jeudi 14 octobre 2021

MAJOR OU LA TRAVERSÉE DU PAYS DU QUÉBEC

ANDRÉ MAJOR A VÉCU les hauts et les bas de la Révolution tranquille au Québec à partir des années 60 jusqu’à maintenant. Il a été aux premières loges pendant la poussée du nationalisme et l’espoir d’indépendance nationale, la formation du Parti québécois qui allait incarner l’idée de la souveraineté politique et géographique, militant pour le oui lors du premier référendum où les Québécois ont eu la chance de fonder le pays réel et imaginé. Il a vu aussi se développer un système de santé et d’éducation modernes avec des mesures et des lois qui allaient faire du Québec une société originale, une nation qui refuse encore et toujours de se doter d’un territoire. Témoin particulier de l’essor et de la diversification de notre littérature, de la naissance de vedettes qui ont franchi les frontières, surtout au théâtre avec Michel Tremblay, Larry Tremblay et Michel Marc Bouchard, fondateur de la revue Parti Pris, de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec, réalisateur à Radio-Canada, chroniqueur littéraire, écrivain encensé, il a été une figure marquante, ne se laissant embrigader par aucune idéologie, allant ici et là comme un explorateur. 


Quel livre précieux que ces entretiens menés par Michel Biron et François Dumont simplement intitulé André Major! L’écrivain consent à revenir sur son enfance, sa famille, son milieu, à parler de son père qui a été frère enseignant pendant une décennie avant d’épouser sa mère. Le jeune homme s’est retrouvé rapidement dans les collèges de l’époque où on étudiait pour devenir religieux ou prêtre. Le cours classique faisait une place de choix à ceux qui avaient la vocation, surtout pour les moins nantis. Les garçons et encore plus les filles n’avaient pas les options de maintenant. Dans cet univers balisé et traditionnel, il y a eu des esprits étonnamment libres comme le frère Marie-Victorin qui s’est imposé dans un domaine peu valorisé (celui de la science) d’une manière exceptionnelle.

 

Chacun des entretiens correspond à une période relativement précise : la jeunesse et les premiers écrits dans l’effervescence des années 1960; la carrière de réalisateur à Radio-Canada et la maturité de l’œuvre romanesque; la retraite et le développement du versant plus intimiste de l’écriture. (p.11)

 

Le rêve de voir un pays se former, la terrible déception de 1980 avec l’échec du référendum et la morosité des années 2000, surtout après avoir flirté avec la victoire en 1995 lors de la seconde consultation, restent des événements troublants.

André Major a été pendant toutes ces années au cœur d’une belle effervescence culturelle et politique. Se méfiant de tous les «ismes», il a fréquenté les ténors de la gauche comme de la droite. Il s’est surtout démarqué en s’intéressant à des auteurs d’avant la Révolution tranquille. La modernité a souvent le terrible défaut de ne pas avoir de mémoire.

Il dialogue avec Félix-Antoine Savard, Gérard Bessette, Jacques Ferron et l’énigmatique Réjean Ducharme qui a incarné le Québec à sa manière. Figure de premier plan, il restera l’homme de l’ombre, refusant de porter le chapeau du romancier célèbre et de se prêter aux contorsions qu’aiment les médias. 

 

Passant outre aux divisions idéologiques (entre la gauche et la droite, entre les indépendantistes et les fédéralistes), il fréquente ainsi des intellectuels de tous les milieux et de toutes les générations. Il collabore à presque toutes les revues culturelles importantes de l’époque, de Liberté à Maintenanten passant par L’Action nationale et les Écrits du Canada français. (p.7)

 

Major a eu la chance d’avoir un paternel enseignant et instruit. Tout le contraire de ma famille. Nous sommes à peu près du même âge. Mon père avait été très peu assidu à la petite école de rang et peinait à reconnaître quelques mots dans le journal. Et ma mère écrivait au son. Quand elle m’envoyait des lettres, lors de mon exil à Montréal entre 1965 et 1973 (il n’était pas question d’utiliser le téléphone, c’était beaucoup trop dispendieux), je devais lire ses missives à voix haute pour comprendre. C’étaient de véritables chroniques des grands et petits événements qui touchaient ma famille, les oncles, les tantes et tout le village de La Doré par ricochet. Je dois tenir d’elle ma passion pour les histoires et les contes. 

 

CHEMINEMENT

 


Études classiques pour le jeune homme, avec un horizon de vie religieuse. Frère enseignant comme son père ou encore prêtre pour ouvrir la porte du ciel à ses parents, le grand espoir de sa mère. Laisser croire qu’on avait la vocation était la seule façon de poursuivre des études et d’obtenir de l’aide financière quand on n’avait pas l’argent pour payer les coûts du pensionnat. 

 

Ma demande de bourse est acceptée et je me retrouve au collège Marie-Médiatrice, où mon ami Gilles Archambault et le regretté André Belleau ont étudié avant de faire leur philo au collège Sainte-Marie. C’était un collège pour vocations tardives, mais on en accueillait aussi de très précoces… (p.21)

 

Le jeune Major aura très rapidement un penchant pour l’écriture, participant aux journaux étudiants, ce qui lui attirera bien des ennuis. Un peu rebelle et tête dure, contrariant même, il avait du mal à composer avec l’orthodoxie qui ne permettait pas d’écarts. 

C’est le début du parcours fabuleux d’un homme qui se forge une pensée par la lecture. Il sera un lecteur boulimique et un autodidacte qui préfère les chemins oubliés, ne se laissant jamais embrigader. Ce qui n’était pas facile dans les années 80 où l’on a eu tendance à imposer des idées dites de gauche, à combattre farouchement tout ce qui venait de notre passé pour tout réinventer. 

J’ai connu plusieurs de ces militants pendant mes années comme président d’un syndicat de journalistes à la CSN. Nous avons dû subir, lors de nos instances nationales et régionales, ces marxistes en goguette qui rêvaient du grand soir en déstabilisant «les camarades» pour provoquer la révolution. Des esprits qui étaient toujours prêts à brandir les pancartes et qui réussissaient souvent à démotiver les troupes. C’était pathétique de les voir faire la file derrière les micros pour intervenir sur tout et étirer les débats. Que nous avons été patients avec ces obsédés de la rhétorique et de «l’opposition systémique» qui ont migré au Parti québécois. 

 

LECTURE

 

Major s’est formé par la lecture des écrivains du monde entier. Les grands prosateurs russes, américains et français, tout comme ceux des pays nordiques. L’impression que nous avons suivi les mêmes sentiers et abordé les mêmes livres. Je ne suis pas demeuré bien longtemps sur les bancs de l’université. Je voulais la «liberté des savanes» et je l’ai trouvé dans les romans et la poésie. Faulkner, Steinbeck, Hemingway, Tolstoï, Dostoievsky, Giono, Gogol, Bosco, Malaparte, Hamsun, Garcia-Marquez et combien d’autres. Tout Victor Hugo et Proust, sans compter Zola, Artaud, Mallarmé et Tristan Tzara. Je cherchais à tout lire et ce fut pareil avec les écrivains du Québec.

Rapidement, j’ai voulu connaître les figures de notre passé lointain et récent. Comment ignorer Rodolphe Girard, Louis Hémon, Jean-Charles Harvey, Germaine Guèvremont, Gabrielle Roy, Roger Lemelin, Gérard Bessette, André Langevin, Bertrand Vac, Gaston Miron, Yves Préfontaine et Claire France? La lecture est une drogue dure qui vous pousse sur les chemins les moins fréquentés. Avec André Major, j’ai appris à me méfier des vedettes de l’heure tout en suivant Marie-Claire Blais, Victor-Lévy Beaulieu, Jacques Ferron, Roch Carrier et Gilles Archambault.

Je me suis amusé quand Major s’attarde à Gilbert Langevin, son premier éditeur chez Atys. Un poète que j’ai bien connu et qui m’a ouvert les portes des Éditions du Jour où Major œuvrait déjà avec Victor-Lévy Beaulieu. Langevin parlait beaucoup et écoutait si peu. Il me fascinait. J’avais la fâcheuse habitude de devenir invisible dans mes contacts avec les autres. La timidité du campagnard devant les citadins.

 

L’ÉCRIVAIN

 

Ce qui importe surtout, c’est le parcours d’écrivain et de passeur à Radio-Canada où l’écrivain réalisera quantité d’émissions qui ont mis en évidence les prosateurs du Québec et d’ailleurs. Des rencontres marquantes, des réflexions et des entretiens inoubliables, ce qui ne se fait plus à Radio-Canada où il faut ponctuer ses phrases de rires. Il a assisté à la mort programmée de la culture à la radio d’État et l’arrivée du règne de l’insignifiance. 

Son œuvre, «ses déserteurs» m’ont accompagné pendant une grande partie de ma vie. J’y suis revenu souvent et l’ai lu et relu pour savourer sa prose précise et limpide. Un ami, un frère que j’ai si peu connu malgré quelques rencontres. 

Son renoncement au roman et sa passion pour la forme du journal et du carnet m’ont fasciné. Ces formes littéraires je les pratique avec bonheur et j’ai failli abandonner le genre romanesque à partir de 1987, après des critiques dévastatrices. J’aurai été plus de vingt ans à publier des récits et des carnets avant de revenir au roman avec Le voyage d’Ulysse, une épopée qui m’a valu le prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec. 

Véritable immersion dans le monde littéraire, ces entretiens nous permettent de côtoyer des figures dominantes et incontournables. C’est une libération nationale et intellectuelle que propose Major en s’attardant à ses amours livresques et aux écrivains qu’il a fréquentés et admirés tels Pierre Vadeboncoeur, Jacques Ferron, Félix-Antoine Savard et bien d’autres. Les mystificateurs aussi comme Patrick Straram. 

Fabuleux voyage dans le temps, plongée dans une époque unique où nous avons eu la naïveté de croire que nous pouvions tout inventer en ratant l’essentiel, soit de devenir un pays dans toutes ses dimensions. À lire absolument pour ceux et celles qui s’intéressent à la littérature, mais surtout à la marche des idées dans un Québec qui a chuté deux fois sur le chemin de l’indépendance et qui, à voir aller nos politiciens et certains de nos créateurs, ne semble guère vouloir se redresser. Beaucoup se laissent avaler par les mythes étasunien et multiculturaliste qui nous éloignent de plus en plus de notre langue éviscérée sur la place publique et particulièrement dans les médias.

 

BIRON MICHEL ET FRANÇOIS DUMONTAndré Major, Éditions du BORÉAL, Montréal, 2021, 27,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/andre-major-2793.html


 

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