samedi 18 mai 2013

Nathanaël nous laisse souvent en apnée



«Depuis, j’écris ces Carnets, qui sont des tentatives d’écriture, des essais, des petits échecs qui tâchent impossiblement de raccommoder le temps et son sens.» (p.43)

Nathanaël, connue aussi sous le nom de Nathalie Stephens, avec «Carnet de somme» met un terme à une trilogie qui regroupait des titres évocateurs: «Carnet de désaccords» et «Carnet de délibérations».
Cœur tendre s’abstenir. Nous sommes à des lunes de l’anecdotique. Il y a ici et là des références qui démontrent que l’auteure s’envole vers Chicago ou Montréal, mais ce n’est guère important. Nathanaël se tient dans la stratosphère. J’ai eu souvent l’impression d’être mis en joue et de devoir me justifier d’être vivant. Le carnet veut cela.
«… une étable, de nombreuses pièces, des randonnées à bicyclette à la campagne, un parking terrible, des gens qui vont qui viennent, une menace, jamais nommée, une exposition d’art éventuelle, et la détérioration rapide de mon corps devant tout le monde. Couché ou debout, la liquéfaction de mes jointures, mes os flottant dans mes restes, des trous béants aux genoux, peau cireuse, disant à R. qui regardait la télé avec trois autres personnes tue-moi, par pitié pourquoi est-ce que tu ne me tues pas.» (p.25)
Les courts textes, entre la correspondance, le monologue avec une sœur morte prématurément, traquent l’insoutenable poids de vivre. Comment savoir si la mort choisit mal son heure ou si elle se laisse désirer? Beaucoup de citations d’écrivains pour s’accrocher et ne pas sombrer.

Désespérances

Peut-on percer les secrets de la mort ou de la vie quand le corps pousse le vivant tout doucement vers l’anéantissement? Cette question, les humains la ressassent depuis des millénaires. Les religions proposent des certitudes qui ne font que soulever des doutes.
Ces fragments, comme des éclats de verre, s’enfoncent entre les côtes pour faire jaillir le sang. Alors les yeux se tournent vers une autre dimension peut-être, le réel invisible.
«Jusqu’où le creux creusé en soi ? Je m’enroule, je dors la tête sous les couvertures, je tire mes genoux jusqu’au menton et je me déteste parce que je suis en vie. Et les mots de mes livres martèlent l’intérieur de ma tête, et je me déteste aussi pour les avoir écrits. Et je pense – je sais – que la trajectoire de la lettre envoyée du désert jusqu’à cette ville est la trace de notre amitié qui est aussi un amour, et je déteste le langage pour avoir divisé les choses ainsi, pour avoir séparé ce qui n’a ni le besoin ni le désir d’être séparé, ce qui est du corps pour commencer.» (p.74)
Une expérience où le mot est une question de vie et de mort. Nathanaël plonge dans le corps de la douleur, la souffrance d’être, le mal de vivre dans un monde où les autres deviennent une menace. Un texte existentiel qui va là où les frontières s’abolissent.

«Carnet de somme» de Nathanaël est paru aux Éditions Le Quartanier.

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