Ceux et celles qui ont lu Hervé Bouchard ou assisté à la dernière production du Théâtre Cri de «Parents et amis sont invités à y assister» ont été surpris par un feu d’artifice verbal qui anime et porte tous les personnages, cet univers à la fois familier et étrange. Une aventure fabuleuse qui nous emporte même si Bouchard ne s’éloigne jamais de la vie d’une famille ordinaire dans «Mailloux histoires de novembre et de juin» et dans «Parents et amis sont invités à y assister». Ce n’est pas la trame narrative qui étonne, mais ses monologues qui se déploient comme des aurores boréales qui permutent souvent. Certaines allégories aussi, comme cette mère Beaumont enfermée dans une robe en bois après la mort de son mari.
«Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge», que j’écrivais à la parution de «Parents et amis sont invités à y assister» en 2007.
Cette façon de dire soulève bien des questions et c’est sans doute ce qui a fasciné Stéphane Inkel, professeur et chercheur, auteur du «Paradoxe de l’écrivain». Mentionnons qu’il est plutôt rare qu’un universitaire se précipite ainsi vers un nouvel écrivain.
Originalité
Soliloques sans fin, phrases relancées constamment dans une sorte de halètement, chants incantatoires et hallucinatoires font perdre l’équilibre à celui qui voit ou entend. En quelques phrases, l’écrivain nous plonge dans une autre dimension.
Stéphane Inkel débusque les influences littéraires et les repères d’Hervé Bouchard. Une analyse d’une soixantaine de pages où il plante certaines balises. On y rencontre Samuel Beckett, Valère Novarina, Denis Diderot et Stéphane Mallarmé. L’essayiste n’hésite pas à établir des parallèles avec Sylvain Trudel, Gaétan Soucy ou Réjean Ducharme. Même Victor-Lévy Beaulieu surgit ici et là dans cette excursion.
J’avoue avoir sourcillé quand il est question du «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots» de Beaulieu. Le chercheur emprunte des raccourcis. Victor-Lévy Beaulieu, quand il rencontre ses maîtres en écriture, que ce soit Herman Melville ou Jack Kérouac, n’est pas loin de la manière Bouchard, contrairement à ce qu’Inkel et l’auteur de «Parents et amis» laissent entendre. Il y a osmose chez les deux.
Entrevue
Le plus éclairant dans l’ouvrage de Inkel est cette entrevue réalisée sur la plage du parc de Pointe-Taillon. Hervé Bouchard se livre, parle de son écriture et de ses intentions, de ses références, de ses incursions dans certains textes qu’il s’approprie sans scrupule. Nous comprenons mieux cette manière de dire, de foncer à une vitesse vertigineuse en culbutant mots et phrases. On pourrait certainement faire un parallèle entre le désir des surréalistes et des dadaïstes qui voulaient «dire» un autre monde en ne refusant aucun détour, aucun excès et abattre toutes les frontières.
Espérons que cette nouvelle collection nous réservera d’autres belles surprises. Les écrivains Larry Tremblay et Daniel Danis, des créateurs comme Jean-Jules Soucy pourraient y avoir une place. Il va sans dire que La Peuplade n’entend pas se restreindre aux créateurs de la région. C’est fort heureux! Il faut chasser l’originalité où elle se cache, dans toutes les manières de vivre l’art.
Et il faudra bien un jour cerner la figure de l’enfant dans le roman québécois. Presque toujours une enfance idéalisée, triturée, bousculée qui a donné les œuvres les plus percutantes de notre littérature. Songeons à Marie-Claire Blais, Bruno Hébert, Réjean Ducharme, Guy Lalancette, Pierre Gobeil, Gaétan Soucy, Robert Lalonde et Lise Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Emprunter la voie de l’enfance permet d’écosser la langue française et de bousculer le lecteur dans ses références et ses habitudes. Une belle exploration qui nous réserverait de grandes surprises.
«Le paradoxe de l’écrivain», entretien avec Hervé Bouchard par Stéphane Inkel, est paru aux Éditions La Peuplade.