Élise Lagacé, dans «La courte
année de Rivière-Longue», décrit un milieu sclérosé qui sera secoué par des
marginaux et quelques dissidents. Des personnages sympathiques et détestables,
des scènes cruelles comme toute fable le veut. Un vrai plaisir que de se
laisser emporter dans un monde étrange et pourtant si familier. Un texte
vivant, débordant d’humour et d’imagination.
Aline a quitté mari et enfant.
Elle n’en pouvait plus de son conjoint qui dérivait entre le réel et l’ivresse,
la violence et la tendresse. Elle va sans se retourner comme la femme de Loth, abandonnant
sa petite Marcelle. Elle traverse le grand fleuve pour mettre du temps et de
l’espace entre elle et son ancienne vie.
«Aline n’a rien fait de mal.
Pourtant, elle est fautive. Surtout, elle est coupable. Pour les habitants de
Rivière-Longue, il ne s’était jamais rien passé. Ils n’ont rien entendu. À
Rivière-Longue, ça ne se fait pas. On ne doit rien changer des choses établies.
On ne fait pas de remous. Seul le vent a le droit de souffler en rafales. Pas
Aline. Il ne faut pas. Il faut cacher. Camoufler. Faire comme si rien ne se
passe.» (p.16)
Peut-être qu’elle n’aura été
qu’un rêve, qu’un souffle qui secoue le feuillage d’un bouleau, qu’une ombre
dont personne ne se souviendra. Tout s’efface dans ce village qui se perd dans
le temps.
«Son ne dira rien, il fera
comme si Aline n’avait jamais existé. Complices dans ce silence, les villageois
décident de ne plus parler. De chérir leur indifférence. Le soulagement
s’installera sûrement. Plus rien ne peut arriver. Plus jamais. Et on ne
laissera personne quitter Rivière-Longue. Ce ne sera plus nécessaire. Peu à
peu, Rivière-Longue s’effacera des cartes routières. Peu à peu, Aline
s’effacera de leur souvenir.» (p.19)
Tout va changer pourtant avec
l’arrivée de Roland qui bouscule «l’intranquillité» des choses.
«Roland est apparu un matin,
au moment où la lune et le soleil se partagent le ciel. Une aurore gris-vert,
quatre ans après la disparition d’Aline. Il avait croisé Martin qui dénouait
son filet, Marcelle qui feuilletait un jeu de cartes bourré d’humidité et
Simone, trois ans, qui courait de long en large de la plage avec une taie d’oreiller
qu’elle tenait ouverte au bout de ses bras. Petit navire hilare et titubant.
Roland conduisait son pick-up rouge rouillé. Grand homme sombre comme une forêt
et barbu comme un ours.» (p.55)
Les bien-pensants le tolèrent
jusqu’à ce qu’il commence à construire une maison pour Aline. Le village décrète
un boycottage qui ne donnera rien puisqu’il peut s’approvisionner dans l’agglomération
voisine. Certains iront jusqu’à saboter son travail et il sera blessé
sérieusement. On ne bouscule pas un tel milieu sans courir des risques.
La famille
Martin le gentil géant père
de Marcelle, Mario un oiseau étrange, Simone une enfant trop intelligente pour
son âge et Gitane, une avocate sans travail, finissent par former une étrange
famille jusqu’au retour d’Aline.
«Aline marche lentement sur
le Boulevard, l’émotion la rend lourde, elle avance dans le coton d’un rêve
dont elle espère ne jamais s’éveiller. Son cœur fait un bond lorsqu’elle passe
devant les ruines calcinées de son ancienne demeure, le feu nettoie tout, même
les pires souvenirs. Elle n’en croit pas ses yeux et fait taire les questions
qui se bousculent dans son cerveau encore fatigué de la nuit blanche du
voyage.» (p.164)
Des surprises comme je les
aime, une description d’un milieu qui s’étouffe dans ses entêtements et sa bêtise.
La caricature du bureau de la censure à l’arrière de la Poste est une
trouvaille. Les commères qui entendent tout de leur galerie également.
Une belle manière de montrer
les travers des humains, de dire que la sottise peut être vaincue. Les gens
finiront par accepter les changements, mais auparavant, il faudra un grand feu qui
effacera le passé et purifiera le village en quelque sorte. Une rédemption quoi.
J’ai eu beaucoup de plaisir à
lire ce roman, allant de surprise en surprise. Une découverte, une fable qui
secoue la vie d’un milieu sclérosé qui s’étouffe peu à peu en surveillant un
voisin, mettant des efforts terribles à empêcher les autres de respirer ou un
chien de japper. Heureusement, la vie triomphe de tout, même de l’aveuglement
et de la sottise.
«La courte année de Rivière-Longue» d’Élise Lagacé
est paru chez Hurtubise.
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