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vendredi 12 décembre 2003

Le vent de l’imaginaire emporte le lecteur

Danielle Dussault, dans une suite de quatorze récits, nous pousse dans un monde de transparences, de passages et de dérives. Le vent emporte la coiffe de la mariée en sortant de l’église et la jeune femme s’élance, abandonnant invités et mari sur le parvis. Le vent, peut-être son seul amant, son seul mari, l’entraîne. Et nous voilà dans un monde où la lumière, l’air et l’eau attirent les êtres et les volent au réel. Les frontières s’effritent, les limites s’évanouissent, le temps s’ouvre. Pourquoi ne pas s’abandonner aux apparences avec la petite Alice, pourquoi ne pas suivre ses obsessions et ses chimères. Il suffit de dire oui aux sourires du vent, de colorer le rêve, de ne jamais le bouder, de jouer à Narcisse qui s’éprend de son image.
«Elle vit le miroitement de son visage dans l’eau, un visage de femme un peu triste en dépit pourtant du sourire qui avait une apparence d’éternité. À travers le mirage, elle reconnut une quantité de personnes. Le mirage retenait des voix assourdies, chacune tentant de franchir la frontière. L’eau avait l’apparence d’un mur lisse.» ( p.50)
Le monde se transforme à chaque regard, à chaque toucher. Le vent devient passeur et pousse la femme dans le monde de ses fantasmes ou de ses obsessions créatrices. Nous sommes au cœur du conte, dans une forêt ou près d’un lac avec des enfants qui forgent des rêves. Attention au petit vent chaud de la déraison qui éventre la maison. L’esprit s’échappe. Les frontières deviennent liquides. Il n’y a plus de déroulement logique ou linéaire. La narratrice bondit dans sa mémoire, éventre le temps, le bouscule et le rattrape. Est-ce folie? C’est peut-être juste la vie… C’est peut-être juste une quête d’absolue et de certitudes.

Écriture

Une belle écriture faite de petites touches qui donnent de grands tableaux impressionnistes. L’auteure sait nous communiquer l’ivresse, le plaisir de braver tous les interdits, crée de grands remous qui soulèvent et bousculent. Il suffit de renoncer à la logique, de croire que tout se peut quand on tourne le dos à la lourdeur des jours et aux carcans du temps.
«Le vent léger, de nouveau, s’insinua, fit doucement valser le rideau. Cette présence, celle du vent, les consolait de toutes les afflictions qui assaillaient l’âme. C’est à travers la montée de l’amour que le cœur pouvait ainsi se guérir.» (p.59)
Danielle Dussault décrit bien ces univers feutrés et irréels où toutes les dimensions et les contraintes s’évanouissent, où le corps perd de sa lourdeur et repousse ses contours. Il y a le vent dans la tête, il y a le vent qui étourdit les êtres et les choses. C’est la faute du grand meneur des dérives et des retrouvailles. Tous les éléments vivent et s’imposent. Tout comme si on basculait dans un tableau de Claude Monet pour se moquer du temps et de l’espace.
Danielle Dussault va derrière, au-delà et elle le fait très bien. Des récits étranges et fascinants.

 «L’imaginaire de l’eau» de Danielle Dussault Québec est paru chez L’instant même.

Luc LaRochelle abandonne son lecteur

Il faut s’attarder à l’illustration de la page couverture de «Amours et autres détours» de Luc LaRochelle. Une femme nue, sur un lit, sexe en évidence s’offre au regard d’un jeune garçon. Le tout baigne dans une lumière rouge, crue. Un tableau d’Eric Fischl intitulé «Bad boy» devient l’affiche des récits de Luc LaRochelle. Un peu racoleur cette présentation qui ne correspond guère à l’ouvrage. Le «bad boy», je ne l’ai pas retrouvé dans cet ouvrage.Bien sûr, il est question de séduction, de ruptures et de fuites qui parsèment la vie. L’auteur s’attarde aux effleurements, aux regards qui marquent les contacts entre les hommes et les femmes, à cette pulsion toujours là et qui s’évanouit trop rapidement. Il y a des rencontres, des moments où il est possible de changer sa vie. Il suffit de dire oui.Malheureusement, LaRochelle esquisse sans jamais appuyer ou décrire ce qui constitue ces instants fugaces. Il ne restera que des petites blessures à peine perceptibles. Les rencontres sont toujours éphémères, de folles étincelles qui ne provoquent jamais les grandes flambées. LaRochelle nous laisse plus souvent qu’autrement dans les «détours de l’amour» quand on sent que tout pourrait basculer.
Abandon

Je me suis senti négligé et j’ai dû inventer des liens, tresser des nœuds et reconstituer les drames. Parfois, un contact avec une personne un peu étrange, comme ce voisin qui achetait des livres et en arrachait toutes les pages, a retenu mon attention. L’homme reliait des feuilles blanches à l’intérieur des couvertures. Une entreprise folle, obsessionnelle. Enfin je me suis dit, il va surgir quelque chose d’original et nous allons sortir de la banalité. J’ai déchanté rapidement. LaRochelle est déjà loin.
Des occasions ratées, il y en a des dizaines dans ces récits. La mort a beau frapper sans prévenir, rien n’y fait. L’écrivain reste obstinément l’observateur qui ne se compromet jamais.
«Quand je t’ai rencontré, je t’ai dit que je préférais le quart de nuit. Les souffrances endormies par les calmants, les confidences de la dernière nuit, qui ne sont adressées à personne. Puisqu’il n’y a ni parents ni amis. Pas de repas non plus. Je peux effectuer ma tournée sans être interrompue. J’aime le silence sur l’étage. La lumière tamisée. Et puis le matin, je quitte avant que les patients meurent.» (p.63)
«Je quitte avant que les patients ne meurent »… C’est bien là le problème de cet ouvrage et de cette écriture. Le narrateur n’est jamais présent ou agissant quand les vrais choses arrivent. Le lecteur est abandonné dans un monde anesthésié. Sommes-nous juste des corps qui se rencontrent, des désirs qui s’amenuisent et disparaissent? Sommes-nous condamnés au regret et à la nostalgie? Luc LaRochelle ne répond pas, on s’en doute.
La langue est efficace, sobre, bien contrôlée mais cette manière de faire défiler les hommes et les femmes a fini par m’engourdir. Si c’était là l’intention, l’auteur a parfaitement réussi.

«Amours et autres détours» de Luc LaRochelle est paru aux Éditions Triptyque.

vendredi 15 août 2003

La magie de l’enfance ne marche pas toujours


Un prénom: Caramellia. Une valise ouverte en bas de page frontispice. Des objets tout au fond sans pouvoir deviner de quoi il s’agit. Un coffre aux trésors, des secrets profanés… Assez pour piquer la curiosité.
Des pages doubles, pliées, des photos qui ne se laissent pas apprivoiser au premier regard. Des objets minuscules semblent dériver sur de grandes pages. Il faut insister avant de rattacher cette matière à une certaine réalité. Des pierres, des cubes, une tête de poupée et d’autres formes imprécises. Des jouets qui évoquent l’enfance. La place de ces choses dans l’espace blanc de la page crée une tension.
«D’abord il y a (il y eut) Caramellia, ensuite Émile, puis viennent (vinrent) Lorie-Roche, Albertti, Catherine II, Eurydice Fauve et enfin JeAnne. Sept personnages en trois pages chacun qui forment un texte poétique en prose. Sept tableautins en mots, presque photographiques par leurs flux et leurs silences lumineux, par leur cadrage et leur instance pour fixer à jamais l’éphémère d’un visage nu ou d’un objet.»
Ève Cadieux explique sa fascination de l’enfance qui permet d’inventer des univers, de les triturer, les transformer par des expressions, des dessins et aussi des rêves pleins de peur et de terreurs. Une quête de mémoire également. La nostalgie de l’adulte devant le monde perdu de son enfance.

Magie verbale


Ève Cadieux brosse des miniatures, se laisse porter par les mots qui bousculent les images et provoquent l’arrivée de mondes fragiles. À la manière des surréalistes qui ont favorisé les associations les plus étranges.
«Lorie est construite de gemmes qui luisent sous quelques lumières. Son cœur étouffe d’être le seul de chair, serré, couvé sauf à l’endroit où une infime pierre de naissance l’a percé. Organe tendre comme un poussin déjà fatigué de frapper une coquille immuable. Le douzième œuf clos, au panier, se meurt.»
Et encore des images.
«Elle enterre. Elle chatouille d’un biscuit sablé, sous son ample linceul déformant, sa poitrine, à peine femme.»
La recherche se perd dans un magma verbal incontrôlé. Peut-être que Francis Ponge ou Tristan Tzara ont épuisé cette quête de nouveaux horizons. Il faut plus que l’évocation ou les abstractions verbales pour nous emporter. La métamorphose souhaitée par Ève Cadieux n’arrive pas.

«Caramellia» d’Ève Cadieux est paru aux Éditions J’ai Vu.

jeudi 14 août 2003

Un moment de réflexion dans la bousculade

Malgré tout la vie, malgré tout l’écriture, malgré tout l’existence pourrait-on dire du livre de Robert G. Girardin. Un texte qui cumule à la fois de très courtes histoires et des aphorismes. Le genre d'écrit à ne pas lire d’une traite. Il faut le fréquenter longuement, traîner un bon bout de temps sur ces courts récits, fouiller, relire pour en apprécier la saveur et tous les mots.
Girardin touche à tout ce qui fait la vie d’un homme qui voyage et qui prétend tirer des leçons des agissements de ses contemporains. Parce que cet écrivain se veut moralisateur dans un monde sans morale, se veut réflexif et signifiant dans un monde qui se perd de plus en plus dans le virtuel et le jetable.
«Un jour, je suis né et je ne me le rappelle pas. Un autre jour, je vais mourir et je ne me le rappellerai pas non plus.» ( p.90)
Bien sûr une entreprise du genre comporte des risques et Robert G. Girardin bascule parfois dans la facilité.
«La feuille de papier vaut bien la feuille d’aluminium.
Un café seul refroidit vite.» (p.144 )
«À Montréal, je me sens souvent comme un Acadien dans un ascenseur à Moncton.» (p.154)

Regard

Le regard que cet écrivain pose sur le monde révèle plus sa véritable nature que ce qu’il veut dénoncer ou montrer. On devine un concept de la liberté, un genre de vie qui se veut particulièrement proche des années d’errances où il fallait fuir toutes les formes de travail ou d’engagements. Girardin est demeuré fidèle aux années 70, ces années où l’on rêvait l’amour et la paix tout en préparant un monde particulièrement matérialiste  et dur.
Pourtant cet ouvrage est nécessaire dans une société où les pauses réflexives sont de moins en moins fréquentes. Ces phrases une fois retournées et scrutées à la loupe réussissent à nous faire sourire, à nous questionner ou nous font hausser les épaules tout simplement. C’est déjà beaucoup.
Girardin écrit le journal du quotidien, propose la réflexion au jour le jour. Il y est question de la vie, de la mort, du sens à donner à l’aventure contemporaine qui affole les plus audacieux, du travail, des guerres et de la violence. Le livre s’est construit au hasard des rencontres, d’une lecture, d’une sortie ou tout simplement d’un mot glané dans la rue. Le lecteur gardera ce qu’il veut.
«Petit à petit, le train s’éloigna, emportant ce moment de bonheur qu’il ne revivrait plus. L’écrivain quitta la gare et retourna à sa mélancolie. Le bonheur, comme l’orgasme, ne dure pas longtemps.» ( p.37)
Que dire devant les folies de la guerre, les affrontements et les tueries sinon répéter, retrouver des formules qui n’ont jamais été comprises. Robert G. Girardin ne s’en prive guère et c’est pour le meilleur et le pire.

«Malgré tout, histoires et aphorismes» de Robert G. Girardin est paru à La Pleine Lune.

Pas facile de briser les carcans de l’imaginaire

Le Groupe Ville-Marie, depuis quelques années, sous la houlette de Simone Saurens, publie un collectif à l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Plusieurs écrivains d’ici et d’ailleurs se laissent tenter par un thème. L’entreprise n’est guère nouvelle mais elle s’avère toujours intéressante pour jauger l’originalité et l’imaginaire des écrivains.
Quarante écrivaines et écrivains ont répondu à l’appel du métro. Une aventure un peu périlleuse, surtout quand on mélange poésie et prose. Qu’on le veuille ou non, le poème ne s’aborde pas comme la prose. Question de rythme, de souffle qui appartiennent en propre aux deux genres. Peut-être faut-il lire «Lignes de métro» en deux temps. S’attarder d’abord aux poèmes et après, plonger dans les nouvelles. On arrivera ainsi à mieux rendre justice aux prosateurs et aux poètes de ce collectif.
La présentation est faite par ordre alphabétique, ce qui n’est pas nécessairement la meilleure façon de procéder. On va de texte en texte, d’un genre à l’autre sans force directrice. Les écarts sont énormes.
Cette lecture révèle surtout comment il est difficile pour les écrivaines et les écrivains de s’arracher aux clichés. Quelques-uns arrivent à se démarquer et à bricoler un texte original mais ils sont rares. Mentionnons François Barcelo, Lili Gulliver, Michel Desautels, surtout pour la fin de sa nouvelle.

Lieux communs

Les lieux communs se bousculent tout au long de ces quarante rames de métro qui vont en cahotant un peu beaucoup. Étouffement, enfermement, promiscuité, reflets dans les vitres de la rame, bousculades, peur de l’autre et inévitablement, la fin de tout, le suicide. Quelques-uns aussi ne peuvent résister à la tentation d’énumérer les stations en faisant allusion au chemin de la croix ou pour jeter un regard derrière l’épaule. Aline Apostolska, Rober Racine et François Vignes.
Le souterrain aussi évoque les profondeurs de l’inconscient et permet de révéler certains secrets. Stanley Péan, Naïm Kattan et Philippe Haeck. Ce sont les plus intéressants.
On peut citer Danielle Fournier pour les deux derniers vers de son poème.
«Personne pourtant ne t’accompagne
Quand tu t’assois à côté de ton ombre.» (p. 73)
Recueil inégal et qui manque un peu de tonus. Une dizaine de textes se distinguent tout au plus sur la quarantaine. C’est un peu mince, surtout avec les grands noms qui signent des textes.

«Lignes de métro», collectif sous la direction de Danielle Fournier et Simone Sauren est paru à L'Hexagone-VLB éditeur.

Jacques Michaud se contente des anecdotes

«Sakka» désigne l’horizon en inuktitut selon l’auteur. Jacques Michaud nous entraîne dans sa première époque, nous pousse vers l’âge adolescent, revient, repart, passe d’un temps à l’autre et finit par nous étourdir.
 Pourtant, l’enfance a été singulière. Elle a été celle des gens de la campagne qui ont connu l’école du rang, le plaisir d’avoir la forêt à portée de la main en Abitibi (pourquoi écrire Abbittibbi), d’avoir des frères et des sœurs pour apprivoiser le monde et ses turpitudes.

Tout au long de cette lecture on cherche l’intention, la direction et le but de l’auteur. Où veut en venir Jacques Michaud avec cette quinzaine de récits qui voltigent ici et là. J’ai dû me résoudre à l’anecdotique. Ce qui aurait pu s’avérer un agréable récit, devient un fatras de souvenirs mal ficelé.
«Son vaisseau débordait, il s’était même permis de faire un comble. Le jeu d’adresse n’était cependant pas terminé. Il lui fallait maintenant sortir de sa cache. Alors qu’il cherchait un appui solide où déposer le poids de sa jambe, un sifflement aigu fendit l’air, frappa le fond de l’horizon pour rebondir tout aussitôt. Marie-Claire, la cadette des sœurs, cria à s’en déchirer la voix. Jéal prit peur, perdit pied et, du même coup, la récolte de fruits qu’il tenait à la main. Le sifflement se répercuta à nouveau. Cette fois, il en reconnut la nature: le bruit de l’explosion de balles de calibre .22 retentissait au-dessus de sa tête.» (p.56)
Et ce n’est pas une fin pathétique qui sauve l’entreprise. Quand on nage dans l’enfance, il faut la manière. Le style, le rythme, la couleur et l’originalité manquent totalement à Jacques Michaud.
«Le souffle court et le cœur tremblotant, ils découvrirent la blancheur laiteuse de deux hémisphères qu’une ligne sombre et profonde réunit pour en faire tout à coup la face cachée de la lune.» (p.23)
Tant de mots pour expliquer que les deux petits garçons viennent de baisser leurs culottes sous la galerie. Ils découvrent leurs anatomies. Le lecteur ne peut qu’abdiquer devant une écriture qui a trop bouffé d’hormones.

«Sakka» de Jacques Michaud est édité aux Éditions Vents d’Ouest.