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dimanche 7 décembre 2008

Pour mieux saisir la manière d’Hervé Bouchard

«Le paradoxe de l’écrivain» inaugure une nouvelle collection de La Peuplade qui entend nous faire mieux connaître certains créateurs contemporains. On ne peut qu’applaudir! Cet ouvrage, malgré ses limites, permet de mieux cerner l’univers d’Hervé Bouchard et sa façon de pratiquer l’écriture. Une belle manière de s’attarder un moment sur une littérature récente qui emprunte des sentiers originaux et déroutants.
Ceux et celles qui ont lu Hervé Bouchard ou assisté à la dernière production du Théâtre Cri de «Parents et amis sont invités à y assister» ont été surpris par un feu d’artifice verbal qui anime et porte tous les personnages, cet univers à la fois familier et étrange. Une aventure fabuleuse qui nous emporte même si Bouchard ne s’éloigne jamais de la vie d’une famille ordinaire dans «Mailloux histoires de novembre et de juin» et dans «Parents et amis sont invités à y assister». Ce n’est pas la trame narrative qui étonne, mais ses monologues qui se déploient comme des aurores boréales qui permutent souvent. Certaines allégories aussi, comme cette mère Beaumont enfermée dans une robe en bois après la mort de son mari.
«Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge», que j’écrivais à la parution de «Parents et amis sont invités à y assister»  en 2007.
Cette façon de dire soulève bien des questions et c’est sans doute ce qui a fasciné Stéphane Inkel, professeur et chercheur, auteur du «Paradoxe de l’écrivain». Mentionnons qu’il est plutôt rare qu’un universitaire se précipite ainsi vers un nouvel écrivain.

Originalité

Soliloques sans fin, phrases relancées constamment dans une sorte de halètement, chants incantatoires et hallucinatoires font perdre l’équilibre à celui qui voit ou entend. En quelques phrases, l’écrivain nous plonge dans une autre dimension.
Stéphane Inkel débusque les influences littéraires et les repères d’Hervé Bouchard. Une analyse d’une soixantaine de pages où il plante certaines balises. On y rencontre Samuel Beckett, Valère Novarina, Denis Diderot et Stéphane Mallarmé. L’essayiste n’hésite pas à établir des parallèles avec Sylvain Trudel, Gaétan Soucy ou Réjean Ducharme. Même Victor-Lévy Beaulieu surgit ici et là dans cette excursion.
J’avoue avoir sourcillé quand il est question du «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots» de Beaulieu. Le chercheur emprunte des raccourcis. Victor-Lévy Beaulieu, quand il rencontre ses maîtres en écriture, que ce soit Herman Melville ou Jack Kérouac, n’est pas loin de la manière Bouchard, contrairement à ce qu’Inkel et l’auteur de «Parents et amis» laissent entendre. Il y a osmose chez les deux.

Entrevue

Le plus éclairant dans l’ouvrage de Inkel est cette entrevue réalisée sur la plage du parc de Pointe-Taillon. Hervé Bouchard se livre, parle de son écriture et de ses intentions, de ses références, de ses incursions dans certains textes qu’il s’approprie sans scrupule. Nous comprenons mieux cette manière de dire, de foncer à une vitesse vertigineuse en culbutant mots et phrases. On pourrait certainement faire un parallèle entre le désir des surréalistes et des dadaïstes qui voulaient «dire» un autre monde en ne refusant aucun détour, aucun excès et abattre toutes les frontières.
Espérons que cette nouvelle collection nous réservera d’autres belles surprises. Les écrivains Larry Tremblay et Daniel Danis, des créateurs comme Jean-Jules Soucy pourraient y avoir une place. Il va sans dire que La Peuplade n’entend pas se restreindre aux créateurs de la région. C’est fort heureux! Il faut chasser l’originalité où elle se cache, dans toutes les manières de vivre l’art.
Et il faudra bien un jour cerner la figure de l’enfant dans le roman québécois. Presque toujours une enfance idéalisée, triturée, bousculée qui a donné les œuvres les plus percutantes de notre littérature. Songeons à Marie-Claire Blais, Bruno Hébert, Réjean Ducharme, Guy Lalancette, Pierre Gobeil, Gaétan Soucy, Robert Lalonde et Lise Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Emprunter la voie de l’enfance permet d’écosser la langue française et de bousculer le lecteur dans ses références et ses habitudes. Une belle exploration qui nous réserverait de grandes surprises.

«Le paradoxe de l’écrivain», entretien avec Hervé Bouchard par Stéphane Inkel, est paru aux Éditions La Peuplade. 

dimanche 30 novembre 2008

Vitomir Ahtik est un romancier fascinant


Des communautés surgissent autour d’une mine ou au cœur d’une forêt. Elles croissent à une vitesse folle et quand les ressources s’épuisent, ou que les profits deviennent moins attrayants, les multinationales partent installer le miracle ailleurs. Ces communautés désertées perdent leur âme. Le passé est alors ce qui peut garder une forme de cohésion sociale dans un lieu qui se désagrège peu à peu.
Le drame a été vécu dans certaines communautés du Nord. Pensons à Schefferville où tout était possible et à Lebel-sur-Quevillon où, depuis quelques années, des hommes et des femmes attendent que tout redevienne comme avant avec la réouverture de la papeterie. Le miracle est devenu un cauchemar, l’avenir une serrure dont a perdu la clef. Vitomir Ahtik, né en Slovénie, dans «La porte du nord», plonge le lecteur dans une réalité de plus en plus présente sur la planète et notre région. Au-delà des soubresauts de la bourse, des pertes d’emplois qui gonflent les statistiques, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui sont broyés par des forces impitoyables.                                                                                                               

Refuge

Christian, un Québécois, a vécu la construction de l’oléoduc en Alaska. Il cherche un refuge pour oublier ses blessures, les humains et leurs appétits de bêtes féroces. Il débarque dans cette ville du nord qui a tourné le dos à l’avenir. Les mines sont fermées et le rêve s’étiole dans des ruines. «La porte du nord» est hantée par des humains qui ne savent plus quoi faire de leurs corps. Il y a bien un épicier et un aubergiste qui survivent grâce à l’alcool frelaté, un curé obsédé par Dieu et un instituteur qui voit ses rêves se noyer au fond d’un verre, rien ne réussit à retenir l’attention d’un jeune homme. Le quotidien s’est déglingué dans cette communauté repliée sur elle comme une bête blessée. Tous se méfient, surtout de ces étrangers qui peuvent secouer la marche des jours.
«C’est un peu comme dans un western : un gars bien bâti entre dans une ville, il marche seul, à pas lents. Il n’y a personne dans les rues, pas une seule tête aux fenêtres, les habitants se cachent, sur leurs gardes, se disant que si l’inconnu n’est pas venu pur tuer, régler une vieille rogne qu’il garde envers un des leurs, c’est sûrement pour les déposséder de quelque chose, même s’ils ne savent pas de quoi. Il aura beau ne toucher à personne et payer cash, il est venu les perturber.» (p.80)

Vie sauvage

Après avoir vécu de grands espoirs et cultivé les rêves les plus extravagants, la population se résigne à cette décrépitude.
«Ils ne vivent pas, ils survivent. Leurs sentiments ont gelé. Ils se débattent comme ils peuvent, pris dans les mailles d’un filet qui ne les lâche pas. Certains explosent, se font du mal à eux-mêmes. Personne ne partagerait quoi que ce soit avec ses voisins, encore moins avec quelqu’un venu de l’extérieur… Chacun garde en soi des rancunes, de la méfiance, quand ce n’est pas de la haine.» (p.33)
Même les adolescents rôdent comme des bandes de loups en terrorisant tout le monde. 
Christian croise Rose, une femme qui a perdu son mari et ses enfants. Une histoire d’amour se tisse, un métis traverse la ville comme un ange exterminateur, des aventuriers ne reculent devant rien pour garder la main sur le trafic de l’alcool. Des obsédés, des fous qui ne croient en rien, des désespérés. Quand Christian accepte de livrer une cargaison d’alcool à une agglomération située plus au nord, il signe son arrêt de mort.

Confrontation

Le roman d’Ahtik nous plonge dans la désintégration sociale, là où la peur règne avec la méfiance. L’action pourrait se situer dans les régions périphériques qui se dépeuplent, dans ces villages qui voient leur population s’étioler parce que l’avenir s’est sauvé un matin. Ne reste que l’attente et le rêve qui ne reviendra jamais. Les hommes sombrent dans l’alcool, la violence et la bestialité.
Un roman dense qui, par un retour des choses, nous pousse dans les envers des miracles économiques, des développements qui déclenchent les rêves les plus extravagants. C’est tout le côté sordide de l’Amérique qui surgit, l’exploitation des ressources naturelles qui se transforme en drame. Des humains qui voient leur avenir leur être enlevé. 

«La porte du nord» de Vitomir Ahtik est paru aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 23 novembre 2008

Une autre plongée dans l’imaginaire québécois

Victor-Lévy Beaulieu, aux Éditions Trois-Pistoles, travaille depuis quelques années à dresser la carte de l’imaginaire des Québécois, région après région. Il lançait cette magnifique collection en l’an 2004 avec «Contes, légendes et récits du Saguenay-Lac-Saint-Jean» colligée par Bertrand Bergeron. Des livres sont parus depuis sur le Bas-Saint-Laurent, l’Outaouais et la Gaspésie. À signaler l’ouvrage d’Aurélien Boivin paru en février 2008 et portant sur la région de Québec. D’autres excursions sont prévues dans Charlevoix et aux Iles de la Madeleine.
La dernière parution nous plonge dans les «Contes, légendes et récits de la Montérégie». Pierre Lambert, en près de 700 pages, y explore un peu tous les genres et nous entraîne du côté de Germaine Guèvremont, Robert de Roquebrune, Louis Fréchette, du frère Marie-Victorin, Louvigny de Montigny, Pamphile Lemay et Jean-Aubert Loranger. Il ne faut surtout pas oublier Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Madeleine de Verchères et Eugène Achard. 

L’approche

Nous découvrons d’abord la mythologie des Autochtones par des récits expliquant la genèse d’un monde que les Blancs ont envahi sans trop d’égard. Des aspects méconnus de la réalité américaine. L’invention de l’arc et de la flèche, la découverte du maïs et l’enfant-tonnerre étonnent et captivent. D’autres récits remontent à la fondation de Montréal, des événements que la mémoire n’a cessé de peaufiner au cours des siècles.
Certaines périodes occupent une place de choix. Signalons la rébellion des Patriotes de 1837-1838 qui a donné naissance à des héros encore mal connus. Bonaventure Viger et Joseph Dauphinet par exemple. Nous vivons de l’intérieur une brève guerre de libération.
Oui, il y a des loups-garous, des lutins qui font autre chose que de chevaucher les chevaux pendant la nuit, des possédés et des revenants qui terrorisent les hommes et les femmes. On ne peut y échapper, et ce dans toutes les régions du Québec et du monde. Les fées viennent aussi embellir des phénomènes naturels ou protéger les humains.
Fascinant de voir comment les particularités géographiques stimulent l’imaginaire et donnent naissance à des légendes et des mythes. Le mont Saint-Hilaire a attiré tous les regards. Tellement que Pierre Lambert y a consacré un livre chez le même éditeur en 2007, s’attardant à dix-neuf contes et légendes qui se déroulent autour de cette montagne. Un terreau est particulièrement fertile. Une crevasse, une caverne, un rapide tumultueux, un lac peu accessible, c’est assez pour que germe une histoire que les gens aiment reprendre et transformer. Les fées, un ermite, un trésor enfoui ont captivé l’imaginaire des anciens comme des modernes. Les peuples, peu importe l’époque dans laquelle ils vivent, trouvent toujours une façon d’expliquer une particularité géographique en y accolant des origines surnaturelles.
Dans ce voyage que propose Pierre Lambert, des héros échappent aux dimensions humaines. Le Diable ne pouvait que venir y faire quelques apparitions, histoire d’aider à construire une église ou pour faire danser la plus belle fille du village pendant toute une nuit.
Un livre imposant, soigné, qui nous fait voir la Montérégie autrement. Plus que tout, nous arpentons la mémoire d’une collectivité en redécouvrant ses épreuves, ses rêves, ses craintes et ses croyances.
Carte du pays

Si les explorateurs parcouraient les contrées et les continents pour en dessiner la carte, les écrivains, les poètes et les conteurs empruntent le même chemin. Ils utilisent volontiers la légende, le conte et le récit pour dire un pays, le faire basculer dans le rêve et l’imaginaire. Une façon tangible de dire une terre et de se l’approprier.
Cette grande collection des Éditions Trois-Pistoles constitue un véritable trésor, une somme qui permet de retrouver la mémoire du Québec qui se souvient si peu et si mal. Une forme d’anthologie littéraire aussi avec ses formules, ses genres, ses façons de dire et de raconter. Une belle manière de revivre l’histoire, de croiser des personnages qui ont marqué leur temps. Bien des enseignants auraient avantage à utiliser cette collection pour secouer l’imaginaire de leurs étudiants, visiter nos grands moments historiques et les courants d’une littérature qui nous caractérise et nous identifie. Un regard, une expédition unique dans un pays qui se forge depuis près de 400 ans.

«Contes, légendes et récits de la Montérégie» de Pierre Lambert est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 

dimanche 16 novembre 2008

Felicia Mihali renoue avec la Roumanie

Dina attire les regards de Dragan, un douanier serbe particulièrement zélé qui traque tous les trafiquants. Une étrange relation s’installe entre eux, un amour fait de haine et de passion, de résistance et d’agressions. Elle devient le symbole de la Roumanie qui se fait humilier par l’envahisseur. Un univers de violence, de rage et de haine qui se traduit dans un affrontement quotidien qui ne connaît de trêves que dans la fusion des corps.

La Roumanie a vécu le communisme à la Ceausescu, un régime totalitaire particulièrement archaïque et sauvage. La fin de cette dictature a laissé le pays en ruine. Les gens vivent au jour le jour, deviennent trafiquants pour survivre, bradent tout pour quelques sous. Les campagnes sont désertées, les terres abandonnées et le marché noir est la seule activité possible. L’anarchie règne en maître. Le pire peut-être, ce sont les affrontements quotidiens entre Serbes et Roumains, cette haine raciale que rien ne semble vouloir éradiquer.
Avec «Dina» nous effleurons le meilleur de Felicia Mihali. Nous retrouvons la magie du «Pays du fromage», son premier roman, la même force d’évocation, un drame et un suspense qui emportent chacune des pages. Des portraits saisissants de femmes qui vivent les pires outrages depuis des siècles, trouvent des trésors d’imagination pour survivre. Elles sont déboussolées dans cette société qui a oublié ses références.
«Une fois libérées de la tutelle de leur mari ou de leur belle-mère, les vieilles femmes se consacrent finalement à une vie d’oisiveté ou d’ivrognerie. Les voisines que je connaissais, surchargées de tâches, sont devenues maintenant des clientes fidèles de la taverne du village. On ne les voit plus porter de lourds fardeaux sur leur dos, on ne les entend pas puiser de l’eau, courir après une poule ou crier après un mouton. Elles ne veulent plus peiner, même au risque de ne pas se nourrir. Le cycle de leur vie a ralenti, leurs membres sont fatigués, leur énergie nourricière s’est tarie, leur instinct maternel est entré en hibernation ou s’est reconverti en égoïsme et en indifférence.» (p.34)

Un récit

«Dina» pourrait être un récit tellement la voix de la narratrice se rapproche de l’écrivaine. Sans être un familier de Mihali, on peut reconnaître des éléments de sa trajectoire, son installation à Montréal, son refus de retourner au pays malgré la nostalgie qui rejoint ceux et celles qui décident de quitter parents et amis pour s’inventer un rêve.
La Montréalaise par choix garde contact avec son pays d’origine, téléphone à ses parents de temps en temps. Elle n’arrive plus à parler avec un père qui n’est que l’ombre de lui-même. Sa mère, après une vie de sacrifices et de dévouement, bascule dans l’alcool pour fuir la réalité devenue impossible.
Lors d’une conversation, la narratrice apprend la mort de sa cousine Dina. Elles avaient le même âge, partagé leur adolescence et de grands bouts de leur vie de jeunes femmes. Elle a été assassinée, semble-t-il. Une mort qui fait ressurgir une partie de l’enfance de la narratrice.

Figure emblématique

L’écrivaine insiste peut-être un peu trop pour montrer que Dina est la figure emblématique des Roumains qui courbent le dos devant l’oppresseur. C’est la seule fausse note de ce roman magnifique. Un portrait de la Roumanie particulièrement troublant qui ne sait plus à quoi s’accrocher pour survivre et qui affronte le mépris, la violence des vainqueurs. Dina ne peut triompher dans un combat inégal. Il reste la fuite, l’exil pour se refaire une vie. C’est ce que la narratrice a choisi.
«Dina a alors fait ce que les petites nations font devant la pression des plus grandes: elle a cédé. Elle est montée dans l’auto, convaincue que ce n’était pas la fin mais pas le début non plus. Dans son âme logeaient depuis longtemps l’humiliation, la rage de ne pas pouvoir se défendre, de dépendre toujours de la bonne volonté et des intérêts des autres. Dragan allait lui-même décider de son sort. Pour s’y opposer ? Elle n’aurait pas pu le faire encore longtemps de toute façon. Pourquoi fuir, lorsque la volonté des plus forts vous suit partout?» (p.125)

«Dina» de Felicia Mihali est publié chez XYZ Éditeur.

dimanche 9 novembre 2008

Les Gagné et les Rousseau sont de retour

Anne Tremblay récidive avec «Les porteuses d’espoir», le troisième tome du «Château à Noé». Les Gagné et les Rousseau vivent difficilement les années qui s’étirent entre 1938 et 1960. De grandes épreuves ne cessent de secouer ces familles depuis la hausse des eaux du lac Saint-Jean qui a noyé leurs terres de Pointe-Taillon et emporté une partie de leurs rêves. Le malheur ne peut être plus spectaculaire que l’incendie de la maison qui a disséminé la famille Gagné. Sept enfants sont morts en plus de Rolande, la mère. Le drame a traumatisé tout le monde. Georges, le père, n’aura pas assez d’une vie pour se redresser. Jean-Marie, le fils aîné, cherche à expier en se faisant moine à Mistassini. Mathieu n’arrive pas à oublier la mort de ses cousins. Hélène, la survivante, se sentira toujours un peu coupable d’être du côté des vivants.
Les Rousseau vivotent à Saint-Ambroise. Julianna doit ravaler ses ambitions qui lui permettraient de mettre le monde à sa main. Yvette, sa fille aînée, se débat avec des rêves de départ. Rien n’arrive en ces temps difficiles. La guerre a rejoint tout le monde. Pierre, le fils de François-Xavier et Julianna, se cache dans un chantier au nord de Normandin pour échapper à la conscription. Elzéar, son cousin, s’enrôle pour défier la mort en sifflotant sur les champs de bataille de l’Italie. Le souvenir du sinistre qui a ravagé la maison familiale le pousse en avant. Il mourra le sourire aux lèvres.

Autre rêve

Les Rousseau déménagent à Chicoutimi pour inventer un autre rêve et une autre déception. Julianna s’occupera du courrier du coeur dans le journal de Chicoutimi et découvrira des secrets que l’on évite lors des repas du temps des Fêtes. Elle sauvera sa famille de l’indigence en quelque sorte. Parce que le malheur ne s’éloigne jamais chez les Rousseau. Il se faufile par une porte mal fermée ou une fenêtre. Il est toujours là à mettre ses doigts partout. Nous filons ainsi jusqu’au début de la Révolution tranquille où le Québec découvre la modernité. 

Conteuse

Anne Tremblay est une formidable conteuse. Encore une fois, «Les porteuses d’espoir» nous attache à une histoire familière et des dizaines de personnages aux prises avec leur quotidien. Un secret, un rebondissement fait que nous lisons cette tranche en gourmand. Un membre de la tribu vit le meilleur ou le pire, effleure la mort, mais arrive toujours à relever la tête. Toujours l’amour, l’espoir, la certitude d’arriver à mettre un doigt sur des jours ensoleillés.
Anne Tremblay possède cet art délicat de retenir son lecteur. Impossible de ne pas se laisser étourdir par cette saga du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Quatre cents pages bien tassées qui nous font plonger dans des drames qui s’étalent sur un fond historique. Une forme de magie.
Que ce soit chez les Gagné ou les Rousseau, tous possèdent un don d’empathie, une énergie qui fait que les pires difficultés sont surmontées. Même Yvette qui connaît la faim et la misère à Paris sera rescapée par sa petite sœur Laura. Le rêve lui aura rogné les ailes cependant. Oui, il y a toujours une main, un regard, une parole qui permet de s’arracher à la misère. Comment ne pas prendre plaisir à le croire et à le lire.
Une écriture directe, sans artifices, beaucoup de dialogues, des rappels pour nous remettre en mémoire certains événements un peu oubliés. Le lecteur prend les virages de ces aventures croisées en retenant son souffle, s’attache à des personnages qui ont la grande qualité d’avoir du cœur malgré des maladresses et les difficultés à manier les mots.
Le lecteur a à peine refermé ce gros roman qu’il rêve déjà du quatrième tome qui promet de nous pousser vers le déluge qui a secoué la région en 1996. Mélange de fiction et de réalité, cette saga est à l’image de la vie toujours folle de soubresauts, de grandes et petites tribulations qui laissent des cicatrices profondes. C’est pourquoi on s’attache à ces héros de la vie ordinaire. Des pages pleines d’espoir, de forces et de santé malgré les pires facéties de la vie. Il suffit de s’abandonner à son plaisir.

«Les porteuses d’espoir» d’Anne Tremblay est paru chez Guy Saint-Jean Éditeur.

jeudi 30 octobre 2008

Comment survivre à la mort d’un enfant ?

La vie est fragile. Une course et l’irréparable nous gifle. Lucie a une fille dans «La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger. En traversant la rue, Odyssée se fait renverser par une automobile. La vie éclate comme une vitrine sous le souffle d’une bombe. La mort enraye l’esprit de la mère, court-circuite tous les sens. Cette douleur insupportable la pousse hors d’elle, à se blesser à des souvenirs et à cultiver des remords. Elle cherche un refuge comme le font les chats quand ils veulent guérir et lécher leur plaie jusqu’à une certaine résurrection.
«Je voulais une maison pour qu’elle m’avale, je me souviens, avoir pensé : j’aimerais tant être nulle part. Être nulle, annulée. Une maison, si possible au bord de la mer, comme antidote à l’étroitesse d’horizon.» (p.15)
Dans des récits croisés, nous apprivoisons la narratrice qui s’est réfugiée dans une maison de bord de mer qu’elle est seule à voir. Un refuge pour étourdir la souffrance insoutenable et faire germer peut-être un semblant de paix sans le regard des autres et le poids de la compassion.

Des inséparables

Le récit se casse au second cahier. Nous cherchons un fil pour nous accrocher. Deux femmes, Suzanne et Aurore, promènent leurs bébés Claire et Lucie. Il  faut du temps pour retrouver la narratrice qui nous a subjugués dès les premières phrases. Nous basculons dans l’enfance des fillettes, des inséparables, des sœurs sans trop faire le lien. Une complicité, un partage total, une amitié assez forte pour une vie. Les destins se croisent, se perdent, se retrouvent, se bousculent et reviennent rôder.
Par petites touches, nous découvrons l’histoire de Claire et Lucie, celle des mères aussi. Si Suzanne, la mère de Claire, est plutôt conventionnelle avec un mari toujours absent, Aurore est une imaginative qui préfère la fiction à la réalité. Il faut dire que son héritage sort des ornières. Sa mère d’origine irlandaise a connu une fin tragique alors qu’elle était encore une fillette.
«En l’absence de Jean et en présence d’Aurore, ils la brûlèrent vive et muette, depuis toujours consciente du risque d’être soi. Son âme aimée du monde s’éleva très haut, effleurant sur son passage l’épaule de son homme, qui comprit tout de suite ce qu’il savait déjà : le temps est bref, les bêtes sont libres, les hommes sont fous, les corps périssent. L’amour perdure, mystère sans tache le long des épines, au fond de la neige, sur les vaisseaux ardents.» (p.72)
Il y a de quoi se réfugier dans la fiction pour étendre une bâche sur les atrocités du monde et des images intolérables. Nous suivons Lucie dans sa douleur, dans sa quête de repères après cette mort qui a tout pulvérisé. Certaines douleurs peuvent pousser vers des excès terribles comme le fait le personnage de Brigitte Haentjens dans «Blanchie». La narratrice se perd et s’avilit jusqu’à frôler l’anéantissement après la mort de son frère.

Destins de femmes

Des destins de femmes, des pages époustouflantes sur l’enfance et l’accouchement.
«Le jour de la naissance d’Odyssée, Lucie ne voit plus que des éclats d’images, sa blouse tachée, une chaise en plastique bleu, les sourcils froncés de Claire, une reproduction de Van Gogh, le reflet des néons dans l’évier, les tournesols de Van Gogh, une rampe verte dans un corridor, la tête penchée des tournesols, leurs pétales jaunes. Les minutes ne passent qu’à force de ne pas passer. Chaque contraction dure une vie, une vie passée sur l’ourlet de la mort, charriée, emportée là où nul n’irait de son plein gré. Son corps craque dans la séparation, réduit au seul pouvoir de consentir, poussé vers l’autre bout des mondes pour prendre une âme par la main, pour l’inviter à redescendre, pour l’accompagner ici-bas tête première- et Lucie touche d’un seul coup le ciel et la terre, la bête et l’ange, l’entente et le cri.» (p.197)
Un souffle, un ton, une écriture remarquable, une voix, une force d’évocation rare. Pascale Quiviger, dans son quatrième ouvrage, signe un roman exceptionnel. Rappelons qu’elle a remporté le Prix du gouverneur général en 2004 avec «Cercle parfait» et a été finaliste au prix Giller. Une écrivaine sur qui nous devons compter.

«La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger est publié aux Éditions du Boréal.  
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/pascale-quiviger-1609.html