Heather O’Neill |
Une version de cette
chronique est parue dans
Lettres québécoises,
printemps 2019,
numéro 173.
Enfant, j’adorais les inventions de mes oncles et
des conteurs qui s’arrêtaient parfois à la maison pour nous surprendre dans
notre quotidien. Tous avaient quelque chose à raconter et les forêts qui se
déployaient dans les montagnes devenaient des espaces où l’aventure était
possible. Dès que j’ai su lire, j’ai commencé à rêver de découvertes et de
rencontres inoubliables. Mon Histoire du
Canada était alors la principale source de mes jongleries avec les exploits
des coureurs des bois qui buvaient dans les rivières de l’Amérique,
dormaient sur le sol, voyageaient jour après jour pour voir derrière les collines
ou encore le bout d’une plaine sans fin. Et il y avait les expéditions punitives
des Canadiens (les premiers migrants venus de France à s’installer en terre du
Canada) contre les Anglais avec l’aide de leurs amis indiens, des alliés
indéfectibles qui effarouchaient tout le monde. Ils semaient la terreur dans
les villages de la Nouvelle-Angleterre. De quoi secouer le jeune garçon qui se
prenait pour un guerrier quand il enfonçait une plume de dindon dans ses
cheveux déjà clairsemés et qui partait dans une mer de trèfle. La découverte alors
se cachait dans les écores de la rivière aux Dorés et la petite forêt de
trembles au bout des champs de mon père.
Après la Conquête de 1760, l’aventure s’est recroquevillée,
comme si quelqu’un avait coupé le cordon qui nous reliait au continent
américain, aux grandes plaines de l’Ouest et aux montagnes qui nous isolaient
des plages du Pacifique. Il nous restait les Pays d’en haut, au nord de
Montréal, pour patauger dans une paroisse semblable à celle où je suis né. Séraphin
et Donalda n’avaient rien d’exotique. Alexis Labranche parlait parfois du
Colorado, Bill Wabo nous rappelait les autochtones, ceux et celles qui vivaient
à Mashteuiatsh, mais que nous ne fréquentions pas et que nous regardions avec
curiosité quand ils traversaient le village pour aller bivouaquer dans le parc
de Chibougamau. En fait, mon premier contact avec les Cris se fit beaucoup plus
tard, lors d’un été où je travaillais en Abitibi. Il y avait un camp tout
proche du chantier et les relations étaient tendues, violentes même. Les Blancs
se comportaient en envahisseurs et ne respectaient rien. L’horreur. J’ai
raconté ces histoires dans La mort
d’Alexandre.
Et nos manuels scolaires ne signalaient jamais les aventures de
ces francophones exilés aux États-Unis, de ces fous toujours en mouvement qui ont
inventé le rêve américain que l’indomptable Serge Bouchard nous a fait
connaître dans la plus belle des fiertés. Depuis, je suis un admirateur
d’Émilie Fortin et de Nolasque Tremblay, ces découvreurs qui n’avaient peur de
rien, ces chercheurs d’or, ces inventeurs de pays qui sont nés dans la même
région que moi. Comme quoi l’histoire est au coeur d’un débat étrange au Québec.
Il y a des aspects qu’on tait et qu’il ne faut pas raconter. Il semble que
maintenant, on ne l’enseigne plus, ou presque pas ce passé.
HORIZON
J’étais en huitième année et lisais à peu près tout ce que je pouvais
trouver dans la petite bibliothèque de l’école de monsieur Baillargeon. C’est
comme ça que j’ai eu entre les mains Les
engagés du Grand-Portage de Léo-Paul Desrosiers. Ce roman a secoué des
frontières et m’a ouvert un horizon auquel je ne pensais pas. Un beau livre de
la collection « Nénuphar » de Fides, l’édition de 1958. C’était comme si cette
histoire me rebranchait avec ce qui m’avait fasciné enfant et que je retrouvais
dans les aventures d’Aigle noir à la télévision.
Toutes les vies devenaient possibles au-delà du grand lac
Supérieur, dans les plaines sans fin ni commencement de la Saskatchewan et du
Manitoba. Une lutte féroce s’y déroulait pour le monopole de la traite des
fourrures. Les Pieds noirs, les Sioux, les Gros ventres me faisaient imaginer
les plus folles expéditions. Nicolas Montour, le personnage principal de monsieur
Desrosiers, est une charogne prête à vendre sa mère pour réussir, un homme sans
foi ni loi qui prend tous les moyens pour faire fortune. Il semble que les
choses n’ont pas tellement changé quand on s’attarde à l’actualité. Les
aventuriers, les manipulateurs sont partout pour engranger les profits, même au
détriment de la planète.
Je me souviens surtout des descriptions des cascades, des lacs
sauvages, des plaines immenses et des rencontres avec des peuples étranges. Ce
livre m’a fait rêver pendant des mois et j’ai tenté de m’avancer dans des
histoires similaires, mais mes héros trébuchaient sur les premiers bouillons de
la rivière Ashuapmushuan et rentraient après s’être butés aux rapides du Fer à
cheval. Cinq pages et je restais là, muet, sans mots, le crayon paralysé,
l’imagination en berne. J’ai eu longtemps la certitude que rien ne pouvait
arriver entre les maisons de mon coin de pays et les forêts qui étouffaient un
peu la paroisse. Comme s’il n’y avait pas de place pour l’écriture à La Doré,
au bout du rang Saint-Eugène.
MADAME
GABRIELLE
J’ai lu Gabrielle Roy peu après mon arrivée à Montréal. La petite poule d’eau et plus tard Ces enfants de ma vie. Bonheur d’occasion aussi, bien sûr. J’ai
l’édition publiée chez Beauchemin en 1966. Ce fut une révélation. Je savais
bien qu’il y avait de grands espaces là-bas, par delà les montagnes de l’Abitibi.
Des familles, des voisins, des cousins étaient partis pour y fonder un autre
pays. Ils revenaient parfois pour des vacances, un mot que mon père ne
connaissait pas, et ils nous impressionnaient avec leurs expressions anglaises.
Ce fut Roch Carrier, avec La
guerre yes sir en 1968, qui m’a fait me souvenir de la présence de ces
Canadiens. La figure de l’anglophone surgissait dans Kamouraska d’Anne Hébert et même chez Philippe-Aubert de Gaspé que
j’ai lu alors, mais j’avais tendance à hausser les épaules et à passer rapidement.
Je pouvais croiser des juifs hassidiques dans ma rue d’Outremont et me demander
d’où ils pouvaient venir, mais c’est une autre histoire. Il y avait tout un
espace que je ne connaissais pas, toute une partie de l’Amérique qui demeurait
mystérieuse et comme inaccessible, comme si en 1760, les vainqueurs avaient
planté une grande affiche tout près de la rivière des Outaouais en y
écrivant : terres interdites aux
francophones.
Un personnage fantomatique rôdait dans mes livres et restait
insaisissable, un passant, une rumeur, une sorte de présence peu réelle. Il
était là, dans Menaud maître-draveur,
ce rodeur qui hante les forêts et les montagnes qui ont happé Joson. Quand ai-je
lu Félix-Antoine Savard pour la première fois ?
AUTRE
CANADA
Un jour, je ne sais trop pourquoi, j’ai voulu lire les
écrivains de l’autre Canada. Ma fascination pour tout ce qui est imprimé sans
doute. Il faut dire que j’avais voyagé aux États-Unis avec Faulkner, Caldwell,
Steinbeck, Hemingway, Miller et Kerouac, mais j’avais ignoré l’Ouest canadien,
encore plus le Nord. Il était temps d’explorer le pays de Louis Riel et de Gabriel
Dumont.
Celle qui titilla ma curiosité d’abord fut Margaret Atwood avec
ses souvenirs d’enfance, des étés en Abitibi. C’était mon monde. Elle utilisait
mes images pour raconter ses découvertes. Ce fut alors le début d’une nouvelle
aventure de lecture. Je suis devenu un fidèle de madame Atwood. Des gens qui ne
parlaient pas ma langue se débattaient dans une même réalité et décrivaient
leur vie avec mes mots presque.
Et aussi Robertson Davies, puis Timothy Findley et Bill Gaston ce
prosateur formidable. Je vous conseille son roman Sointula, cette tentative de changer la collectivité et de vivre
autrement au Canada. Une commune où tout est à tous. Ça m’a fait penser à
l’installation des premiers défricheurs du Lac-Saint-Jean, à Hébertville. Tout
y était communautaire avec le curé Nicolas Tolentin Hébert qui dirigeait tout. On
ne parlait pas de socialisme près du lac Kénogami, c’était un mot interdit. Et
aussi les aventures de la coopération à La Doré. L’épicerie du « syndicat » comme
on disait, un chantier forestier qui est à l’origine de la scierie qui emploie
une grande partie du village et qui appartient maintenant à Résolu. Ce groupe de
volontaires, ces travailleurs aux idées différentes et le dévouement inlassable
de Louis-René Dallaire avaient fait en sorte de s’occuper nous-mêmes de la
coupe du bois et de sa transformation.