LA MAISON DE MON PÈRE n’est pas un roman de Marcel Pagnol, mais bien celui d’Akos Verboczy, un écrivain né en Hongrie qui a migré au Québec à l’âge de onze ans. L’un de ceux qui se sont bien intégrés à leur nouveau pays, allant jusqu’à voter oui au référendum portant sur l’indépendance du Québec. (Il l’avoue dans son récit.) Contrairement à sa mère qui n’a jamais voulu apprendre le français et qui a fini par s’installer à Toronto. Il s’agit du plébiscite de 1995 puisque l’auteur est né en 1975. L’écrivain a publié un titre évocateur en 2017 : Rhapsodie québécoise. Itinéraire d’un enfant de la loi 101. S’il s’est bien acclimaté à la vie québécoise, cela ne l’empêche pas de retourner dans sa ville d’origine pour rencontrer des membres de sa famille et des camarades, même parfois d’anciennes flammes qui lui ont remué le cœur pendant son adolescence. Juste un peu de nostalgie pour mettre ses pas dans les chemins de ses premières années et rêver à une existence qui aurait pu être autre, certainement.
Un migrant a beau s’adapter à sa situation, se faire des amis et une place dans sa nouvelle société, il reste que le lieu des premiers mots, des découvertes et des grandes complicités est incrusté en lui. Akos Verboczy aime garder des contacts avec sa famille de Hongrie. Chacun de ses retours dans son pays d’origine se transforme en pèlerinage où il se rappelle des anecdotes, des jours heureux en visitant des endroits qui ont marqué son enfance. Bien sûr, la vie s’écoule doucement, les gens vieillissent, quand ils n’ont pas la mauvaise idée de mourir. Il flâne pendant ses séjours dans les lieux qu’il fréquentait petit garçon, lorsqu’il découvrait le monde avec ses amis. Il retrouve des camarades de classe pendant une soirée où tous évoquent des moments inoubliables, des souvenirs qu’ils embellissent pour en faire des événements mythiques.
La coutume veut cela.
PÈLERINAGE
Sa maison familiale n’est plus tout à fait la même et l’école a été détruite. C’est ainsi que l’immigré, en s’installant ailleurs, entretient souvent l’illusion de retrouver un pays recroquevillé dans le temps. Ça m’arrive quand je reviens dans mon village de La Doré. Je suis un peu hanté par les années qui ont précédé mon départ à Montréal pour des études. À mon retour dans la région, les hasards de la vie ont fait que je migre au Saguenay. La paroisse que j’évoque, dans quasi tous mes ouvrages, est celle de mon enfance, de la période du début des années 1970 et avant. Pendant mes courts séjours, je me retrouve dans un village un peu étranger. Les demeures où habitaient mes amis ne sont plus ou ont été transformées par les nouveaux propriétaires. Les gigantesques saules qui bordaient la rue principale alors et les peupliers odorants qui cernaient l’église ont tous été abattus.
Un véritable carnage.
Je me souviens des arbres énormes de monsieur Duchesne tout près de l’école où j’ai amorcé ma sixième année. La vieille bâtisse à deux étages où j’ai continué mes études a été démolie avec le magasin de monsieur Matte tout près. Que dire de la cordonnerie de monsieur Théberge où je suis allé si souvent pour faire réparer mes bottes et mes mitaines ? Je ferme les yeux et je sens encore l’odeur du cuir.
Akos Verboczy a été marqué par son père, un photographe qui aimait les femmes et beaucoup trop l’alcool. Il garde un bon souvenir de cet homme, d’un séjour dans un refuge situé dans la montagne où il pouvait surprendre les reflets du lac Balaton au loin.
« Je ne suis peut-être pas chez moi proprement dit, mais très certainement en terrain connu. Un peu plus bas, vers le pont Marguerite, je vois l’immeuble où j’ai grandi et, plus loin, le parc Jaszai, le terrain de jeu de mon enfance. Je reconnais notre épicerie, l’échoppe du fleuriste sur le trottoir, aujourd’hui spécialisé en bonsaïs, alors que les boulangeries, cafés, coiffeurs et autres boutiques et restaurants ont eu le temps de changer maintes fois de vocation. » (p.24)
Il a été fasciné par son père, un homme instable, peu responsable malgré son côté généreux. Il n’a jamais payé de pension alimentaire à sa femme et les deux se sont affrontés dans des procédures judiciaires sans fin. Cela ne l’empêchait pas de surgir dans la vie de son garçon, de s’en occuper pendant quelques jours, de lui faire des surprises avec des cadeaux extravagants qui avaient l’art de faire sortir sa mère de ses gongs. Un charmeur, un rêveur, un amateur de poésie qui récitait des textes pendant des heures les soirs autour d’un feu.
Il y a des heures, des lieux qui ont laissé une marque indélébile chez le jeune garçon et l’adulte qu’il est devenu. Cette habitation de campagne située dans l’arrière-pays en et un, même s'il n'y a séjourné que pendant quelques jours. Avec un ami de toujours, il entreprend une excursion pour retrouver l’endroit et des souvenirs peut-être, des moments de bonheur où il a vu son paternel sous son meilleur angle.
« Sur papier, la maison appartenait à Klara, la troisième femme de mon père. Un héritage dont elle ne savait que faire avant qu’il entre dans sa vie. Lui, le sut tout de suite. » (p.67)
Pas d’électricité, d’eau courante et de services d’égouts. Un monde rustique où la nature s’impose dans toute sa force et ses beautés. Tout comme ce camp que nous envahissions l’été pendant le temps des bleuets. Une installation en bois rond, sans commodités, un puits très profond et un peu mystérieux creusé par mon père. L’eau y était si froide, qu’elle gelait les dents. Il fallait aller dans la forêt pour nos besoins. J’en garde des souvenirs impérissables et ce sont là les moments les plus heureux de mon enfance. Nous vivions alors une liberté totale, pouvant nous baigner dans le grand lac Pemonka. Des semaines où nous pouvions oublier les interdictions de ma mère qui avait peur de tout. L’eau était l’une de ses phobies. Mon père et une tante nous surveillaient si peu. Que de rires, d’histoires, de plaisanteries avec le cousin et les cousines !
RETROUVAILLES
La visite dans un pays qui s’est transformé avec le temps, sous une pluie diluvienne, sera le point marquant de son voyage. Il confronte ainsi la réalité avec ses meilleurs souvenirs.
« Le soleil jette sa lumière placide sur la maison de mon père au moment où je m’immobilise devant elle. Je reconnais le bâtiment, sa forme, ses proportions, son flanc gauche enfoncé dans la colline. Je reconnais aussi des détails oubliés. La texture raboteuse du mur de pierres, l’ondulation cadencée des bardeaux en céramique, l’arche de la porte principale en bois massif, cernée de fenêtres garnies de grilles. Et je reconnais cette atmosphère de bout du monde qui enveloppe les lieux. » (p.316)
Elle est là, semblable et différente. Tout change pour le meilleur et le pire. Le paradis de mon enfance est maintenant une bleuetière. Ce pays coincé entre le lac Pemonka et la rivière Ashuapmushuan avait des secrets, ses endroits mystérieux, ses personnages, un passé et tant de bêtes sauvages. Le tout est devenu un vaste champ anonyme.
Un roman comme un album de photos que l’on regarde sans trop nous rappeler les visages, parce que l’on a négligé de les identifier et que nous avons l’impression de découvrir des étrangers. Un texte qui permet de nous faufiler avec l’écrivain dans sa Hongrie des origines, d’y surprendre des figures attachantes, des gens généreux et originaux.
Un récit humain et sensible.
J’ai beaucoup aimé parce que Verboczy m’a donné le plaisir d’évoquer des moments qui flottent dans ma mémoire, dans mon histoire personnelle et qui vont probablement s’effacer avec le temps. Un voyage au pays de l’enfance, le plus marquant, celui qui a façonné l’adulte que vous êtes devenu. Quelle joie que de lire un tel roman, moi qui entretiens une certaine nostalgie du passé, un bonheur qui me pousse dans une époque lointaine que je ne cesse d’embellir dans mes ouvrages, dans un monde qui restera dans ma tête jusqu’à mon dernier souffle !
VERBOCZY AKOS, La maison de mon père, Éditions du Boréal, Montréal, 332 pages.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/maison-mon-pere-3973.html