Francine Chicoine s’émerveille des oiseaux qui habitent le jardin, de la lumière qui retient le souffle au matin, des écureuils tapageurs, des mouches envahissantes et de cet univers qui vit près de soi. Un regard amoureux qui tient du haïku que fréquente cette écrivaine pour cerner de purs moments de contemplation et de méditation.
«Du rampant ou du grimpant, de la fleur ou de la feuille, du brin d’herbe ou du tronc d’arbre, du conifère ou du feuillu, on ne sait pas ce qui est le plus odoriférant. Ça vient de partout, de l’air et du sol, de l’eau et du sous-bois, ça vient d’en haut et ça descend, ça vient d’en bas et ça se répand, c’est tout mêlé, de cime en sol, d’humus en canopée, un parfum suave, capiteux qui flotte dans le pressoir d’odeurs de l’après-pluie. Un torrent d’odeurs dans un nez qui tantôt vaquait à l’air du mois d’août et qui maintenant l’évoque.» (p.72)
Printemps, été, automne, hiver se bousculent avec leurs enchantements. Tout naturellement, je me suis laissé glisser vers le printemps, ce monde qui se liquéfie et se régénère à une vitesse étourdissante en terre du Québec.
Le verdict
Et voilà que nous basculons dans le «Livre dernier». Un coup de massue! Le verdict résonne comme un glas. Aucune espérance de survie. La fidèle observatrice des jours devient la cible de ce tireur fou qu’est le cancer. Événement clinique, statistiques au ministère de la Santé et des Services sociaux, mais drame chez cette femme qui posait à peine la main sur la retraite et se promettait d’explorer les mots dans toutes leurs coutures. L’avenir s’avale et les horizons s’effacent.
«J’ai mal à mon territoire intérieur envahi par l’angoisse, là où j’essaie de me concentrer pour continuer d’exister, mais là où se retrouve la brèche. J’ai mal à mon absence d’avenir. J’ai mal à ma lucidité.» (p.119)
Les mots battent de l’aile devant la mort possible, les mots fuient. Comment oublier la douleur du corps qui emporte tout? La narratrice n’est plus le regard amoureux qui fait exister les choses. Elle s’efface, avalée par la maladie, ce printemps qui la saigne. La fin du monde se profile. Reste les gestes ultimes, la liquidation de tout ce qui faisait l’existence, la résignation. La vie est d’une fragilité qui fait mal.
«Il y a des mêlures dans ma tête, je ne sais plus où se trouve la réalité. Partout, sans doute. Je n’ai plus tellement envie de parler. N’en ai plus besoin, je pense. Est-il possible que j’en sois rendue plus loin que l’expression ? On dirait que j’habite le silence… et que le silence est plein». (p.140)
Les objets alors murmurent et témoignent. Ils ont tout vu. Ils savent depuis toujours. L’oreiller, un collier, des lunettes et les mésanges portent l’histoire de cette femme, comme la terre, dans ses strates, recèle la marche de l’humanité. Cet animisme permet de connaître cette femme secrète. L’observatrice, l’amoureuse du quotidien devient un sujet, un objet à la limite, des vibrations dans les à-coups du temps.
Surtout, cette amoureuse de la vie sait être juste, touchante et émouvante quand elle décrit ces moments anodins et essentiels, oublie son côté moralisateur. Des textes aussi qui auraient pu être poussés un peu plus loin.
«Carnets du minuscule» de Francine Chicoine est paru aux Éditions David.
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