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jeudi 18 octobre 2007

Gilles Jobidon nous entraîne ailleurs

Je connaissais Gilles Jobidon de nom. Le hasard a fait que je suis passé à côté de ses romans. Les chemins de la lecture sont pleins de détours, de poussées et de raccourcis difficiles à expliquer. Ses ouvrages pourtant ont retenu l’attention de la critique et je n’ai lu que de bons mots pour «La route des petits matins» (le beau titre !) et «L’âme frère». Son premier roman raflait le Robert-Cliche, le prix Anne-Hébert et le prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec.
Je me suis faufilé dans l’œuvre de cet écrivain par la petite porte si l’on veut. «D’ailleurs», un recueil de sept nouvelles vient de paraître chez VLB Éditeur. À peine si l’ensemble couvre quatre-vingt pages, mais c’est bien suffisant pour vous entraîner dans un pays du Sud, à Paris et en Afrique sans rompre avec le Québec. Ces «ailleurs» troublent et dérangent. À chaque fois la vie se rompt et laisse l’âme à la dérive malgré un humour subtil et parfaitement maîtrisé. Dans «Ly Sanh», un enfant perd sa grand-mère et la retrouve «dans une urne funéraire».
«Trois jours plus tard mamie Ly était revenue. Le problème, c’est qu’elle n’était pas tout à fait dans son assiette, c’est une façon de parler. En fait, elle était en poudre. C’est fou comme c’est petit une grand-mère en poudre, comparée à une vraie grand-mère dinosaure précambien. Maman nous a expliqué à mon frère et moi qu’elle était mourue, qu’on l’avait fait entrer dans le cinérateur et qu’elle en était ressortie comme ça, en poudre.» (p.40)

Les bascules

Toutes les nouvelles sont constituées d’événements qui bouleversent les personnages. Un incident et la vie bifurque brutalement. Monsieur Henry décide d’annoncer à son épouse qu’il s’est résolu à vendre son restaurant. Il est foudroyé en comprenant que sa femme aime son meilleur ami. Une photographe participe à un safari africain avec son modèle et inspiratrice. Une tragédie la ramène à Montréal. Elle délaisse son art, s’abandonne à la dérive. L’élan créateur est disparu.
«La beauté constitue alors pour Patricia une véritable obsession. En quelques années, son œuvre a glissé lentement de l’esthétique des objets à la splendeur de la nature. Ensuite, elle a exploré la beauté féminine grâce à son amie Sara, une métisse aux ancêtres navajos et africains du côté maternel, scandinaves du côté paternel. Une beauté rare, fascinante.» (p.51)
Des fausses confidences à New York, «un pull» obsède un Montréalais de passage à Paris, un homme marié tourne autour d’un jeune homme comme un papillon de nuit. Le texte le plus étonnant met en scène Théodausse Pierrrichon, président d’une compagnie d’assurances et iconoclaste. Il entraîne le lecteur dans les aberrations d’une humanité qui tout au long de son histoire brûle les livres, le symbole de la connaissance. Un bijou d’humour et d’érudition.
«L’homme devint intarissable lorsque le récit s’engagea sur une des périodes les plus noires de l’humanité, si ce n’est la plus carbonifère pour l’histoire du livre, curieusement appelée la Sainte Inquisition. Son père décrivait non sans humour cette « lumineuse » période durant laquelle un nombre incalculable de brasiers « éclairèrent » la nuit qui s’était abattue sur l’Ancien et bientôt le Nouveau Monde. Cette « sainte » avait en effet sévi durant plus de trois cents ans. L’auteur précisait que, pour les millénaristes et les démagogues de tout acabit, seuls les illettrés sauvent le monde des visions mégalomanes des libres penseurs, des scientifiques, et des artistes, bien sûr.» (p.69)

Un orfèvre

Gilles Jobidon, on l’a souvent souligné, est un écrivain qui cultive une écriture très personnelle. Il trouve dans ses nouvelles un ton, une manière qui fait éclater les balises, brosse sa phrase, la peaufine, trouve le mot juste, n’hésite jamais à nous étourdir un peu malgré une apparente limpidité. Un délice pour le lecteur qui aime se faire surprendre, apprécie les textes qui évoquent les délicatesses de la porcelaine.
Oui, je me tourne vers ses romans pour savourer cette écriture et découvrir des univers. L’important, c’est que j’ai fini par croiser cet écrivain particulièrement original, malgré les routes qui nous avaient éloignés jusqu’à maintenant.

«D’ailleurs» de Gilles Jobidon est publié chez VLB Éditeur.

mardi 16 octobre 2007

Sergio Kokis ne cesse d’inventer des mondes

Sergio Kokis, depuis «Le pavillon des miroirs» paru en 1994, a publié quatorze romans. Une cadence époustouflante quand on sait qu’il ne dédaigne pas les gros ouvrages qui prennent la dimension de véritables fresques.
Il a même osé entraîner le lecteur dans une trilogie mettant en scène les personnages d’un cirque qui fuient l’Europe lors de la Deuxième Guerre mondiale. «Saltimbanques», «Kaléidoscope brisé» et «Le magicien» révèlent les coulisses de la dictature en Amérique du Sud. Un univers fait de grandeur et de démence. Des pages époustouflantes.
En 2003, il publiait «Les amants de l’Alfama», un ouvrage magnifique et captivant. L’an dernier, il surprenait avec «La gare», un texte où toutes les références basculent et confondent le lecteur.
Bien sûr, tout n’est pas égal dans cette production foisonnante. J’ai un peu tiqué en lisant «Le maître de jeu» où il n’hésite pas à convoquer Dieu pour discuter et argumenter. Pourtant, Kokis trouve là encore le moyen de surprendre par son propos et son imaginaire.
Il s’attaque aussi à des sujets que peu d’écrivains abordent. Je pense à la contrefaçon en peinture dans «L’art du maquillage». Une trame romanesque un peu faible, mais un regard percutant sur le sujet par un écrivain qui est aussi peintre. Il illustre toutes les jaquettes de ses romans.

Rebelle

Sergio Kokis est un rebelle et je le soupçonne d’être un tantinet têtu. Il nous entraîne dans les hautes sphères même si, parfois, il néglige un peu son écriture, se laissant emporter par son propos. S’il était impeccable dans «La gare», il a fait vite dans «Le fou de Bosch», sa dernière parution. L’écriture est moins serrée, un peu bavarde même. Nous sommes loin de «Negao et Doralice» ou «Les amants de l’Alfama». Cela a un peu gâché mon plaisir, je l’avoue.
Cette fois, il suit Lukas Steiner qui se croit victime d’une machination universelle. Ce Steiner vit à Montréal, se sent espionné par tout le monde à la bibliothèque municipale. Tous en veulent à sa peau, y compris les concepteurs de la Grande bibliothèque du Québec qui est encore en projet. Un personnage qui permet tous les délires et de jongler avec tous les préjugés. Kokis s’en donne à cœur joie. Il a cet art de suivre des marginaux qui voient le monde à travers des verres déformants.
«Cet immense trou bétonné, carré, disgracieux, tel un sordide dépotoir atomique deviendrait inexorablement le parking souterrain d’un bâtiment moderne, sans cave ni grenier, sans recoins où se cacher, entièrement informatisé, illuminé de partout, envahi de lecteurs avides et indisciplinés qui se serviraient à leur guise et sans scrupules des livres chers à son cœur.» (p.29)
Et voilà que Steiner se «reconnaît» dans les fresques de Jérôme Bosch, un peintre né en 1453 et décédé en 1516. Convaincu d’avoir servi de modèle à l’auteur du «Jardin des délices», il explore l’univers étonnant de ce peintre. C’est le meilleur du roman. Steiner prendra la fuite et traversera une partie de l’Europe en marchant vers Saint-Jacques de Compostelle. Un parcours que le romancier a fait, il y a quelques mois, en chaussant les bottes du pèlerin.

Le mal

De magnifiques pages sur Jérôme Bosch, l’obsession du mal qui hante les fresques que Steiner retrouve et admire un peu partout dans les musées des pays qu’il traverse.
Malheureusement, Sergio Kokis résiste mal au plaisir de donner des petits coups de griffes un peu puérils. Des phrases assassines sur Jacques Parizeau ou encore les Québécois font hausser les épaules. Des fadaises qui heurtent un peu le lecteur admiratif que je suis.
«… Steiner reconnut aussi de manière indiscutable le visage gras, haineux et rempli d’arrogance de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau… … Steiner détestait ce politicien, qu’il qualifiait volontiers de paradigme du grand bourgeois fat, impertinent et proche du racisme par sa haine des étrangers.» (p. 63)
Bien sûr, le personnage permet ce genre de propos, mais Kokis a trop de talent pour se complaire dans ce genre de balivernes.
Malgré ses outrances, son machisme, son obsession de la putain, ses tics, son côté un peu brouillon et ses jugements à l’emporte-pièce, Sergio Kokis demeure une voix unique au Québec et un écrivain qui ne cesse de surprendre et d’éblouir.

«Le fou de Bosch» de Sergio Kokis est publié aux Éditions XYZ.

jeudi 11 octobre 2007

Stanley Péan bouscule notre réalité

Stanley Péan, avec «La nuit démasque» et le «Cabinet du Docteur K», a entrepris de rassembler des nouvelles qu’il a éparpillées dans différentes revues ou rédigées pour une lecture publique. «Autochtones de la nuit» vient compléter ce cycle avec une vingtaine de textes. La plus ancienne nouvelle remonte à 1993 et l’ensemble du recueil a été écrit à partir des années 2000. Le tout offre une unité remarquable.
Stanley Péan a une prédilection pour les jeunes qui décrochent et basculent dans l’envers de la société bien pensante. À peine sortis de l’enfance, ses personnages s’égarent dans la nuit pour survivre de rapines, de prostitution et d’expédients. Agressés par des proches, leurs blessures ne se cicatrisent jamais, les poussant dans une marginalité et une violence terrible. Des êtres qui se battent pour manger et qui risquent leur corps à chaque instant, des univers que l’on retrouve dans les bulletins d’information ou qui font les manchettes des journaux.
L’écrivain nous entraîne dans ces zones troubles, effleure des pulsions que nous n’aimons guère évoquer, se faufile derrière le sensationnalisme, aborde des drames que les dirigeants refusent souvent de considérer et ne savent comment aborder. Un monde dur, violent où toutes les perversions dominent et broient les âmes. Une société malade, gangrenée qui va vers sa perte peut-être…
«Les plus anciens s’en souviennent mieux que moi. Terrible fut notre débandade le matin où nos châteaux en Espagne s’écroulèrent tels des châteaux de cartes. Secoués depuis leurs fondations par le chant fatidique de mille trompettes, les tours chancelèrent, frappées de plein fouet par la riposte inévitable des laissés-pour-compte que nous avions dédaigneusement condamnés à vivre dans les soubassements infects de l’empire. Paniqués, certains d’entre nous ont préféré sauter dans le vide plutôt que d’être pulvérisés dans l’irrémédiable effritement.» (p.12)

Réussite

Il y a ceux qui ont tout fait pour réussir et qui transgressent des frontières pour se prouver qu’ils sont vivants et ressentir de vraies sensations. Dans «Sévices amoureux», un homme d’affaires paie un tortionnaire pour violer et torturer la femme qui menace de le quitter.
«La véritable surprise se trouve sous le coupe-vent: cet attaché-case de design italien, elle le reconnaîtrait entre mille, elle l’avait elle-même offert à Richard à Noël, il y a sept ans. À l’intérieur, un contrat au bas duquel son mari avait apposé sa griffe. Dans la pénombre, elle déchiffre difficilement les termes de l’entente, mais n’en a plus vraiment besoin pour déduire les tenants et aboutissants de sa séquestration. Elle tressaille au son de cette voix qu’elle a appris à redouter au fil des derniers jours et qui, pour la première fois, s’adresse directement à elle.
- J’ai été naïf de penser que ta thérapie était finie et que t’étais prête à retourner à la maison. Ça a l’air que t’es plus coriace que la moyenne. Tant pis, va falloir que M. Champagneur prenne son mal en patience!» (p.142)

Part de soi

Stanley Péan n’hésite pas à puiser dans sa vie pour étayer sa fiction. Les voyages entre Québec et Montréal font partie de son quotidien, le Saguenay surgit ici et là, la musique de jazz colle à ses personnages et crée un monde envoûtant.
Il faut s’attarder particulièrement aux «interludes» où l’auteur reprend son souffle, rêve la vie, évoque des circonstances qui font que des amours s’étiolent en ne laissant que quelques impressions. Une méditation sur l’impossibilité de retenir le temps qui va sans jamais se retourner.
«Nous trinquerons une dernière fois, mon amour, à nos spectres que nous traînons de dérive en dérive. Je t’embrasserais peut-être encore, chastement, en te retenant au creux de mes bras maigres comme pour écraser ta beauté contre ma poitrine. Ensuite… Ensuite, avant que la nuit s’impose, irrévocable, il me faudrait continuer ma route, aller de l’avant.» (p.228)
Doué pour créer des atmosphères, à la manière de Miles Davis, son musicien préféré, Stanley Péan sollicite tous nos sens. De plus, dans ses histoires, il a cet art de retourner la situation par une fin qui laisse au bord du précipice.

«Autochtones de la nuit», de Stanley Péan est publié aux Éditions de la Courte échelle.

jeudi 4 octobre 2007

Jacques Antonin raconte sa vie

Méchant risque que de raconter sa vie. Un jeu de la vérité qui peut choquer ou frustrer certaines personnes qui croyaient occuper une place de choix dans votre parcours. Cela peut aussi être magique. Pensons à Gabrielle Roy.

Jacques Antonin s’en sort plutôt bien. «Je me serai livré à cet exercice sans trop de bouleversements intérieurs. Moi qui appréhendais de revivre certains passages de ma vie m’ayant que trop peu laissé de bons souvenirs, ça doit être dû à l’âge, je les aurai traversés d’un trait de plume. Du bout des doigts. Et même si parfois j’y suis allé plus en profondeur que prévu, j’aurai réussi à m’épargner dans cette aventure.» (p.476)
Ce Bouchard, dont la famille a vécu à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, a connu un parcours singulier. Comme s’il avait roulé à 500 kilomètres heure pendant toute sa vie, multipliant les expériences, les spectacles, les voyages et les amours. Que de péripéties pour le petit «Bouchard-Ananias» qui a quitté son Lac avec quarante-deux cents en poche pour faire carrière, sans pour autant glaner fortune et gloire.

Difficile chemin

Interprète d’abord, il a glissé vers ses chansons, acquerrant à la dure le titre d’auteur, compositeur et interprète. Il a dit oui à toutes les aventures que la vie lui proposait, connu toutes les scènes de Québec et de Montréal, sans compter celles des régions où il ne refusait jamais de monter. Une sorte d’aventurier de la chanson, de kamikaze, autant dans sa vie personnelle que dans sa carrière. «Un gigoteux», aurait pu dire sa mère Antoinette.
Lire cette autobiographie, c’est vivre de l’intérieur un pan de la chanson populaire contemporaine, bondir dans les textes d’Antonin, le suivre à la trace autant au Québec qu’en France. Il raconte juste ce qu’il faut de sa vie privée sans se complaire dans ses misères.
Oui il a connu à peu près tout le monde, n’hésitant jamais à frapper aux portes et à foncer. «Un front de bœuf», comme il dit. Un homme «de gang», un rassembleur qui attire tout le monde et sait se faire aimer. Généreux, sensible, une vraie dynamo, il était toujours là pour les virées les plus folles ou pour donner un coup de main.

Ses héros

Il garde une tendresse particulière pour Félix Leclerc, son mentor, Léo Ferré, Clairette, Danielle Oderra, Monique Leyrac et Tex Lecors. La liste pourrait s’allonger. Il a connu tous ceux et celles qui tentaient de se faire une place dans ce monde souvent ingrat. Bien sûr, il y a eu des froissements. Il le dit avec franchise sans trop insister. «C’est rare, disait-il lors d’une rencontre au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je pense avoir acquis la reconnaissance de mes pairs. Ils aimaient ce que je faisais mais le public n’a jamais suivi.» Il constate simplement, sans rancœur, sans amertume.
Que peut-il se reprocher? Il a fait tout ce qui était humainement possible pour réussir. Il dira aussi avec un sourire qui le transforme: «J’ai tellement de beaux souvenirs. C’est formidable!» Le lecteur ne peut que se dire qu’il aurait mérité mieux parce qu’il y a mis toutes ses énergies, hypothéquant même sa santé.

Injustice

Les jeunes qui se lancent dans l’aventure de «Star Académie» et qui rêvent de gloire et de richesse devraient lire l’autobiographie de Jacques Antonin. Il recevrait une belle dose de réalisme.
Un texte touffu comme une talle de chiendent qui se perd parfois pour mieux se rattraper dans le détour. Le lecteur vit une véritable expédition dans le monde de la chanson québécoise des années soixante à nos jours. Et puis, juste le dernier chapitre où Antonin écrit ce qu’il pense de la chanson de maintenant et des vedettes que l’on «programme» comme des ordinateurs vaut le détour. Que c’est bien envoyer! Antonin est d’une franchise rare et il réussit à tout dire avec dignité et générosité. C’est tout à son honneur. Un livre émouvant et touchant, le parcours d’un homme qui n’a cessé de courir derrière «une inaccessible étoile».

«Mes valises, mes albums» de Jacques Antonin est publié aux Éditions SM.

jeudi 27 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (2)

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, démontre que certaines questions, pendant presque 500 ans, ont fait l’objet de débats. Les écrivains doivent-ils s’adresser à un lecteur étranger ou à un concitoyen d’ici? Quelle langue utiliser? Quelles valeurs privilégier? Il faudra attendre «Les Anciens Canadiens» de Philippe-Aubert de Gaspé pour trouver un livre fondateur qui s’adresse au lecteur québécois. Le genre, boudé jusqu’alors, connaîtra un succès, devenant le premier best-seller de l’histoire littéraire.
«Après un premier tirage de deux mille exemplaires écoulés en quelques mois, «Les Anciens Canadiens» est aussitôt réédité, tiré cette fois à cinq mille exemplaires. Une traduction anglaise paraît dès 1864 (par Georgiana M. Pennée) sous le titre «Canadians of Old», suivie d’une deuxième en 1890, par Charles G. D. Roberts qui modifiera le titre en 1905 (Cameroun of Lochiel). (p.123)
Les journaux joueront aussi un rôle crucial pendant ces escarmouches portant sur la langue littéraire. Des partisans réclameront une expression typique quand d’autres se conformeront au modèle parisien. Olivar Asselin, Arthur Buies, Jules Fournier, Claude-Henri Grignon, Henri Bourassa et André Laurendeau attiseront la polémique. Comment s’étonner alors que la littérature emprunte le chemin de l’histoire. Signalons le travail de François-Xavier Garneau et de Lionel Groulx, deux figures marquantes. Louis Dantin, Edmond de Nevers et Jean-Charles Harvey contestent ou approuvent les diktats que l’Église veut imposer.

Louis Hémon

Au début du siècle dernier, «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon causera une véritable commotion qui hantera Félix-Antoine Savard et presque tous les auteurs. Le «roman de la terre» mobilisera Damase Potvin, le premier écrivain du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Léo-Paul Desrosiers, Ringuet et Antoine Gérin-Lajoie. Plus près de nous, Alfred Desrochers donnera une autre dimension à ce conflit en écrivant dans une langue à la fois populaire et recherchée.
Le joual, selon le terme trouvé par Claude-Henri Grignon pour parler de la langue des Québécois, aboutira à Michel Tremblay et à la pièce de théâtre «Les belles-sœurs». Ce sera la fin d’une controverse qui aura coloré l’histoire de la littérature québécoise. Jean-Paul Desbiens, le «frère Untel», né à Métabetchouan, écrira même un best-seller en pourfendant les défenseurs du joual. Plus près de nous, Victor-Lévy Beaulieu continue de défendre cette idée de créer une langue d’ici.
À partir des années 60, la littérature s’impose avec Gaston Miron et le groupe de l’Hexagone, la publication des revues «Liberté», «Parti pris» et «La Barre du jour». Roland Giguère, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais survolent l’époque. Trente ans plus tard, les écrivains de best-sellers Marie Laberge et Yves Beauchemin écriront une nouvelle page de notre littérature.

Littérature de la région

Notons cependant, que quelques écrivains seulement du Saguenay-Lac-Saint-Jean trouvent une niche dans cette histoire de la littérature. Si les poètes Paul-Marie Lapointe et Gilbert Langevin retiennent l’attention, Michel Marc Bouchard, Daniel Danis et Larry Tremblay sont à peine mentionnés dans le volet théâtre. Les romancières Lise Tremblay et Élisabeth Vonarburg sont les seules à attirer l’attention des trois auteurs.
«La ville de Québec où vit l’héroïne du roman est bien réelle, mais c’est aussi «celle des livres de Poulin», comme le précise la narratrice. Le personnage marche ainsi dans les rues de la vieille ville en traînant partout «Le Cœur de la baleine bleue»», écrivent les historiens à propos du premier roman de Lise Tremblay, «L’hiver de pluie». Rappelons qu’elle recevait le titre de «Découverte de l’année» du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec cet ouvrage paru en 1990.
«Histoire de la littérature québécoise» est un ouvrage exceptionnel, un manuel incontournable qui, il faut le souhaiter, deviendra une référence dans tous les cégeps et les universités du Québec. La littérature avait besoin de cette oeuvre remarquable pour montrer sa diversité et son immense richesse.
Il reste peut-être à explorer notre littérature en mettant l’accent sur les régions. Le lecteur découvrirait des «littératures» qui se développent et se caractérisent selon «les pays du Québec».

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.

jeudi 20 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (1)

Michel Biron

Élisabeth Nardout-Lafarge
Prétendre survoler la littérature du Québec, des débuts à nos jours, s’avère une aventure parsemée d’embûches. Où commencer, quel angle privilégier pour lui rendre justice et la mettre en valeur? Ce sont des questions que Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, en compagnie de leurs nombreux collaborateurs, ont dû se poser tout au long d’un travail qui a demandé des années de réflexions et de recherches. Il faut s’attarder à l’index et à la bibliographie de cet ouvrage pour prendre conscience de la quantité impressionnante de lectures et de documents qu’ils ont dû parcourir.
Quand on évoque histoire, on s’attend à ce que les concepteurs dégagent les forces qui portent une littérature, prennent un recul pour faire le portrait des périodes envisagées. Le pari est risqué parce que nous survolons quasi cinq siècles d’histoire politique et sociale du Québec et du Canada, par ricochet.
Les auteurs ont dû respecter des balises sinon l’entreprise risquait de basculer dans la confusion.
«Nous avons essayé de combler cette lacune en nous basant sur trois grands principes: faire prédominer les textes sur les institutions ; proposer des lectures critiques; marquer les changements entre les conjonctures qui distinguent chacune des périodes», précisent les signataires de l’étude dans la préface.

Périodes

Cinq grandes périodes découpent ce travail colossal. Les écrits de la Nouvelle-France englobent les XVIe et XVIIe siècles. Les années 1763 à 1895 illustrent l’ancrage dans une réalité qui se modifie après la bataille des plaines d’Abraham et l’instauration du régime parlementaire britannique. Plus que jamais, après la Conquête, la question de l’identité s’impose. Les écrivains sont déchirés entre la volonté de créer une littérature «canadienne» ou se conformer au modèle venant de Paris. Le débat ne sera pas tranché avant la période contemporaine. Il y a la nation qu’il faut défendre contre les influences étrangères; l’histoire nationale qu’il faut écrire pour faire mentir Lord Durham. Comment élaborer une littérature purement «canadienne» sans risquer de «créoliser le français d’ici»? Faut-il coller au langage populaire qui a fait la vigueur du conte ou utiliser une langue parisienne qui risque de couper les écrivains de la population? Tradition ou modernité, régionalisme ou métropole? Ces questions préoccupent les auteurs jusque dans les années 60 où la question du joual éclate autour «Des belles-sœurs» de Michel Tremblay, engendrant des polémiques qui feront le bonheur des médias. Cette quête d’une spécificité «américaine» disparaîtra à partir des années 80 avec l’arrivée d’écrivains immigrants qui font sauter les frontières de l’imaginaire québécois.

Et la nation

La littérature n’est jamais imperméable aux soubresauts politiques qui mobilisent les classes dirigeantes. Certaines thématiques traversent les époques. Jusque dans les années quatre-vingt, la question de la nation ou du pays reste obsédante dans la poésie et le roman. Biron, Dumont et Nardout-Lafarge font aussi quelques incursions du côté du Montréal anglophone pour établir des parallèles et donner un éclairage particulier.
«L’histoire de la littérature québécoise» démontre que certains débats perdurent même si la littérature au Québec est foisonnante et particulièrement diversifiée depuis les années 80. Notre corpus littéraire est vivant et couvre tous les genres bien qu’il soit de plus en plus marginalisé dans les médias, l’enseignement et Internet.
Ce survol de près de 700 pages bien tassées, agrémenté de photographies des principales figures qui marquent chacune des époques, permet au lecteur de franchir les siècles sans s’égarer, de vivre les soubresauts qui mènent à une écriture originale et typique, à l’élaboration d’une pensée marquée par des hésitations, des blocages, des peurs et les diktats de l’Église.
Cette oeuvre, à la fois littéraire, sociologique et politique, est un pur bonheur qui ne se dément jamais. Oui, la littérature n’est jamais gratuite et désincarnée même si certaines oeuvres peuvent sembler « un regard et un jeu dans l’espace » pour faire un clin d’œil à Saint-Denys Garneau. Le travail de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge devient le roman de l’écrit au Québec.

« Histoire de la littérature québécoise », de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.