J’AI HÉSITÉ AVANT de
me décider à écrire sur Le faux pas de
l’actrice dans sa traîne, la dernière parution de l'écrivain Hervé Bouchard. Tout au
long de ce « dithyrambe beublique » comme l’écrit Victor-Lévy Beaulieu, j’ai eu
l’impression de m’avancer dans une jungle où je risquais de me perdre de corps
et d’esprit. L’adaptation pour la scène de Parents
et amis sont invités à y assister est faite pour être dit et entendu. J’ai
même eu le bonheur d’en voir une adaptation sur scène faite par Guylaine Rivard
et le Théâtre Cri. Une expérience
étonnante avec la mère figée dans sa robe en bois, la verbosité hallucinante et
hantée de cet auteur. La manière de dire les choses par Bouchard étourdit par l’ampleur du
propos et curieusement, par sa simplicité.
Hervé Bouchard est
toujours demeuré très près du théâtre dans ses romans. Comme s’il se faufilait
entre la fiction que l’on connaît et cette représentation qui repose sur un
chassé-croisé de répliques. J’aime assez lire un texte destiné à la scène parce
que ça me permet de créer un décor, d’imaginer un monde et de faire vivre des
personnages. Comme si je pouvais enfin devenir un agissant dans une intrigue ou un drame.
J’ai eu aussi, l’occasion
de voir l’auteur habiter Numéro six dans
son corps et sa langue. Parce qu’un texte d’Hervé Bouchard ne se laisse pas
incarner comme ça. Le comédien risque souvent d’être emporté par le tsunami.
Cette suite scandée, à la manière
d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme
théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des
trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge,
J’écrivais ce commentaire à la parution de Parents et amis sont invités à y assister
en 2007. Rien n’a changé et tout nous pousse encore
une fois dans ce feu d’artifice d’éblouissement et de fureur. Voilà le monde d’Hervé
Bouchard.
Qui va oser diriger
la circulation de cette foule ? L’aventure pourrait s’avérer fort hasardeuse
par sa complexité, le nombre effarant d’intervenants qui marquent le rythme,
relance sans cesse la vague déferlante du verbe de l’actrice. Véritable nid de
fourmis, je me suis souvent demandé où l’auteur allait, particulièrement dans Chant premier des indications.
Et j’ai pensé à
Valère Novarina, cet homme de théâtre franco-suisse qui a beaucoup marqué
l’auteur de Mailloux, citoyen de
Jonquière.
Je quitte ma langue, je passe aux actes, je
chante tout, j’émets sans cesse des figures humaines, je dessine le temps, je chante
en silence, je danse sans bouger, je ne sais pas où je vais, mais j’y vais très
méthodiquement, très calmement…
Cet extrait de Pendant la matière peut s’appliquer à l’entreprise
du Saguenéen.
Hervé Bouchard
raconte souvent une histoire simple, un peu toujours la même. Une famille
d’Arvida vit dans une maison trop petite où chacun devient une menace pour le
corps et l’esprit. Le père est mort et les enfants sont abandonnés à eux-mêmes
devant une mère avalée par la douleur et qui ne sait que la chanter dans une
sorte de Stabat Mater.
L’écrivain
travaille à la manière des artistes contemporains qui prennent un sujet et
l’examinent sous tous les angles. L’œuvre d’art devient alors un discours et la
réalisation concrète perd de son importance.
THÉÂTRE
Pour que la magie
opère, il faut bien des intervenants au théâtre. Le directeur, les administrateurs,
la direction artistique, l’appariteur, la maquilleuse, l’accessoiriste, le
concepteur des costumes et des décors, le vendeur de billets, le concierge, le spectateur
et l’auteur, tous ceux qui participent à cette fête de la parole et de la représentation.
Tous préparent ce moment où une comédienne devient une autre dans ses
déguisements et ses maquillages et existe
devant des centaines de regards. Le comédien dans son corps et sa voix devient
un autre. On y croit ou pas. Tout le défi est là.
Forcer l’acteur à
se cacher en parlant, jusqu’à l’invisibilité.
L’acteur est
invisible, je peux être assuré qu’il me voit, moi, qui suis là venu le voir et
l’entendre.
Quand cela est,
on peut commencer.
On peut conter
l’histoire.
Le texte que les
acteurs travaillent et apprennent par cœur et répètent avant le début des
représentations raconte l’histoire de ceux qui viendront l’entendre. (p.25)
Le faux pas de l’actrice dans sa traîne permet à tout ce monde, avec l’auteur qui
multiplie les recommandations scéniques, d’intervenir. Ce qui fait que nous
avons plus d’une centaine de voix qui tournent autour de la veuve prisonnière de
sa robe en bois.
On va jusqu’à s’attarder
aux instruments de contention au cours des siècles. Cages, robes, engins où les
bien-pensants tentaient par toutes les façons de nier le corps des femmes et de
les punir dans leur existence. J’ai pensé à La
Corriveau exposée aux yeux des passants pour l’édification des foules dans une
cage qui ressemble à un attelage destiné à maîtriser une bête sauvage.
L’entreprise s’avère
singulièrement complexe avec ces lanceurs
de questions qui tournent autour de l’actrice et son neveu, relancent le
témoignage à la manière d’un choeur.
Tout cela après
les recommandations sur le jeu, la manière de dire un texte par une actrice qui
joue et ne joue pas, étant une vraie actrice dans la vie et pas. Autrement dit,
arriver à créer la vérité dans la plus terrible illusion du langage qui n’est
toujours qu’une représentation du réel.
Les acteurs
appartiennent à deux camps.
Dans l’un camp se
trouvent ceux qui souhaitent la mort de l’actrice.
Dans l’autre
l’actrice dans son camp seule. (p.11)
AVENTURE
Je pourrais m’attarder
aux références ou aux allusions à Beckett par exemple, le couple étrange d’En attendant Godot que l’on retrouve ici dans l’actrice et son neveu, « les deux en espèce de couple de comédie ». Il y
a aussi toute la symbolique de la robe en bois. Armure, protection, tour
dressée pour repousser les attaques ennemies. Et cette manière de casser la
phrase comme dans les grandes stances de Dante ou d’Homère qui nous emportent
sur la mer du dire-dire pour emprunter
une expression à Daniel Danis. Je parle donc j’existe peut répéter Hervé
Bouchard. Que la parole soit et donne naissance à l’univers. Le verbe s’est fait chair, écrit-on
encore dans la Bible.
Je ne suis même
pas avec moi.
J’ai trop de
peurs à nommer
J’ai trop de
peurs à nommer, ça ne s’arrêtera pas.
Et chaque fois
que je dis quelque chose, je parle.
Et je parle, et
chaque fois je dis quelque chose et ça me fait une peur de plus et je vois et
ça me fait peur.
C’est comme un
don qu’on me fait.
Dans le noir où
il y a tout à craindre. (p.105)
Un texte qui
risque d’égarer bien des lecteurs qui ne sont pas familiers avec l’univers de
cet écrivain qui échappe aux normes et qui, je l’avoue, m’a un peu étourdi.
L’impression de me retrouver au cœur d’un accélérateur de particules.
L’écrivain joue le
tout pour le tout dans Le faux pas de
l’actrice dans sa traîne. Une éruption volcanique où les mots deviennent la
fin et le commencement d’un univers toujours en expansion. Une entreprise fascinante
qui s’adresse à des téméraires qui n’hésitent pas à vivre une expérience
langagière. N’est-ce pas le but du théâtre ? Je rêve pourtant de me retrouver
dans une salle et de me laisser emporter par cette dérive, la magie d’un texte
qui vogue comme l’arche de Noé sur une mer démontée.
LE FAUX PAS DE L'ACTRICE DANS SA TRAÎNE d’Hervé Bouchard est
paru au Quartanier, 208 pages, 18,95 $.
PROCHAINE CHRONIQUE : J’ÉCRIS SUR VOS CENDRES
de MARITÉ
VILLENEUVE publié chez FIDES.
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