Sophie Bouchard récidive avec un roman d’amour et de désespérance, deux ans après la parution de « Cookie ».
L’univers marin est plus présent que jamais dans « Les bouteilles ». La mer devient un personnage qui rythme les jours et les nuits, tord les êtres dans leur solitude. Un univers de fureur et de silence.
Il faut un temps cependant pour découvrir le drame de Cyril qui s’est exilé sur un piton rocheux au milieu du grand fleuve. Depuis des années, il vit en marge des humains.
« Je vis dans un enfer, un phare entouré d’eau. Pas de terre à des kilomètres. » (p. 11)
Tout change avec l’arrivée de Frida et Clovis, un couple que l’isolement défait rapidement. Elle est rêveuse, aimante et sensuelle. Lui devient muet et indifférent, ne rêvant que d’automatiser le phare et d’en chasser les humains.
« Clovis ne s’arrête pas à écouter cette substance tangible et figée dans les longs silences de son amoureuse. Il justifie son caractère discret en la décrivant comme une personne sereine. En paix. Il ne voit pas ses yeux toujours humides. Un regard qui désire s’accrocher à une parcelle de terre cachée derrière la brume. Les vagues. Les jours où la silhouette de son village apparaît dans les montagnes, Frida se dénoue. Sa tête se remplit d’odeurs connues et rassurantes. Elle transpire la libération. Elle habite son corps. » (p. 17)
Le couple est désarçonné par les vents, les brouillards et les marées. Il n’y a qu’Armand, le commissionnaire, pour apporter un moment de répit. Le passeur s’amuse de la fureur des eaux avec ses provisions de mots.
Défaite
Le lecteur comprend peu à peu que Cyril est allé au Sénégal avec Rosée. Un séjour qui a failli le tuer. La misère, l’exploitation, les « boat people » qui prennent la mer, les corps roulés par les vagues à chaque matin, il n’en pouvait plus.
« Il quittait le confort d’un pays dévasté. Jardiniers. Cuisiniers. Gardiens de nuit. Ménagères. Une qui lavait les vêtements. L’autre qui époussetait les meubles. Une autre pour les carreaux et les planchers. Encore une pour balayer la cour. Rosée et Cyril avaient goûté à la richesse et leur maison se gérait comme une entreprise. Des employés à payer. Ils ne savaient plus que faire de leurs dix doigts. Ils engageaient les voisins pour qu’ils puissent se sortir la tête de l’eau et nourrir leurs familles nombreuses. Rosée adorait cette fourmilière, cette maison toujours pleine. Cyril culpabilisait et participait aux tâches quotidiennes. » (p.105)
Il est rentré. Rosée est restée. Après des années, elle lance des appels à son amoureux. Elle coule, elle meurt. Cyril tarde à répondre.
La mer amplifie les tensions. La tempête se déchaîne. Des vagues comme on en voit seulement dans les romans. Le phare est détruit. Clovis est emporté par une vague. Cyril et Frida retrouvent la côte. Ils sont devenus des naufragés qui tentent de colmater leur vie. Elle va au Sénégal et lui arrive trop tard. Rosée s’est jetée à la mer. Peut-être que c’est elle qui est venue buter contre le pic rocheux dans sa folle désespérance. Frida et Cyril ne peuvent qu’être une présence à l’autre après tout ce qu’ils ont vécu. C’est ce qu’ils peuvent après les tempêtes de l’amour.
L’aide au pays en voie de développement est questionné, le déséquilibre planétaire, la répartition des richesses, les iniquités et l’exploitation. Sophie Bouchard questionne des façons de vivre. La planète est en danger et si plusieurs lancent des bouteilles à la mer, ils ne reçoivent des réponses que rarement.
Une écriture haletante, épousant les vagues qui butent contre le phare et imposent la cadence. Comme dans « Cookie », les relations amoureuses s’avèrent impossibles. Chacun s’enferme dans son soi et n’arrive pas à s’ouvrir à l’autre. Il est toujours trop tard quand l’un pose un geste ou répond à l’appel de détresse. Une vision pessimiste ? Peut-être mais combien riche. On le sait, les grandes histoires d’amour finissent mal. Un roman enlevant, dense et particulièrement fascinant.
« Les bouteilles » de Sophie Bouchard est publié aux Éditions La Peuplade.