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dimanche 6 janvier 2013

Danielle Dussault dirige parfaitement le choeur


Danielle Dussault nous attire dans un monde un peu étrange, dans «La partition de Suzanne». Une écriture d’arpèges et d’harmonies. J’aime. Voilà un travail d’orfèvre qui touche l’essentiel. Je pense à l’amour, la musique, celle qui fait vibrer le corps et peut-être aussi ce souffle qui anime l’âme. Un court roman écrit comme une pièce musicale où chacun des intervenants, j’allais écrire chacun des solistes, découvre son rôle dans la composition.

La jeune Suzanne vit pour et par la musique. Elle sait qu’elle ne pourra assouvir totalement sa passion pourtant. Une fille ne peut jongler avec ce monde d’harmonies et de sons. Pour arriver à ses fins, elle planifie son suicide avec une logique désarmante. Elle pense à tout, règle chacun de ses gestes comme cette partition unique qu’elle a écrite et qu’elle destine à celui qui sera l’instrument de sa mort. Elle prévoit aussi le rôle de ses amis et de ses connaissances.
«Comme je suis une fille — encore une enfant, me l’a-t-on assez souvent répété —, pour subsister dans cet univers d’enfermement collectif, je dois faire semblant que je vis en dessous de mes moyens intellectuels. Sinon, c’est l’isolement. La discrimination. Le mépris. Bien que je fasse des efforts titanesques pour avoir l’air aussi crétine que possible, je reste suspecte malgré mes cheveux soigneusement peignés. J’attends de rencontrer un cœur humain, une âme éclairée. J’espère, je dois m’en confesser, un revers du destin qui ne vient pas.» (p.14)
Ceux et celles qui ont côtoyé Suzanne témoignent et deviennent des instrumentistes qui exécutent un solo qui permet de créer la nouvelle pièce musicale.
«Si je lègue ma partition à Benoit Eicher, c’est pour qu’il ait le courage un jour de se rendre digne de cet amour. Enfin, je veux que ma sœur chante cette partition sous sa direction, qu’elle la chante avec toute son âme parce que c’est précisément ce qui peut la sauver des mensonges construits sur des millénaires d’ego et contre lesquels l’authenticité demeure l’arme la plus fatale que je connaisse. Authentiques, mon geste et mon choix l’auront été.» (p.24)
Janie Eicher dérobe cette fameuse partition qui innocenterait Benoit, son père alcoolique, et qui révélerait les intentions réelles de Suzanne. L’histoire devient un suspense où les personnages ne peuvent échapper à cette trame imaginée par la compositrice. Tous sont liés comme les musiciens d’un orchestre et n’arrivent à s’exprimer qu’en suivant les directives du chef.

Tragédie

Cette tragédie survient la veille de Noël alors que le choeur amorce les premières mesures du «Minuit, chrétiens» que vénère Suzanne. Peu à peu, tout se met en place et la composition sera jouée. La jeune musicienne survit par sa musique et peut enfin «voir» son œuvre.
«Des larmes coulent sur mes joues: improbables émotions d’une enfance morte. Si Benoit Eicher est présent aujourd’hui, dans cette salle, si tout le monde peut le voir, muet et immobile devant les juges, c’est grâce à ma mort. Si on l’a admiré et conspué tout à la fois et s’il se retrouve à la barre d’audience, ce n’est pas seulement parce que j’ai manipulé la scène, mais parce que j’en ai écrit chaque mouvement : j’ai voulu, essentiellement, lui voler sa place. Je n’avais que ce rêve: devenir chef d’orchestre.» (p.130)
On peut la croire, l’écrivain est un chef qui dirige ses personnages au doigt et à l’œil. Danielle Dussault le fait admirablement.
 
Fascination

L’écrivaine travaille ses textes en retenant ses élans et ses envolées. Ses phrases sont portées par une respiration qui est venue me chercher par je ne sais quoi. Un rythme peut-être, un souffle singulier, une belle étrangeté.
«Je n’ai rien dit à personne. Pourquoi me serais-je confiée? Qui aurait pu m’entendre? J’ai seulement écrit dans ce journal, jour après jour, le récit de ma passion, j’ai voulu livrer le témoignage de mon appartenance à la musique. J’ai écrit le désir. J’ai mordu dans ce désir et lui ai succombé: je voulais être chef d’orchestre.» (p.17)
Voilà un roman qui m’a captivé comme l’appel du «Minuit, chrétiens, peut-être, qui vous fait prendre conscience de votre condition de vivant pendant la période de réjouissances que nous venons de vivre. Des personnages qui s’arrachent à leur condition en vivant des pulsions qui les emportent comme s’ils s’abandonnaient aux mains de cette terrible musicienne qu’est Suzanne.

«La partition de Suzanne» de Danielle Dussault est paru chez Lévesque Éditeur.

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