la clarté du jour.
Que cherche ce colosse en fonçant vers un village invisible en maîtrisant difficilement une colère sourde ? Et pourquoi les individus qu’il croise sont si méfiants et si hostiles ? Ces questions font que nous plongeons dans le monde étrange de Arides, un pays déroutant par beaucoup d’aspects. J’aime cette manière de nous entraîner dans l’inconnu et de perdre ses repères, de devoir m’abandonner à un mouvement qui me semble totalement irrationnel et impulsif, me fier à l’écrivain qui finira bien par m’offrir des réponses et par me rassurer.
Il s’avançait déjà pour aller arracher à son comptoir ce petit corps frêle et arrogant lorsqu’il fut saisi par le regard immobile et perçant que le vieux posait de nouveau sur lui. On aurait dit qu’il cherchait à percer un secret enfoui en lui. Dan ne put avancer davantage, comme hypnotisé par la posture grave, impénétrable de cet étrange vieil homme qui tenait un magasin général au milieu de cette terre vide et sèche comme une tristesse. Alors que leurs regards ne se quittaient plus, alors que leurs gestes étaient suspendus, alors que plus aucun voile ne venait troubler sa perception, Dan comprit. Il réalisa sa terrible méprise : ce vieil homme était en réalité une vieille femme. (p.43)
Le fil se tend, une histoire se précise, celle de la famille de Théodore qui a exploité une ferme et toute la région il n’y a pas si longtemps, menant les habitants par le bout du nez. Un individu impitoyable, qui ne tolérait aucune contradiction. Il décidait de la vie et de la mort de chacun. Toute la population du secteur travaillait pour lui et devait lui obéir au doigt et à l’œil.
FAMILLE
Les fils sont venus, l’un rebelle et l’autre plus conciliant. L’affrontement avec le patriarche a fini par se produire. Nous comprenons enfin que le père de Dan a dû partir après avoir confronté l’autorité, se faire une vie en exil en taisant ses origines et l’histoire de sa famille. Comme s’il voulait tourner la page une fois pour toutes, effacer ce passé de haine, de violence et d’obsession.
Théodore, Dieu en quelque sorte, contrôlait tout dans son domaine, y compris la nature et la pluie si nécessaire à l’agriculture et aux plantes. Le pays prospérait alors, produisait fruits et légumes en quantité. La forêt était hantée par les bêtes et la végétation explosait partout malgré la poigne de cet homme sans pitié qui se croyait investi d’une mission. Un Théodore qui avait peut-être passé un pacte avec le diable.
Peut-être aussi qu’une exploitation outrancière des ressources a fini par épuiser les terres. Comment savoir ? La zone, peu à peu, a été envahie par la poussière et la sécheresse.
Les héritiers tentent de redonner vie à ce territoire, même la dernière de la lignée qui veut attirer la pluie et la retenir. Cette eau si précieuse qui a fui le pays depuis si longtemps et que Théodore pouvait amadouer. C’est l’obsession de la famille depuis des générations.
Pour la rediriger non pas vers l’un d’entre eux, mais bien vers celle qui était à l’origine de toutes ces calamités, celle qui en accaparant toute cette eau, cherchait à les écraser, à les dominer, comme l’avaient fait ses aïeux. Cette espèce de chamane, arrière-petite-fille de Théodore, dernière représentante de cette famille maléfique. Et les cris retentirent de nouveau, scandant le nom d’Élina à l’unisson ; c’en était presque beau, cette ferveur, et Hubert qui était là, parmi eux, sans trop comprendre, eut subitement peur, car il voyait bien qu’ils étaient prêts à tout pour la retrouver, pour lui faire du mal. (p.209)
Une histoire terrible de domination, d’exploitation, de vengeance et de folie meurtrière. On se croirait parfois dans du Marcel Pagnol ou du Jean Giono. Tous les morceaux du puzzle finissent par tomber en place et j’ai suivi Dan dans le pays de ses ancêtres. Il veut percer le grand mystère qui entoure son père, confronte la malédiction qui afflige la famille depuis des générations. Il faut certainement savoir d’où l’on vient pour prendre la bonne direction dans sa vie.
Un univers brutal, sauvage et bestial. On tue, on frappe, on élimine ceux qui résistent et les femmes se font détruire et restent des corps qui perpétuent la race. Élina est l’exception qui échappera au viol et à la mort de justesse grâce à Dan. Les deux vont peut-être purifier ce monde perdu.
Il coupa le contact, mais ne bougea pas. Il n’avait pas l’habitude d’être en situation de pouvoir. Il lui fallait appréhender l’importance qu’il avait maintenant. Ça viendrait avec le temps. Mais, pour le moment, il lui était difficile d’assumer ce rôle : celui de l’homme surpuissant qu’il était depuis moins d’une heure. Depuis qu’il s’était engagé dans la destinée d’Élina, d’abord en la sauvant d’une lapidation imminente, et maintenant en s’apprêtant à enfin la posséder. C’était beaucoup pour lui. (p.276)
Les femmes triomphent même si elles subissent les folies meurtrières des mâles, s’appropriant comme la vieille Simone les ruines d’un domaine d’où elle a été expulsée. Elles confrontent la soif de pouvoir, des obsessions qui m’ont laissé étourdi comme si j’avais dû lutter contre le vent du désert qui a tout emporté dans son élan de mort.
Il reste des odeurs, la sensation d’une chaleur intense qui écrase et la poussière partout qui empêche de respirer. Carlier a du souffle, l’art de l’évocation et des intrigues. Il nous pousse dans une histoire monstrueuse où des instincts incontrôlables ravagent tout. Une saga de haine, d’amour, de trahison, d’intransigeance fascinante.
L’aridité du pays a fini par envahir le cœur et l’âme de ces gens qui ne sont plus que pulsions et rages. Comme des bêtes abandonnées qui retournent à la vie sauvage et au clan.
CARLIER MICKAËL, Arides, Annika Parance Éditeur, 304 pages, 26,00 $.
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