«Depuis, j’écris ces Carnets,
qui sont des tentatives d’écriture, des essais, des petits échecs qui tâchent
impossiblement de raccommoder le temps et son sens.» (p.43)
Nathanaël, connue aussi sous
le nom de Nathalie Stephens, avec «Carnet de somme» met un terme à une trilogie
qui regroupait des titres évocateurs: «Carnet de désaccords» et «Carnet de
délibérations».
Cœur tendre s’abstenir. Nous sommes
à des lunes de l’anecdotique. Il y a ici et là des références qui démontrent
que l’auteure s’envole vers Chicago ou Montréal, mais ce n’est guère important.
Nathanaël se tient dans la stratosphère. J’ai eu souvent l’impression d’être
mis en joue et de devoir me justifier d’être vivant. Le carnet veut cela.
«… une étable, de nombreuses
pièces, des randonnées à bicyclette à la campagne, un parking terrible, des
gens qui vont qui viennent, une menace, jamais nommée, une exposition d’art
éventuelle, et la détérioration rapide de mon corps devant tout le monde.
Couché ou debout, la liquéfaction de mes jointures, mes os flottant dans mes
restes, des trous béants aux genoux, peau cireuse, disant à R. qui regardait la
télé avec trois autres personnes tue-moi, par pitié pourquoi est-ce que tu ne
me tues pas.» (p.25)
Les courts textes, entre la
correspondance, le monologue avec une sœur morte prématurément, traquent l’insoutenable
poids de vivre. Comment savoir si la mort choisit mal son heure ou si elle se
laisse désirer? Beaucoup de citations d’écrivains pour s’accrocher et ne pas
sombrer.
Désespérances
Peut-on percer les secrets de
la mort ou de la vie quand le corps pousse le vivant tout doucement vers l’anéantissement?
Cette question, les humains la ressassent depuis des millénaires. Les religions
proposent des certitudes qui ne font que soulever des doutes.
Ces fragments, comme des
éclats de verre, s’enfoncent entre les côtes pour faire jaillir le sang. Alors les
yeux se tournent vers une autre dimension peut-être, le réel invisible.
«Jusqu’où le creux creusé en
soi ? Je m’enroule, je dors la tête sous les couvertures, je tire mes genoux
jusqu’au menton et je me déteste parce que je suis en vie. Et les mots de mes
livres martèlent l’intérieur de ma tête, et je me déteste aussi pour les avoir
écrits. Et je pense – je sais – que la trajectoire de la lettre envoyée du
désert jusqu’à cette ville est la trace de notre amitié qui est aussi un amour,
et je déteste le langage pour avoir divisé les choses ainsi, pour avoir séparé
ce qui n’a ni le besoin ni le désir d’être séparé, ce qui est du corps pour
commencer.» (p.74)
Une expérience où le mot est
une question de vie et de mort. Nathanaël plonge dans le corps de la douleur,
la souffrance d’être, le mal de vivre dans un monde où les autres deviennent
une menace. Un texte existentiel qui va là où les frontières s’abolissent.
«Carnet de somme» de Nathanaël est paru aux
Éditions Le Quartanier.
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