COLLABORATION SPÉCIALE
Il
y a des artistes et artisans de littérature aux quatre coins de ce pays qui est
le nôtre. Yvon Paré est de ceux-là et tout le Saguenay-Lac-Saint-Jean connaît
son œuvre, sa longue carrière de journaliste et d’animateur culturel. J’ai lu
quelques-uns de ses livres, mais j’ai surtout eu le plaisir de travailler avec
lui à Lettres québécoises.
Présentations faites, je vous propose son plus récent
récit intitulé L’Orpheline de visage. Impossible d’en sortir indemne,
tellement il nous transporte dans le double univers de la réalité et de la
fiction. L’auteur joue de cette dualité en s’adressant à son amie Nicole Houde,
écrivaine originaire de sa région décédée en 2017, et en maillant leur univers
littéraire, parfois dans des dialogues évocateurs.
En ouvrant le récit, j’ai pensé au Docteur Ferron,
le « pèlerinage » au cœur de l’œuvre de celui-ci entrepris par
Victor-Lévy Beaulieu. De tous les livres consacrés à des écrivains, le Ferron me
semble l’ultime exemple de son art, VLB ayant confié les dialogues à ses
propres personnages et à ceux de celui qu’il considère comme son maître. C’est
exactement ce que fait Yvon Paré en grande conversation avec Nicole Houde ou en
laissant leurs personnages dialoguer avec une rare fulgurance.
Je vous rassure: il n’est pas nécessaire de connaître
les livres de l’une et l’autre si on accepte s’être attentif au discours des
protagonistes. J’ai aimé entrer à l’aveugle dans leur univers respectif, et
d’ainsi connaître et comprendre l’itinéraire de leur vie qui les a amenés à
l’écriture malgré des embûches qui en auraient découragé plus d’un. Autre
temps, autres mœurs de dire le proverbe qui prend tout son sens dans ce récit
et nous amène à comprendre le titre L’Orpheline de visage.
ÉMOTIONS
Les émotions sont vives, parfois déchirantes,
peut-être plus du côté des propos de Nicole Houde, mais elles s’accordent
parfaitement avec ce qu’ils ont écrit, aussi bien les trames que les
personnages imaginés. Nous découvrons ainsi la rupture entre le travail des
pères et des mères et les rêves des jeunes de leur époque, celle de la fin des
années 1940. Partir pour Montréal y étudier la littérature n’est rien de moins
qu’un rejet des valeurs traditionnelles qui exigeaient que l’homme trime dur
pour gagner le pain familial. Quant aux jeunes filles, l’horizon n’allait pas
beaucoup plus loin que la terre familiale et l’obligation canonique de la
maternité annuelle. Y.P. et N.H. ont refusé de tels destins et choisi de forger
leur propre avenir, coûte que coûte.
Yvon Paré raconte tout cela et encore plus en étant
généreux de confidences que des personnages de ses ouvrages corroborent. Il est
d’une infinie délicatesse quand ce sont les personnages de Nicole Houde qui
entretiennent le dialogue, mais aussi quand il rappelle des jours qu’elle a
passés chez lui à écrire dans le calme de la maison de campagne.
Il y a une forte dose d’humanisme dans ce livre qui,
somme toute, est écrit à quatre mains, un peu comme l’a fait Danielle Dubé dans
Entre toi et moi (Pleine lune, 2017), un recueil d’haïkus dont les
poèmes alternent entre ceux de Nicole Houde et les siens, et devient ainsi un
dialogue poétique. Puis, le récit d’Y. Paré illustre que la solitude de
l’écrivain peut parfois être partagée et créer des univers où l’écho de l’une
répond à celle de l’autre en une parfaite harmonie.
AVENTURE
La lecture de L’Orpheline de visage est une
aventure de l’intelligence et de l’émotion d’une grande sensibilité qui rassure
sur la nature humaine trop souvent mise à mal. L’écriture de l’auteur est
sobre, sans autre artifice que celles qu’exige le discours littéraire dont il
connaît très bien les arcanes et les règles. Puis, quand on referme le livre,
des phrases, des images, des lieux, des personnages continuent d’habiter notre
propre imaginaire et de nourrir notre vie intérieure. Un beau voyage, vous
l’ai-je dit.
L’ORPHELINE DE VISAGE, YVON PARÉ, Montréal, Pleine Lune, coll.
« Plume », 2018, 136 p., 21,95 $.
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