J’étais certain de retrouver Léo, le héros de «Pikauba», dans «Uashat», le plus récent roman de Gérard Bouchard. Tout dans «Pikauba» laissait entendre que le fils de Méo et Senelle nous entraînerait dans le Nord, auprès des Indiens.
Nous retrouvons les Montagnais ou les Innus, mais par Florent Moisan, un étudiant en sociologie de l’Université Laval à Québec qui passe un été dans la réserve de Uashat située près de la ville de Sept-Îles.
«Il faut que je fasse le recensement des familles de la Réserve avec leur généalogie et tous les liens de parenté, que je relève leurs activités quotidiennes, les loisirs des enfants et la composition des ménages (nucléaires, étendus, tout ça), en indiquant les relations entre leurs membres.» (p.20)
En 1954, la Côte-Nord est le Klondike du Québec. Les Blancs jurent que leur ville va accueillir un million d’habitants. On voit grand, on voit gros, on ne recule devant rien. Le secteur se développe à un rythme fou et les terrains de la réserve d’Uashat sont convoités. Les gouvernements veulent déménager la population dans la nouvelle réserve de Malioténam.
«Il dit qu’il y a un nouveau pays à ouvrir ici, un pays moderne, fait de villes et d’usines, pas une autre région de colonisation « où il n’y a que la misère qui pousse ». D’autres jeunes de Sherbrooke et de Montréal ont fait comme lui. Ils croient tous que le « renouvellement » du Québec commence par ici, que le modèle va ensuite descendre vers le sud.» (p.33)
Florent débarque dans une société dont il ignore tout, comme la plupart des Québécois. Sa tâche s’avère particulièrement difficile. Les familles changent de nom selon les humeurs des missionnaires ou la difficulté à transcrire la langue innue. Les lignées se perdent, se retrouvent, se croisent, enfin un joli chassé-croisé.
Monde perdu
Florent s’installe chez Grand-père, un vieil Indien qui voyage dans sa tête en racontant l’époque où les familles partaient dans les Territoires pour suivre les caribous. L’étudiant découvre une façon de vivre qui le bouleverse.
«J’étais fatigué, un peu étourdi aussi par tout ce que j’avais entendu. Auparavant, les missionnaires, pour moi, c’était en Afrique ou en Asie, en Chine surtout. Mais ici tout proche, sur la Côte-Nord, ou à la baie d’Hudson? J’ai découvert tout un monde qui me bouleverse. J’ai eu de la misère à m’endormir.» (p.78)
Tous s’accrochent à un passé fait de grandeur et d’actes héroïques. L’univers est familier à ceux qui ont lu «Récits de Mathieu Mestokosho chasseur innu» de Serge Bouchard qui a inspiré Gérard Bouchard dans «Mistouk».
Dans la réserve, l’alcoolisme et la perte des traditions laissent la population désoeuvrée pendant que certains caressent des projets de réussite en exploitant les leurs.
Intrigue amoureuse
Sara, une jeune beauté subjugue Florent. Un amour impossible, bien sûr. La jeune femme mène une double vie. Elle se saoule le plus souvent possible et se prostitue. Voilà le sort des jeunes qui ont perdu leur âme. Florent vit les tensions qui opposent ceux des maisons et des tentes, les partisans du déménagement à Malioténam et ceux qui ne veulent pas bouger. Un monde se meurt. Les traditions ne survivent plus que dans la tête des anciens qui s’inventent des exploits comme Grand-père, un personnage pathétique.
Le récit entraîne le lecteur dans une communauté qui perd ses points d’ancrage. Le portrait des Montagnais est dur, l’environnement violent et hostile. Le nouveau monde n’arrive pas à s’esquisser malgré la bonne volonté de ceux qui, comme le père Guinard, sont là pour aider et qui contribuent à les manipuler.
Florent ne peut que réfléchir à sa condition de francophone. C’est là peut-être le sort qui attend les Canadiens français qui se pâment devant les capitaux américains.
Gérard Bouchard est plus percutant que jamais et sa plongée dans le monde des Innus devrait susciter nombre de réactions. «Uashat» permet de découvrir ou de redécouvrir une partie de l’histoire d’un territoire que nous pensons familier et dont nous ne connaissons que l’histoire récente. Un travail fascinant et nécessaire, une révision de nos manuels d’histoire.
«Uashat» de Gérard Bouchard est publié aux Éditions Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gerard-bouchard-758.html
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