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mardi 4 février 2014

Les grandes énigmes de Sergio Kokis

La mort reste une figure importante dans l’œuvre de Sergio Kokis. Cette fois encore, dans Makarius, la belle séductrice, la Perséphone de mon Voyage d’Ulysse, est au centre d’une réflexion passionnante. Mort absurde, incontournable après une longue vie ou une courte maladie qui ronge le corps, celle qui vous fixe quand la tentation d’en finir est là ou l’autre, la mégalomane, l’arrogante de plus en plus cruelle avec la montée de l’intégrisme et du terrorisme.

Makarius, un clown noir, dans une Allemagne agitée, décadente, tourmentée, incarne la mort dans ses spectacles. Il la confronte, la bouscule et cette obsession l’entraînera dans bien des directions. Le mime danse avec cette partenaire étrange, récite des textes, étudie ses contemporains, tente de surprendre l’humain dans les différents moments de sa vie.
Nous sommes dans les années précédant la guerre de 1914-1918.

Face à la mort il n’y a pas de fausseté, aucune tricherie possible. C’et pourquoi la mort m’attire… À mon avis, c’est la mort qui révèle la vraie beauté de beaucoup de visages. (p.14)
(Propos de Ferdinand Hodler rapportés par Kokis)

Un personnage familier aux lecteurs de Kokis. On a fait sa connaissance dans Les saltimbanques où le cirque Alberti réussissait à migrer en Amérique après avoir survécu aux affres de la Seconde Guerre mondiale. Il est un personnage de Kaléidoscope brisé, une terrible épopée dans les pays d’Amérique du Sud.
Le romancier retrouve le mime dans sa jeunesse, nous fait assister aux origines du cirque Alberti.
L’Allemagne est instable. Les riches cherchent à s’enrichir, les communistes et les fascistes, les anarchistes et autres utopistes s’affrontent sur tout. Des assassinats sont commis au nom de la liberté, de la révolution et des classes ouvrières. Berlin est une ville où les Russes s’installent pour fuir la révolution et la prise du pouvoir par les bolcheviks. Un monde excessif, décadent, propre à toutes les dérives. La guerre se profile et devient un spectacle pour une jeunesse blasée.
Makarius connaît une certaine célébrité, demeure un solitaire malgré quelques aventures amoureuses. Il choisit de devenir soldat pour voir la mort dans les yeux quand l’ennemi bondit en vous mettant en joue.
Carlos Schulz pratique un métier qui n’a plus la cote dans le monde de la photo et du numérique. Il exécute certaines commandes et illustre des ouvrages éclectiques. Il est né au Brésil, a migré en Europe, vit en Italie, tente de reconstituer l’histoire du mime qu’il a croisé au Brésil, dans l’atelier d’un peintre qui lui enseignait.
Carlos, on s’en doute, est fasciné par les représentations de la mort, son importance dans la société ancienne et contemporaine, ses multiples visages, particulièrement chez les peintres. Ses conversations avec Jacobo Lunardi, le pathologiste de la morgue de Milan, portent sur la mort, la vie, l’art, les croyances religieuses et peut-être aussi sur le plaisir de vivre et d’être. Des questions qui reviennent dans les romans de Kokis. Dans Le maître de jeu en particulier.
Sa fascination pour le travail des peintres occupe une place importante aussi dans son oeuvre. Kokis décrit minutieusement les gestes du graveur, du mime qui explore d’autres façons de jouer, de représenter la comédie humaine, de faire exister la Mort dans une danse qui subjugue les spectateurs.

En suivant ce raisonnement, on peut alors conclure que l’artiste véritable ne se conforme pas aux convenances : il aspire à une représentation complexe du réel, sans rien laisser de côté, quitte à aller à contre-courant de l’opinion publique. (p.258)

Carlos n’ose pas amorcer son grand projet, l’aboutissement de sa vie d’artiste et de créateur. Depuis des années, il songe à créer sa Danse macabre. Une tradition qui a connu bien des variantes au cours des siècles. La mort qui ne fait pas de distinction entre les humains, emportant autant les grands que le reclus dans un monastère, le roi et le plus humble des travailleurs.
— La seule justice, répétait mon père en nous regardant dans les yeux.
Je n’ai jamais su s’il disait cela par bravade ou s’il était en paix avec cet aspect de la vie.
De jeu théâtral qu’elle était au début, la Danse macabre est devenue une œuvre picturale. La plus ancienne de ces représentations remonte aux années 1400 et se retrouve dans un cimetière de Paris. Carlos voit avec ses yeux de graveur quand Makarius intègre dans sa gestuelle les mêmes images.
Makarius vit la guerre de 14-18, connaît l’horreur des affrontements, voit les morts, les blessés, la souffrance et l’absurdité d’un tel affrontement. Blessé, il se retrouve dans un hôpital, vit un moment chez les fous où il en apprend beaucoup sur la nature humaine. Il connaîtra après l’aveuglement communiste en Russie, les obsessions idéologiques et meurtrières.
Kokis est à son meilleur dans ces pages d’une justesse étourdissante. Il écrit de véritables fresques sur la guerre, la montrant dans tout ce qu’il y a de souffrance et de douleurs.
Carlos entreprend de graver sa Danse macabre avec les images du monde de maintenant. Le profil du clown noir devient un fil conducteur.

La mort qui danse aujourd’hui au Vietnam, en Angola ou en Amérique latine, celle des stalags nazis et des goulags sibériens, celle d’Hiroshima ou celle de Dresde. Mais aussi la Mort qui s’étonne de l’aliénation contemporaine, de la consommation effrénée, de la bêtise véhiculée par les journaux ou la télé. Sans compter les nouvelles figures de la déchéance humaine, comme la peur de vieillir, la peur obsédante de mourir, de passer inaperçu ou d’avoir un corps distinct des canons de la mode. Je rêve d’un personnage de Mort à la fois politicien, médecin à Auschwitz, animateur de shows télévisés et prédicateur évangéliste. (p.24)

L’artiste cherche à être un homme qui réfléchit, prend ses décisions sans être influencé par les messages et les modes qui font courir les foules. Penser, discuter, méditer. Une chose de plus en plus difficile dans une société où toute forme de spiritualité est quasi disparue. Même qu’on peut se demander si la pensée n’est pas en train de s’effriter. Cet art de la réflexion chez Kokis n’est possible qu’entre certains individus, des solitaires, des créateurs qui se tiennent en retrait. L’écrivain croit à une sorte de caste, des âmes soeurs qui réfléchissent aux grandes questions qui ont secoué les époques.

C’est la conscience lucide de la mort qui pousse à l’art et à l’aventure. (p.117)

Une forme d’élitisme, mais aussi un humanisme qui s’engage malgré bien des réticences. Peut-être que l’on se tourne ici vers Albert Camus, sa conscience de l’absurdité de l’existence, la nécessité aussi de l’action pour calmer la terrible désespérance de l’humanité.
Le meilleur de Sergio Kokis surgit dans ce roman avec ses tourments, ses obsessions, ses questionnements qu’il ne cesse de confronter dans ses écrits et des tableaux inquiétants qui ornent la page couverture de ses livres. Des personnages décharnés, chiffonnés par la vie et toutes les expériences, dépouillés de leurs illusions et qui affrontent la souffrance et la désespérance à mains nues. Tous fixent la mort, en deviennent le reflet. Peut-être que chaque individu doit illustrer sa propre Danse macabre pour donner sens à sa vie, aller vers la fin avec une certaine sérénité. Comment dire la mort et la vie ?
Les jumelles s’enlacent dans un pas de deux, incapables de se séparer, de communiquer et de se révéler l’une à l’autre. J’aime ce Kokis qui tranche dans le vif, peut lancer des énormités, mais reste un vivant qui cherche une direction, tente de trouver un peu de sens dans le grand chaos de l’univers. Et quel conteur ! Il vous entraîne partout en Europe et en Amérique du Sud, ne vous laisse jamais un moment de répit. Un magnifique roman qui échappe à toutes les définitions. C’est fort heureux.

Makarius de Sergio Kokis est paru chez Lévesque Éditeur, 486 pages, 35,00 $.

dimanche 26 janvier 2014

Que vont devenir ces jeunes sans avenir ?


Un écrivain inconnu, des nouvelles signées Renaud Jean. Un premier livre. À quoi s’attendre ? Une voix originale, un monde singulier, un regard sur la vie, une écriture qui accroche. Un quelque chose aussi qui retient, permet de lui faire un peu de place dans votre bibliothèque. Il faut cet étonnement même si vous connaissez l’écrivain et ses livres. Je cherche l’éblouissement, une respiration jusqu’au bout de la dernière phrase. Les écrivains qui vous renversent dès les premières lignes sont rares. Hervé Bouchard est peut-être le dernier à avoir réussi l’exploit avec moi.

Retraite. Neuf nouvelles pour un écrivain de 32 ans qui a fréquenté l’Université de Montréal, fait une maîtrise en Études françaises. Étrange titre pour un auteur qui amorce sa carrière. Peut-on commencer par la fin ? Un mot qui a fait rêver bien des hommes et des femmes de ma génération. Ce n’est pas la vie rêvée, les voyages, la découverte avec Renaud Jean.
Une station perdue dans un lieu désert. Un film de Sergio Leone peut-être qui montre la désolation, l’isolement, l’attente. Un endroit où le temps dort dans un tas de poussière. Qui sait ? Un lieu où plus rien n’arrive. Est-ce seulement imaginable ? Si c’était le cas, le rêve se transformerait vite en cauchemar.

On m’a affecté à la station de la Grande Aventure il y a maintenant dix ans. (p.9)
Située en rase campagne, la station est isolée de la ville la plus proche par plusieurs dizaines de kilomètres. (p.9)
Il faut dire que le trajet se fait obligatoirement à pied, aucune route ne menant jusqu’ici. (p.10)

Des hommes et des femmes viennent, montent dans un train et partent pour la Grande Aventure. Et tout recommence. Allégorie de la vie, de la course vers la mort… On ne sait trop. Le gardien de la station raconte son quotidien, le seul à avoir un peu de consistance. Un exécutant qui évite les questions, se contente de sa vie toujours semblable, un peu absurde. Une solitude existentielle, qui s’incruste dans l’être. L’ambiance des romans catastrophiques comme dirait Samuel Archibald.
Second texte, une thématique qui se déploie en trois mouvements. Un petit-fils rencontre son grand-père dans un foyer pour personnes âgées. Un jeune homme retourne chez ses parents partis en voyage pour s’occuper du chien. Regard sur son passé, l’enfant détestable qu’il était. Enfin un couple visite un loft pour s’y installer, imaginer l’avenir peut-être. Pour Véronique oui, pas pour l’homme.
Belle description de la vie d’un homme dans un foyer pour retraités qui égrène les jours comme un chapelet dans le premier tableau. L’avenir s’est retourné devant. La mort peut venir, il l’attend, la recevra en silence, résigné devant ce petit-fils qui ne songe qu’à s’éloigner. Le temps s’étire. Quelques minutes deviennent une éternité dans ces chambres qui ressemblent à des cages. Une vie recroquevillée dans le présent, sans espoir, sans même le plaisir de réinventer le passé en jonglant avec des histoires. Très bon texte.

J’ai observé la chambre. Elle était petite. Des objets que j’avais toujours connus dans la maison de mon grand-père me paraissaient incongrus dans cette pièce anonyme. Ses choses se réduisaient désormais à bien peu, et ce peu néanmoins détonnait, ce peu était comme de trop. Mon grand-père a croisé et décroisé les jambes. (p.23)

L’impression que même le grand-père est de trop dans cette chambre. 
Avec Sous le pôle, Renaud Jean aborde une thématique qui le suivra dans plusieurs de ses nouvelles. Ses personnages détestent leur travail et plus rien n’arrive à les stimuler. Ils survivent, incapables de secouer leurs habitudes, de se donner un élan. S’ils agissent, c’est pour faire du sabotage, mais sans idéologie révolutionnaire. Ils sont des pions qui n’ont aucun espoir de véritable changement. Peut-être aussi que cette dimension de la vie, le rêve n’existe plus. Ils sont des perdants dans un monde dur, hostile. Des êtres qui ne cherchent qu’à se recroqueviller et ne plus bouger, ne plus penser, ne plus avoir à prendre de décisions. Un rêve absurde et cauchemardesque.
Je sortais d’une période difficile — à vrai dire, je n’en sortais pas —, et la perspective de quitter ma chambre, de m’exposer au-dehors, ne serait-ce qu’un après-midi, ne me disait rien. (p.71)

Accablé par ma famille, blessé par mes amis, j’avais décidé de ne plus voir personne. (p.84)

Renaud Jean décrit un jeune homme déçu, déprimé, sans volonté, sans idéal. Des mollusques qui souhaitent s’enfermer dans une chambre, attendre sur un lit en examinant le plafond. Lire un peu parfois. Un désir peut-être : celui de se changer en amibe et d’épingler le temps au mur.

Pourquoi les choses doivent-elles changer ? (p.113)

Pas même le désir d’en finir. Un état d’inertie pathétique.

Je préférais me tenir à la lisière du monde, en retrait de l’action. (p.117)

Quelques-uns rêvent de tout faire sauter. Ce geste leur permettra de devenir une chose parmi les choses.
Aucune relation ne peut s’établir avec les femmes qui restent animées, volontaires, curieuses, vivantes et belles de projets. Les couples ne peuvent durer avec ces hommes qui ne souhaitent rien, surtout pas faire des enfants. J’ai songé à Jérôme Borromée de Guillaume Bourque. Sans être aussi passif, Jérôme est incapable de décider quoi que ce soi. Il tente de s’en sortir, mais reste un faible que la vie bouscule. Là aussi les femmes sont les meneuses et les agissantes.
Chez Guillaume Bourque et Renaud Jean, même chez Fred Dompierre, les adultes mâles sont des êtres éteints. Si ces personnages reflètent les jeunes de maintenant, il n’est pas étonnant de voir les filles mieux réussir à l’école. Ces garçons viennent me chercher. Des indifférents ou des délinquants qui ne pensent qu’à détruire. Mort à tout idéal. Vraiment dérangeant.

J’avais éprouvé un étonnement considérable à cette annonce de notre rupture, me demandant ce qui justifiait un tel bouleversement de notre existence. La question, toutefois, ne parvenant pas à s'exprimer, était restée en suspens. Je n’avais su qu’acquiescer à Catherine, avant de me replier dans un silence confus. Les semaines suivantes, après son départ, ayant comme perdu toute aptitude au travail, j’avais glissé dans un désœuvrement complet. (p.181)
La lecture devient une forme d’autodéfense contre le gouffre qui aspire les personnages masculins de Renaud Jean. Un monde cruel, sans espoir où les hommes et les femmes ne peuvent penser à l’avenir. J’avoue en être sorti perturbé. Un univers où le lecteur que je suis a eu bien du mal à s’accrocher. Je ne suis pas du côté de la désespérance du monde. Il faut du rêve, de l’utopie sinon la vie est absurde. Le pouvoir de rêver est peut-être ce qui rend l’existence acceptable.

Retraite de Renaud Jean est paru aux Éditions du Boréal, 200 pages, 19,95 $.

dimanche 19 janvier 2014

J.R. Léveillé fait confiance à la vie



Après plus de 600 chroniques, je sens le besoin de renouveler la formule. J’entreprends donc une période de réflexions. J’aimerais trouver une autre façon de parler des livres, tenir une sorte de Carnet de lecteur pour me rapprocher de l’écrivain et de l’acte de lire. J’y vais à tâtons. J’apprécierais vos commentaires. C’est avec vous que je vais trouver une autre manière qui servira peut-être mieux l’écrivain et l’écrivaine, vous donnera encore plus l’envie de lire. Voici une première tentative. Merci pour vos suggestions.


Elle a vingt ans Angèle, est métisse et rêve de devenir architecte. Elle est proche du monde des arts et sa grande amie travaille dans une imprimerie. Ueno Takami est poète, artiste d’origine japonaise. Beaucoup plus âgé qu’elle, le courant passe entre eux dès le premier regard. Une histoire d’amour ? Beaucoup plus. Angèle découvre l’art de regarder, de dire, d’être dans son corps et sa tête.
Le livre a été publié une première fois en 2001 aux Éditions du Blé, au Manitoba. Léveillé a beaucoup écrit, mais j’ignore tout de cet écrivain. Combien d’auteurs sont condamnés à l’ombre ? Les détours que prend un livre pour arriver jusqu’à vous peuvent devenir un récit fascinant. Mylène Bouchard, l’éditrice, raconte cette histoire dans une courte préface.
Roman par fragments. Cent soixante-quatre. Pourtant le récit est en continu. Il aurait pu exister dans une présentation « normale ». Les fragments sont intéressants pourvu qu’ils fassent faire des bonds dans le temps, se moquent un peu de la linéarité. C’est rarement le cas ici. Rien pour nuire à la lecture. Heureusement.
Étrange titre. Quelque chose m’a fait tiquer un moment. J’ai appris en lisant que le lac, où Ueno Takami a construit sa cabane, porte le nom de Lac qui se couche. Tout devient lumineux alors. Quel beau nom pour un lac !
Des phrases résument presque un livre.

Je l’ai rencontré à Winnipeg dans une galerie d’art, lors d’une exposition d’un artiste cri. (p.17)

Le Manitoba, un milieu de créateurs qui tentent de voir la réalité autrement. La présence des Autochtones aussi.
Quelques jours plus tard, je me suis réveillée en sursaut. Non pas d’épouvante. Mais comme si l’éveil était venu de l’intérieur de mon rêve et m’avait propulsée dans le grand jour éclairé. (p.22)

« Non pas d’épouvante. » Drôle d’expression. Ça sonne mal. Maladroit.
Le rêve semble important chez Angèle. Un rêve qui laisse un peu tordu au réveil, qui permet de voir une autre dimension de la réalité. Une vision plutôt. La sœur d’Angèle voit ce qui va arriver dans ses rêves. Et qu’est la création artistique sinon d’abord une intuition, un éblouissement ?
Je ne sais pas au juste quel effet me faisait cet homme. Lorsque ma sœur me rendait heureuse, j’avais un sentiment de jets rosés. Quand j’étais bien avec ma mère, je percevais une nuée bleuâtre. Avec Ueno, j’étais envahie par une blancheur transparente. (p.27)

Percevoir le monde et les autres par les couleurs. Avoir « un sentiment de jets rosés… » Ouais… Bonne idée cependant. Bien sûr, Rimbaud n’est pas loin.
Un paysage étonnant du Manitoba
Avec Ueno Tamaki, le blanc domine. Évocation de la toile blanche. Il faudra des couleurs, des signes pour qu’il y ait histoire d’amour et vécu.
Il trouvait que j’avais une beauté inhumaine. « C’est plastique », disait-il. (p.31)

Étrange affirmation. La beauté d’Angèle est inhumaine. Je cherche une autre expression et je ne trouve rien. Plastique… Je ne dirais jamais ça à ma compagne.
— Oui. Les choses wabi-sabi sont le registre tangible du passage et de l’effet de l’air, du vent, du soleil. La rouille, la décoloration, la déformation, les fissures en sont les caractéristiques essentielles. Pourtant ces choses possèdent un caractère irréductible. (p.32)
...
Paysage vu à partir d’un autobus en mouvement. Angèle ne retient que les formes et les lignes. Nous avons là le travail de Ueno Tamaki. D’où vient l’idée d’une gravure, d’un roman ? Angèle découvre le processus de la création. Il faut savoir regarder. Et j’ai un flash ! Angèle est aussi le prénom de l’héroïne du dernier roman de Louise Desjardins, Rapide danseur. Une Angèle perdue, tourmentée qui cherche son identité en Abitibi. La quête de soi serait-elle le propre des régions nordiques ?
Mais j’apprécie tout autant ce début de printemps au Manitoba. Ça reprend où l’automne a cessé, en plus nu. En plus désolé sans sentiment d’accablement. C’est comme s’il y avait une éclaircie dans les arbres. On voit plus. On voit plus loin. Les oiseaux de passage ne sont pas camouflés. Il y a une espèce de grand vide en attente. Une sorte de souffle qui commence. Toutes les couleurs sont plus ou moins uniformes. Il y a là un calme et une simplicité naturelle qui me plaisent infiniment. Tout le paysage est une dentelle, un pur lacis d’air et de lignes. (p.56)

Le paysage devient un tableau, une toile en gestation. J’aime.
— L’objet de l’art n’est pas de représenter la nature, ou même de la symboliser, mais de faire apparaître la forme en la tirant du vide. C’est l’essentiel. (p.69)

Comment peut-on symboliser la nature ?

J’aime les textes qui s’attardent à la toponymie du pays. Voilà l’histoire du territoire qui fait surface en quelques mots. Tout comme le langage propre aux métis manitobains. Une sorte de mélange des parlers de ceux qui ont habité le territoire. Le mitchif, un mélange de l’ojiwa ou du cri, de l’anglais et du français. Fascinant. J’aimerais entendre ça, ça sonne comment?
Bonne réflexion sur l’art d’occuper un lieu. Notre chez-soi devrait être la matérialisation de notre conception du monde. Malheureusement, la ville et les contraintes économiques ont fait que nous habitons des maisons anonymes, des appartements semblables où nous sommes plus ou moins emprisonnés. Les cages des immenses tours d’habitation m’horripilent. Les démunis doivent se contenter de ces clapiers.
— J’ai meublé cet endroit de choses que j’aimais. Je me suis dit que si elles me plaisaient et que j’étais bien avec moi-même, elles devaient être belles et s’arrangeraient entre elles. (p.88)
Angèle prend conscience de son corps et de l’environnement. L’œuvre d’art naît de l’observation, de l’éblouissement et du geste qui suit. Être artiste, c’est trouver une manière d’être là, de traduire un lieu et un espace. L’art contemporain oublie trop souvent  cet aspect.
Roman d’amour ? Découverte surtout de l’art de vivre, de voir, de regarder, de respirer et d’aimer. Angèle traduit les poèmes de Tamaki. Elle comprend qu’elle doit les recréer. Décrire un paysage, c’est le réinventer. Traduire un texte, c’est le régurgiter. Faire un tableau, c’est modifier l’univers.
J’aime ces réflexions qui vous arrêtent comme une halte le long d’une autoroute. Beau moment de lecture. Un roman qui échappe à la frénésie, au verbiage pour se centrer sur l’être. C’est ce qui fait son charme. De beaux personnages vibrants. On ne peut qu’aimer. Angèle aura un enfant et la perception du poète japonais ne se perdra pas. Léveillé fait confiance à l’avenir. Un texte qui a gardé toute sa pertinence et son actualité. Voilà peut-être le propre de l’œuvre d’art.

Le soleil du lac qui se couche de J. R. Léveillé est paru aux Éditions La Peuplade, 137 pages, 20,95 $

jeudi 16 janvier 2014

Une réalité que nous refusons de voir


David Adams Richards aborde, dans Enquête dans la réserve, une question que nous retrouvons rarement dans notre littérature. Pourtant, cette réalité marque l’histoire de l’Amérique, occupe souvent les manchettes des médias, surtout quand il est question de revendications territoriales, de la nation métisse ou des négociations de l’Approche commune. Gérard Bouchard, dans Uashat, nous entraînait dans ce monde dur, mais son roman est passé un peu sous silence. Est-ce là un sujet tabou ?
 
David Adams Richards, un romancier né au Nouveau-Brunswick, présente la question autochtone avec une franchise et une manière qui m’a laissé un peu perplexe au début. J’ai eu du mal à trouver mes repères dans les premières pages, peut-être parce que j’avais l’impression que le temps se défaisait, s’étiolait pour nous faire prendre un certain recul devant des événements qui ont traumatisé la Réserve micmaque située dans la baie de Miramichi, en 1985. Il faut un peu de patience, mais le déclic se fait. Tout est rédigé comme un rapport de police. Les faits, les événements, les intervenants, les personnages décrits le plus sobrement possible, sans jamais se laisser emporter par l’émotion ou les passions. Markus Paul, le petit-fils d’Amos, le chef de la Réserve à l’époque, raconte cette affaire qu’aucun témoin ne peut oublier. 

C’est un accident qui causa la mort d’Hector Penniac, un Autochtone de la réserve d’Amos Paul. Mais peu de temps après, on en vint à considérer cette mort comme suspecte. Et une fois devenue suspecte, on en vint à la considérer comme criminelle. Il y avait deux raisons possibles pour que ce soit Roger qui l’ait provoquée, l’une liée au racisme et l’autre au syndicalisme : cet homme avec lequel le syndicat avait des problèmes se serait vengé de ne pas avoir été autorisé à travailler ce jour-là. (p.15)

Accident ou meurtre ? Un coupable est vite trouvé. Roger Savage. Ce Blanc permet de canaliser toutes les frustrations et stimule quelques individus qui convoitent le poste de chef pour de bonnes et mauvaises raisons. La victime est désignée, l’agneau doit être immolé. Il vit à la frontière de la Réserve. Tous le connaissent, tous l’aiment bien même s’il est un peu rude. Et Roger Savage possède des droits sur les fosses à saumons que revendiquent les Autochtones. Toutes les frustrations refont surface. L’étau se resserre et la vie devient impossible pour ce travailleur qui ne demande qu’à agrandir sa maison parce qu’il doit bientôt se marier.

La vérité

Le vieux chef Amos Paul tente de calmer les siens, de prendre du recul, de se tenir au-dessus de la mêlée. Ce n’est pas évident quand un journaliste, qui rêve d’être une vedette médiatique, débarque et souffle sur les braises dans ses reportages. Le frère de la victime, Joël, une tête brûlée, ne parle que de vengeance, de justice. Il cherche surtout à faire le trafic de la drogue. Isaak Snow est plus modéré, mais il est poussé à l’avant de la scène. Amos semble tellement fragile, incapable de prendre une décision, de régler cette affaire rapidement.
Tout le roman est là.
L’action ou la réflexion, les faits, l’analyse quand on se retrouve devant une situation qui peut s’enflammer. Le chef Amos voit rapidement que le jeune Hector Penniac n’est pas mort comme on voudrait le laisser croire. Il s’est passé quelque chose dans la cale du navire que l’on chargeait de bois. Certains faits troublants n’ont pas de réponses. Mais qui veut réfléchir ? Tous cherchent à en finir. Autant les médias que les policiers. Un coupable fait l’affaire de tout le monde.

Héritage

Markus, le petit-fils d’Amos, était adolescent à l’époque, connaissait tout le monde, prenait soin de Petit Joe et ne pouvait imaginer sa vie sans Sky, la sœur de son ami. Un amour plus grand que la Réserve et le monde. Un amour comme on en connaît peut-être une fois dans sa vie. Il est rapidement marginalisé quand les guerriers dressent des barricades. Markus aime son grand-père et tente de naviguer entre lui et la communauté. La situation ne cesse de s’envenimer avec les étudiants qui viennent manifester, la drogue qui circule librement. Les passions ne pourront se calmer que dans le sang et la mort.

Le passé n’existait plus. Pourtant, de tant de façons, leurs anciens et leurs chefs clamaient que pour s’ouvrir à l’avenir et guérir leurs plaies, ils devaient rétablir ce passé qui avait disparu. Autrement dit, ils étaient depuis cent ans engagés dans une course sans fin et dénuée de sens, comme des hamsters dans une roue. Quitter la roue, c’était quitter la réserve. Quitter la réserve, c’était quitter le territoire. Quitter le territoire, c’était quitté le passé. Quitter le passé, c’était quitter ce qu’ils étaient comme peuple. Cela les changerait pour toujours. (p.129)

Markus, devenu agent de la GRC, élucidera les événements une vingtaine d’années plus tard. Il fera la lumière sur cette histoire sordide, mais ne pourra jamais effacer les blessures, les morts qui ont brisé sa vie et celle de ses amis.
David Adams Richards plaide pour l’humanisme, la réflexion, la compréhension peut-être, surtout la tolérance. Toute la frustration et la colère des Micmacs passent dans ce roman qui échappe au temps, nous plonge dans les zones les plus sombres de l’Amérique. C’est touchant, magnifique et surtout nous rappelle une réalité que nous refusons encore de voir et de considérer. Un grand roman d’une actualité évidente qui ne risque pas de perdre sa pertinence. Du moins, rien n’indique que la question autochtone va se régler dans les années à venir à la satisfaction de tous.

Enquête dans la réserve de David Adams Richards est paru aux Éditions La Pleine lune.

dimanche 5 janvier 2014

Le temps de la dernière chronique est venu


Jamais je n’ai pensé que ce moment viendrait si rapidement. La décision est tombée. Fini les chroniques au Progrès-Dimanche. Situation économique oblige. La raison universelle de justifier les bonnes et les mauvaises décisions. La dernière chronique, la 605e, celle qui met fin à l’aventure d’une vie. Un document de 1815 pages. Je souhaitais me rendre à la 1000e bien sûr. Difficile d’imaginer que le contact ne se fera plus dans ce journal où j’ai été présent pendant quarante ans.

La littérature du Québec, avec ses grandes figures, ses inconnus et surtout les écrivains et écrivaines du Saguenay-Lac-Saint-Jean, a donné un sens à ma vie. Les écrivains d’ici, ceux qui ont changé le théâtre au Québec : Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Daniel Danis et Jean-Rock Gaudreault m’accompagnent depuis tant de temps. Des noms connus dans le monde, méconnus dans leur milieu. Des modèles qu’on voit rarement à la télévision.
Et tous les autres, les Alain Gagnon, Guy Lalancette, Hervé Bouchard, Élisabeth Vonarburg, Lise Tremblay, Pascale Bourassa, Marjolaine Bouchard, Dany Tremblay, Jean-Pierre Vidal. La liste pourrait s’allonger. Plus de 155 chroniques, plus de 25 pour cent des textes, mettent en valeur ces écrivains qui disent la région. Pour plusieurs, c’est le seul écho après une publication.

Blogue

Je leur ai offert une plate-forme mondiale en 2010 avec le blogue http://yvonpare.blogspot.ca. Soixante pour cent des visiteurs proviennent du Québec et du Canada. Les autres sont des États-Unis, d’Allemagne, de Russie, de Pologne, de la Belgique, de la France et des  pays du Moyen-Orient. Une fréquentation en constante progression, une diffusion faite uniquement sur les médias sociaux. J’ai la prétention de croire que quelques auteurs du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Québec sont lus dans le monde grâce à ce blogue. La preuve que l’écrivain, peu importe son lieu de résidence, parle à la planète. Il n’y a pas de littérature régionale, mais une seule et belle et grande littérature du Québec.


Économie

La littérature au Québec a généré des revenus de près de 700 millions $ en 2012. Des milliers d’emplois dépendent de ce secteur. Le cinéma, dont on parle avec raison, traîne loin derrière avec des recettes de 170 millions $. Quatre fois moins de revenus et pourtant cent fois plus de visibilité que les écrivains. J’ai répété ces faits pendant des décennies aux élus, aux patrons, aux lecteurs. Comment expliquer le succès du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec ses 20 000 fidèles? Un taux de fréquentation enviable. Par comparaison, il faudrait que le Salon du livre de Montréal accueille près de 300 000 visiteurs pour présenter des statistiques comparables à celles du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, alors qu’il attire 120 000 visiteurs bon an mal an. Il y a des lecteurs ici comme ailleurs, n’en déplaise aux alarmistes qui agitent la cloche de l’analphabétisme.



Un roman, une nouvelle, un essai bousculent la société, la dérangent, la montrent sous un angle souvent peu favorable. Nous ne sommes pas dans les publicités où tout est parfait. Nous plongeons dans la fissure, la blessure, ce qui fait que la société va de travers parce que la plupart des gens n’arrivent pas à s’identifier aux gagnants, aux vedettes interchangeables, aux rois du rire et de la blague vermoulue. Nous ne sommes pas dans la consommation, l’étourdissement, l’instinct. Nous scrutons l’être, l’âme humaine.





La littérature demeure un refuge pour la pensée, la réflexion en cette époque qui glisse imperceptiblement vers un autre Moyen-Âge où la mémoire et le savoir-faire disparaissent dans le trou noir d’un disque dur qui avale tout. L’expulsion de la pensée et de la réflexion des universités et des médias est inquiétante. Reste le culte du je, du moi dilatable, l’émotion, le vécu dans ce qu’il a de plus réducteur, l’opinion jetable à la radio, à la télévision, dans les journaux. Opinion qui tue la pensée, relève du bavardage, de la perte de temps, de l’humeur et des pulsions.



Le blogue

Certains suggèrent de continuer sur le blogue, «bénévolement». J’ai toujours défendu l’écrivain pour qu’il soit reconnu comme un professionnel et qu’il soit rémunéré pour ses interventions publiques. J’aime la littérature, le livre, mais pas au point de renier la démarche d’une vie.
Des dizaines de personnes ont écrit des lettres de protestations aux dirigeants du Quotidien et du Progrès-Dimanche. De quoi m’ébranler. Je ne pensais pas que c’était possible.



Vous avez été merveilleux, incroyables. J’en garderai un souvenir précieux. Merci de m’avoir lu, de me l’avoir dit si souvent. Merci de lire envers et contre tous. La littérature québécoise a besoin de vous.

Cette 605e chronique est la dernière à paraître
dans le Progrès-Dimanche.

mardi 31 décembre 2013

Élise Turcotte tente de cerner sa démarche

Photo Annie Lafleur
J’aime quand un écrivain se demande pourquoi il écrit et quels sont les pays qu’il arpente dans ses romans ou ses poésies. Quelle est cette nécessité qu’il ne peut satisfaire que dans et par l’écriture ? La collection Écrire des Éditions Trois-Pistoles répond à cette question de bien des manières, souvent maladroitement. Certains collaborateurs y sont allés de réflexions sincères et touchantes. Je pense à Bruno Roy, Dominique Blondeau et André Roy. D’autres se sont contentés d’appliquer un mince vernis sur le sujet, peut-être parce qu’ils ne savent pourquoi ils écrivent et qu’ils ont peur d’aborder ce sujet. Jongler avec des questions peut être dangereux.

Élise Turcotte, dans Autobiographie de l’esprit, questionne sa vie. Je suis souvent revenu à la pochette du livre pendant ma lecture. Ces dessins évoquent les grottes de Lascaux, les illustrations qui ornent les murs de ce refuge et qui en disent tant sur nos ancêtres les hommes et les femmes. Il aurait peut-être fallu parler de « radiographie de l’esprit » avec Élise Turcotte.
Jamais elle ne se contente d’une suite d’événements. L’enfance, les parents, un incident qui oriente toute la vie. Non. Si la plupart des autobiographies empruntent ce sentier, Élise Turcotte refuse de s’y avancer.
Elle préfère les méandres de la pensée, les chemins qui l’éloignent de la destination qu’elle pensait atteindre. Alors l’écrivaine se livre totalement, nous emporte dans toutes les dimensions de son esprit et de son univers.

Si je perds de vue un roman en chantier, au moment d’y retourner, j’erre plus que jamais dans la maison, à la recherche de voix fantômes. Tout se passe comme si je devais retrouver le fil du récit, non sur le papier, mais dans l’air, ou dans l’ombre, ou dans le vide, ailleurs que dans les mots, cherchant de pièce en pièce par où le reprendre. Ce fil, c’est la voix, le chant du roman. (p.25)

Comme si Élise Turcotte refusait tout, de l’écriture pour explorer « certains ravages » comme on dit des traces de l’orignal qui hante un territoire particulier de la forêt en hiver.
Le rythme, la cadence du texte, le souffle qui le marque et le révèle. Écrire est peut-être trouver une musique, une respiration qui n’existe qu’au cœur de la phrase.

Ce rythme brisé s’est si bien installé dans mon corps que je me réfugie de moi-même dans l’empêchement quand l’écriture coule de source. C’est ainsi que la résistance s’est peu à peu révélée être ma manière de travailler. (p.24)

Résister, s’empêcher d’écrire pour écrire, refuser de dire pour s’exprimer. Toujours dire non à la facilité, aux clichés, aux déjà entendus.

Tout naît d’une négation dans l’écriture, et c’est parfois difficile, et il faut se défendre dans le champ de bataille qu’on a soi-même créé. (p.34)

Comment dresser la carte de sa pensée, des territoires de son imaginaire et de ses obsessions ? Peut-être est-ce en suivant l’ombre qui va et se défait. Cette chimère qui s’efface et apparaît au loin. Peut-être que tout réside dans les objets qui encombrent nos espaces, les mots des autres que nous surprenons ou quelques souvenirs, des vies perdues, des voyages et ces êtres que nous n’arrivons jamais à connaître.
 
Il paraît que je suis macabre. C’est vrai que tous mes projets pendant un certain temps ont mis en scène la mort, des morts, même des mortes de Ciudad Juarez. Mais je ne vois rien de macabre là-dedans. Je ne collectionne pas les squelettes. Je ne hume pas l’odeur des cadavres. Je n’aime pas la pourriture. Peut-être que je fais seulement parler, juste pour moi, pour l’entendre, un monde à côté. (p.59)

Le monde d’à côté, celui qui exige toutes les énergies physiques et psychiques. Tout du soi. La vie et son pendant sombre qu’est la mort. Écrire. Une expérience d’abandon surtout où l’instinct prend le dessus pour effleurer ce qui résiste au temps et à l’espace.

C’est justement cette position inconfortable entre la sensation de l’incommunicable et l’urgence d’exprimer cet incommunicable qui fait de moi un écrivain. (p.111)

Tout ce qui est dit et ne se dit pas, se vit et s’imagine, est de l’ordre du palpable et de la conscience. Se dresser sur la frange de la vie et de la mort pour vibrer dans la joie et l’angoisse.

C’est pourquoi j’ai si souvent employé la formule Il y a… dans ma poésie. Dès que j’entends ces mots, il y a, une brèche s’ouvre dans le monde qui me ramène à l’énigme de la vie. Paradoxalement, écrire, c’est aussi tendre vers ce silence, vers cette nudité de la vérité où il n’y aurait plus rien à découvrir. (p.111)

Un ouvrage à lire absolument pour ceux et celles qui s’intéressent à l’écriture. Élise Turcotte ne recule devant rien. Une franchise admirable, une intelligence enviable. C’est là que l’on reconnaît l’écrivaine, la vraie, celle que l’on aime. Bien sûr, Autobiographie de l’esprit ne sera jamais dans la liste des grands succès. Élise Turcotte n’écrit pas pour ça. Voilà.

Autobiographie de l’esprit d’Élise Turcotte est paru aux Éditions La Mèche.