Autant j’ai aimé « Immobile » et « L’ingratitude » de Ying Chen, autant j’ai eu du mal avec « Querelle d’un squelette avec son double » et « Quatre mille marches ». Assez pour ignorer la prose souvent alambiquée de cette écrivaine, ses parutions en 2006 et 2008.
Avec « Espèces », l’écrivaine d’origine chinoise signe un court texte étonnant comme toujours. Une femme disparaît aux yeux des humains, se réincarne en chatte et continue sa vie auprès de son mari. Une bête au poil soyeux qui se souvient de tout même si elle a perdu l’usage de la parole.
Rien n’allait plus avec A. le mari. Surtout depuis la disparition de l’enfant qu’elle avait trouvé sur le pas de sa porte et adopté. Comment se produit cette métamorphose ? Le lecteur ne le sait pas et ce n’est pas là le propos de la romancière.
« Je me félicite de ma renaissance un peu décadente si on veut le croire, apparemment peu prometteuse, mais qui m’assurera, telle une récompense matérielle, j’en suis persuadée par l’expérience de mes autres vies, une capacité d’idolâtrer, un pouvoir de séduire, une possibilité de rendre A. plus viril, plus à son aise, plus amoureux, en le laissant triompher sur moi. » (p. 14)
Découverte
Le félin goûte à la liberté de circuler et de jouer, aux odeurs de la ville, aux charmes de la nuit et du jour. Elle découvre la générosité des gens et les chats du quartier qui n’en mènent pas large. Tous sont castrés, repus, trop gras, dorlotés par des maîtres qui comblent ainsi un manque d’affection.
Cette entourloupette permet à Ying Chen de jeter un regard singulier sur les hommes et les femmes, leurs façons de vivre et leurs préoccupations souvent futiles.
« La communication n’est jamais possible avec l’autre parce qu’il n’écoute pas, que personne ne l’intéresse jamais vraiment. Sa tête est remplie d’idées à lui, il n’y a plus de place que pour les informations impersonnelles en tant que sources d’idées, que pour des citations d’étrangers, de préférence illustres, comme simples supports de sa pensée. » (p. 46)
La nouvelle représentante de la race féline a peu de considérations pour l’espèce supérieure de la création même si elle vénère son maître, plus même que du temps où elle était femme.
« Lorsque, du haut de ma fenêtre, j’aperçois leurs silhouettes et leurs mouvements à travers les arbres, à travers la vitre de ma fenêtre, je vois peu de différence entre eux et la famille des rats, des oiseaux ou des fourmis. L’univers rajeunit quand il se libère des humains, de leurs regards réprobateurs pour je ne sais quelles raisons ni de quels droits, de leur pensée bruyante, assommante et savamment hypocrite, de leur mémoire et de leurs trésors pourris. » (p.62)
Rencontre
Peu à peu la jeune chatte apprivoise A. et c’est le bonheur parfait jusqu’à ce qu’une autre femme arrive dans la maison. Les deux femelles deviennent des rivales. C’est même amusant quand elle décrit les ébats amoureux de A. avec sa nouvelle flamme.
« Puis ils se précipitent dans l’escalier, appelés par une autre faim plus impérieuse. Bientôt la maison est remplie de bruits suspects, de gémissements et de respirations fortes, de frottements de pieds de chaises sur le plancher, de chocs de tête contre le mur… On croirait que les squelettes dans la cave se mettent à danser. » (p. 178)
Rien ne trouve grâce aux yeux de la chatte. Elle subit l’opération qui la rend stérile et se retrouve moins alerte et plutôt indifférente. C’est peut-être ce qui attend l’humanité.
Je ne sais pourquoi, j’ai eu l’impression tout au long de ma lecture de n’être pas dans le coup. Peut-être la façon de dire et d’écrire toute en circonvolutions qui tient à distance. Ce qui est souvent très dur et outrancier fait plutôt hausser les épaules.
Il s’avère difficile de suivre les personnages de Ying Chen, d’adhérer à ses curieuses histoires. Dommage parce que l’idée est excellente et le regard percutant.
« Espèces » de Ying Chen est publié aux Éditions du Boréal
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