ÉRIC MATHIEU, après Les
suicidés d’Eau-Claire, poursuit sa démarche avec Le Goupil, un roman d’apprentissage pour le moins étrange. Émile
est surnommé le goupil à cause de ses traits et de la couleur de ses cheveux. Depuis
le Moyen Âge, les roux ont été associés au mal, au renard et même au diable. Un
enfant étrange, une mère qui tourne entre des amants et un mari plutôt absent.
Des marginaux qui vivent dans le petit village de Mayerville, un terreau
propice à toutes les rumeurs où le jeune Émile fait l’apprentissage de la vie
et doit s’imposer auprès des siens, convaincu que son père n’est pas vraiment
son père. Il passera une partie de son enfance à chercher la vérité.
Goupil est
l’ancien nom du renard, l’animal que j’aime bien et qui a si mauvaise
réputation. Le beau grand élégant que je surprends parfois tôt le matin
derrière la maison, celui qui fait sa ronde toutes les nuits dans le secteur
pour voir si les choses sont à leur place et dont je surveille les empreintes délicates
dans la neige en hiver.
Renard a pris la
place de goupil sans doute à cause du roman animalier très populaire Le roman de Renart qui raconte les
aventures d’un animal particulièrement rusé qui se moque de tous les autres
animaux. Des textes rédigés par différents auteurs dont les plus anciens
remonteraient à 1174. L’ensemble a été publié vers les années 1200 et a connu
un immense succès.
Un animal que les
humains traitent souvent d’hypocrite. Une bête que l’on dit solitaire, sauvage,
indépendante et fière, rôdeuse et capable de tous les mauvais coups, surtout
dans un poulailler. Le renard a un faible pour les pondeuses.
Le choix du prénom
d’Émile par Éric Mathieu n’est sans doute pas un hasard et il fait penser à
Jean-Jacques Rousseau qui a connu ses heures de gloire. Tout le monde l’associe
à une phrase qui dit à peu près ceci : « L’enfant naît bon et la société
le corrompt ».
Émile surprend son
entourage à la naissance par l’étendue de ses connaissances et de ses dons. Un
savoir que ses proches ne peuvent comprendre.
Avant moi, il y
avait le silence. Puis, je naquis un matin brumeux de novembre, et avec moi la
parole fut, et dans la maison familiale, autrefois austère et sans joie, où
personne ne s’échangeait un mot, on n’entendait désormais plus que moi, car je
parlais sans cesse, même dans mon sommeil ; je racontais des histoires, des
contes ; je déclamais d’obscures pièces de théâtre ; la tirade du nez de Cyrano de Bergerac m’était aussi
naturelle qu’une simple comptine ; je récitais des vers ; je connaissais La Jeune Parque par cœur et la plupart
des Poèmes saturniens ; et, les yeux
fermés, je débitais des passages entiers des Mémoires d’outre-tombe et des Chants
de Maldoror d’une voix douce mais ferme, sans me tromper, avec un débit
rapide mais clair, accompagné d’un sourire complice et mesuré. (p.14)
J’ai pensé au
personnage de Merlin l’enchanteur qui est né en sachant lire et écrire, connaissant
nombre d’ouvrages que personne ne pouvait déchiffrer. Un mage qui vivait dans
la forêt, savait prévoir l’avenir et les agissements des humains. Nous voilà
dans une fable ou quelque chose du genre avec le livre de Mathieu qui promet
des surprises et des rebondissements.
Le jeune Émile est
digne de Jean-Jacques. Voilà un érudit à la naissance qui effarouche un peu
tout le monde. France Claudel, sa mère, est plutôt honteuse devant ce fils qui
jacasse et que personne ne comprend autour d'elle. Il est l’objet d’une
certaine curiosité au début et rapidement on le craint. Il est certainement le
diable en personne.
J’ai un personnage
semblable dans mon roman Le violoneux
publié en 1979. Geneviève-Marie, la treizième de la famille, possède les mêmes
attributs que le jeune Émile. Elle apprend tout par elle-même, la lecture et
l’écriture, peut déchiffrer des partitions musicales alors que ses frères grognent
comme des animaux en labourant la terre. Une fable et un conte où je voulais
illustrer les difficultés du Québec à sortir de l’ornière pour devenir un pays.
Le temps et la
société feront en sorte que le jeune Émile oublie ses connaissances et devienne
un ignorant qui ne se distingue guère de ses semblables. Il y a de quoi se
questionner sur la vision de l’auteur et ce qu’il pense de l’éducation lui qui
enseigne la linguistique à l’Université d’Ottawa.
QUÊTE
Le jeune garçon rôde
dès qu’il peut se tenir sur ses pieds. Il est digne de l’animal dont il porte
le nom. Un rebelle, un mal aimé, un sauvage obsédé par sa mère, un chapardeur
qui met le nez partout et perce les secrets de tout le monde dans le village.
Sa mère entretient des rapports intimes avec le voisin Ducal, a eu des
aventures avec le Gitan. Beaucoup d’hommes dans la petite commune peuvent être le
père du jeune Goupil. Le Gitan ou le ténébreux Ducal ? Le premier est assurément
le géniteur de sa sœur.
France Claudel
(comment ne pas penser à l’écrivain du même nom) cache bien ses secrets et rabroue
constamment le jeune Émile, comme s’il lui rappelait un moment qu’elle veut
oublier.
Lorsque madame
Claudel me vit pour la première fois, elle poussa un petit cri aigu. Mes
cheveux étaient roux, plaqués sur le crâne comme avec de la brillantine. Telle
une châtaigne séchée, j’avais la peau toute fripée. J’avais le teint bistre, le
visage tout en longueur, avec de grandes oreilles décollées et un long nez
aquilin. Je ressemblais à une belette ou à un renard. On me surnomma vite «
Goupil », sobriquet que je n’aimais pas beaucoup, car il me sembla qu’on
l’associait à toute une panoplie de propriétés les plus ignominieuses les unes
que les autres et j’avais à cette époque une haute opinion de ma personne, si
bien qu’à chaque fois que j’entendais ce vilain mot, « goupil », mon cœur se
soulevait, mon âme quinteuse se révoltait et de petites larmes de rage
coulaient le long de mes joues couleur topinambour (p.20)
Le jeune garçon
vole tout ce qu’il trouve et dissimule se rafles dans un lieu secret, enquête
sur tout le monde et se retrouve avec trois pères potentiels, dont un soldat
américain que sa mère a hébergé à la fin de la guerre. Elle entretient une
correspondance régulière avec cet homme qui est retourné vivre aux États-Unis
après sa guérison. Ces lettres hantent le jeune Émile en quête de vérité. Il
finira par les trouver et les lire dans le grenier.
ENFANCE
Éric Mathieu ne
s’éloigne guère de la pensée de Jean-Jacques Rousseau. La société écrase cet
enfant qui aurait dû faire l’admiration de tous, en fait une bête farouche et sournoise
par ignorance. Émile connaît le fond du baril quand il est placé dans un établissement
destiné aux orphelins. Une prison sordide, le régime totalitaire où il subit
les foudres des grands et des professeurs. Heureusement, il parvient à s’évader
et vit enfin la vraie vie du renard.
La Maison des
pupilles était possédée, totalitaire. Les institutrices étaient sévères, les
surveillants dominateurs, le directeur despotique. Très tôt, je me dis : «
Il faudrait partir, m’échapper, » Les pupilles, surtout les plus grands, qui
étaient là depuis longtemps, tous ceux qui n’avaient pas été adoptés, tous ceux
que les parents n’avaient pas récupérés étaient devenus aigris, durs, hargneux.
Ils s’en prenaient aux petits, les faisaient pleurer dans les couloirs, les
dénonçaient aux supérieurs lorsqu’ils avaient fait des bêtises. (p.207)
Il rôde près des
habitations, va d’un village à l’autre, vole sa nourriture, dort dans un
terrier, vit un certain temps dans un cirque où il suit un mauvais magicien. Il
devra fuir encore avant de revenir à la société et de pratiquer un petit métier,
vivre peut-être l’amour avec Marie, une jeune fille qu’il connaît depuis toujours,
la sœur de son grand ami qui quitte Paris pendant l’été pour s’installer dans le
village.
Un roman étrange
qui perd de sa magie en cours de route pour devenir particulièrement dur et
réaliste. Émile flirte avec la délinquance avant de trouver un travail, reste
méfiant bien sûr. Les renards ne se laissent pas apprivoiser facilement.
Un texte
troublant, dérangeant, parce que l’Émile d’Éric Mathieu a tout pour devenir un
être d’exception à la naissance et le milieu en fait une sorte de bête
incapable de s’exprimer lui qui pouvait réciter les tirades de Cyrano de Bergerac dans son berceau.
Et si la société cherchait
à faire de ses enfants des cancres et des médiocres ? Je n’ose répondre, mais
chose certaine elle n’aime pas les phénomènes qui posent toutes les questions
et refusent de marcher au pas.
Une histoire qui m’a
laissé avec une sorte de tremblement de l’être et des frissons dans le dos. Que
fait la société de ses enfants et de ses prodiges ? Cherche-t-elle à les
assassiner pour en faire des abrutis qui ne savent que travailler et consommer
? La question reste entière et j’ai eu l’impression d’être passé à côté d’une aventure
qui aurait pu être magique et envoûtante. Malheureusement, la famille du jeune
Émile et son milieu en décident autrement.
LE GOUPIL, roman d’ÉRIC
MATHIEU est une publication de LA MÈCHE ÉDITEUR.
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