Roman fascinant que
«L’oreille absolue» de Mathieu Boutin. Si au début, j’ai eu l’impression que la
trame romanesque n’était qu’un prétexte pour parler de la musique, je me suis
rapidement ravisé. L’action est là, étonnante, empruntant des tonalités inédites.
Les personnages sont colorés et singuliers dans leur manière de s’accorder à la
vie. Le tout comme une partition où tous les instruments trouvent une place et une
voix distincte.
On dit d’un musicien qu’il a
l’oreille absolue quand il sait détecter les moindres nuances des sons et des
notes. C’est le cas de Robert Dubreuil, violoniste dans un orchestre symphonique
où il s’efforce de devenir invisible. C’est possible dans un grand ensemble
avec les nombreux instrumentistes.
Il y a aussi un quatuor qui joue
à gauche et à droite pour payer les courses et les loyers. Que des filles!
Annie la directrice, un caractère de chien, Marianne son amoureuse, Juliette la
violoncelliste et Clothilde, la violoniste. David remplace parfois Marianne
dans l’ensemble qui se produit dans les mariages, les funérailles, des
baptêmes, des rencontres de Noël où la musique est là comme trame de fond. Du
travail assez frustrant pour ces artistes qui rêvent de jouer devant un vrai
public et peut-être aussi dans de grandes salles.
Le couple
La véritable histoire de «L’oreille
absolue» tourne autour de Jasmine, une femme magnifique, une pianiste originale
et fantasque, une professeure recherchée. Elle a eu un fils, né sous le piano
presque, un grand musicien traumatisé par sa mère, sa vie tumultueuse et ses
nombreux amants. L’enfant a subi ses lubies et ses obsessions, ses rages aussi.
«S’il avait eu son violon, il
aurait pu courir se réfugier au salon, sortir l’instrument en vitesse et se
mettre à jouer le Printemps, cette
sonate de Beethoven, celle qu’il lui jouait, enfant, pour la consoler de ses
chagrins, pour la sortir de sa détresse. Parce que, depuis toujours, jouer du
violon était la seule façon pour Robert de communiquer avec sa mère, d’obtenir
un instant son attention, de lui rappeler qu’il existait, qu’ils étaient
ensemble, et que tout irait bien, c’est promis, tant que la musique
continuerait.» (p.81)
Jasmine souffre de la maladie
d’Alzheimer. D’humeur changeante, elle ne reconnaît personne, pas même son
fils.
«Jasmine n’était pourtant pas
devenue muette, mais le sens des mots, de ceux qu’elle prononçait comme de ceux
qu’elle entendait, de ceux par lesquels ses idées et ses sentiments s’étaient
toujours formulés dans son esprit, s’aventurait chaque jour un peu plus au-delà
des sentiers connus. Il n’était pas perdu, mais alors que les routes de jadis
avaient toujours été balisées de cailloux blancs, Jasmine ne disposait plus que
de miettes de pain. Et les corbeaux qui tournaient au-dessus de sa tête étaient
voraces.» (p.153)
Robert ne se résout pas à la
placer dans un endroit où l’on s’occupe des gens qui sont atteints par cette terrible
maladie. Un jour, la mère le prend pour un voleur et le blesse aux deux mains avec
un couteau. Le drame pour le violoniste. Il prépare le concours où David pourra
le remplacer dans l’orchestre symphonique. Jasmine qui l’accompagne aux
auditions, il ne peut la laisser seule, bondit sur la scène, reconnaissant le
son du violon, celui du père de Robert. Un amant qui a abandonné Jasmine
enceinte. Tout se boucle alors.
Musique
Quelle belle manière de faire
sentir, voir et être dans l’univers de la musique. Comme si le lecteur que je
suis pouvait enfin déchiffrer une partition de Bach, de Mozart ou de Vivaldi.
Mathieu Boutin, musicien de
formation, nous plonge dans un roman d’action doublé d’une véritable aventure
musicale. Il connaît le travail des musiciens, décrit leur fascination pour certains
compositeurs et leur manière de vivre des sensations uniques.
Tout cela avec des relations
amoureuses mouvementées dans le cas de Marianne et Annie. Un peu étrange du côté
de Juliette et Robert. David et Clothilde s’accordent parfaitement. Tous sont
au diapason.
Des personnages bien campés,
une action qui vous emporte dans les mouvements d’une symphonie. Parfois, c’est
lent et parfois l’allégro devient frénétique. Ce n’est pas un exploit
quelconque que de faire vivre la musique. Mathieu Boutin réussit cette aventure
avec une originalité et un savoir particulier. Un travail de premier violon ou
de chef d’orchestre.
«L’oreille absolue» de Mathieu Boutin est paru chez Druide.
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