JE NE REGARDE PLUS ma garde-robe de la même façon depuis que
j’ai lu 73 armoire aux costumes de Charles Sagalane. Le poète m’a fait
comprendre que les vêtements ont une histoire, une origine et qu’ils ont marqué
plusieurs moments de ma vie. Plus, les habits ont beau couvrir le moi, ils ont
aussi un soi. Ce sont des artéfacts qui témoignent de ces instants qui font
l’histoire d’une vie humaine. Dans ce cinquième recueil, le poète s’attarde à
ses costumes comme il dit, ceux qui
l’ont accompagné pendant un temps avant de rendre l’âme ou de finir au fond
d’une valise, quand ce n’est pas dans une remise. Aborder le vêtement, c’est toucher
l’histoire du monde, les migrations, les explorations et bien des guerres. La
grande histoire du vêtement, mais aussi celle de l’individu et de ses proches.
Des tenues pour les grandes circonstances ou encore pour le quotidien. Il y a aussi
tous les uniformes qui marquent la fonction ou le rang social. Plus, les voyages
permettent de découvrir des vêtements peu familiers, des textures et des
couleurs qui étonnent.
L’idée peut
sembler étrange, mais elle est fort intéressante. Charles Sagalane a décidé de
faire un musée du moi, ou du soi qui passe par les costumes qui ont marqué sa
vie. Il a même eu l’audace de présenter une exposition à Alma où différents uniformes étaient exposés. Des bottes de
marche, un sarong rapporté de l’un de ses périples, des chemises et d’autres
vêtements pour aller en forêt ou sous la pluie. Tout cela avec la rigueur qu’on
lui connaît, sa façon de présenter le vêtement en s’inspirant des techniques
muséales.
Et plus on fouine
dans l’armoire de Sagalane, plus on trouve des directions à prendre. En fait,
il aurait pu rédiger une véritable encyclopédie du moi. « On est nés nus »
chante Damien Robitaille, mais, dès les premiers instants de sa vie, on nous
passe des vêtements. Et ces tenues marqueront les grands virages de la vie, les
déplacements, les aventures et les moments charnières.
Je pense aux couleurs
que l’on assigne aux garçons et aux filles... Et combien de fois j’ai pesté
contre les fameuses culottes courtes et les bas longs qui refoulaient même
quand nous avions la prétention de nous aventurer vers le monde adulte. C’était
notre tenue d’enfant. Personne n’y échappait.
Après, nous avons
eu droit au pantalon long, signe que nous étions en bonne voie de devenir des
hommes. Il y a eu l’incontournable blazer et le pantalon gris à l’École
secondaire de Saint-Félicien. Et comment échapper à la cravate ? Les filles aussi
avaient leur uniforme pour le couvent.
Ça fait sourire
maintenant, mais dans mon enfance, il était mal vu de voir une fille en
pantalon. Je me souviens d’un sermon du curé Gaudiose un dimanche. Il avait vu une
fille traverser le village sur sa bicyclette. Une apparition, la rondeur d’un
genou peut-être ou le début de la cuisse. La pauvre fille avait dû sentir les
feux de l’enfer et du confessionnal. Surtout qu’elle pensait bien faire en portant
sa jupe plissée.
PRÉSENTATION
Charles Sagalane a
retenu quelques vêtements importants, certains objets comme la machine à coudre
qui est indispensable à l’art de l’habillement. Il y a ce magnifique sarong qui
faisait partie de son exposition d’Alma, des couleurs chatoyantes et un tissu
bon pour les doigts.
J’ai réuni ces
pièces d’outre-moi. Dans une boutique de Tawang où on propose aux touristes des
drapeaux de prières et des chandelles, j’ai voulu me procurer l’une des robes
pourpres et piquantes, d’un seul morceau, qui patientaient en vitrine. « C’est
pour les bonzes, monsieur. » Mon insistance a fait qu’on m’a ouvert le
présentoir, confié ce cylindre rugueux, montré comment l’enfiler et le nouer
aux reins, avant de consentir à me le vendre. (p.39)
Le tout dans un
espace limité dans le temps pour ne pas s’égarer. Le chiffre 73 permet au poète
de rêver, de fantasmer, mais aussi de circonscrire son travail. Une année, un
numéro, une époque, des odeurs et des musiques.
Le dossard 73 de
Nadia Comanecci, l’athlète parfaite des Jeux olympiques de Montréal en 1976. Ou
encore les habits de personnages de la télévision qui ont séduit l’enfant. Des accoutrements
qui donnent une identité, collent à des héros. Sol et Franfreluche par exemple,
Spiderman et son uniforme. Certains ont tellement personnalisé leur déguisement
qu’il ne viendrait à l’idée de personne de les reprendre. Les habits des ordres
religieux, les uniformes militaires. Qui oserait s’afficher avec la tenue d’un
soldat nazi maintenant ?
FAMILLE
Des habits
personnels, mais aussi ceux de sa famille qu’il évoque, ceux que l’on réservait
pour le chalet ou la forêt. Les métiers des adultes sont souvent liés à un
uniforme particulier. Le médecin ne s’habille pas comme un éboueur. Et le
vêtement dans la littérature, dans certains textes, dans la poésie prend toute son
importance. Toutes les avenues s’ouvrent.
J’ai tout de suite
pensé aux voiles de Sheherazade ou encore celui qui efface le corps et le
visage. On en a fait un enjeu aux dernières élections fédérales. Comment ne pas
penser au fameux foulard de Zelda, la compagne de Scott Fitzgerald ? On
pourrait s’égarer en fouinant dans les coffres bombés ou les garde-robes oubliées.
Combien d’œuvres littéraires nous entraînent dans une penderie, un monde de
douceur et d’odeurs, de glissements et de désirs ? Et des moments surgissent,
des histoires de famille, d’hommes et de femmes disparus.
La mère de
l’extrapetit est catégorique, c’est grand-maman qui t’avait cousu ça. Quand tu
partais à Chambord, on te mettait quelques biscuits dedans, avec deux couches
et une bouteille de lait. Elle confirme que l’extrapetit ne s’en servait plus en
73. Il y aurait long à dire sur cet objet dont la confection a eu lieu au 173
De Quen. (p.43)
Voilà un recueil
un peu étrange qui permet de voyager dans l’univers de ce poète, de savoir où
il est allé dans ses exils, de comprendre sa fascination pour les textures, les
couleurs et aussi l’immense tendresse qui l’unit à son milieu et aux siens.
Ah ces bottes de
mille lieux qui ont porté l’écrivain sur les routes du monde et fait en sorte
qu’il mute dans sa façon de voir et de présenter les choses. Il y aurait bien à
dire encore sur ces vêtements que l’on passe une seule fois. La robe de mariée et
l’habit des noces. Je me souviens des dimanches et de ces vêtements pour la
messe. Nous devenions autres dans ces uniformes qui faisaient de nous des
enfants graves et sérieux. Des vêtements que nous devions enlever au retour
pour ne pas les abîmer dans nos jeux.
y a-t-il du beau
sans le vêtement ?
y-a-t-il du beau
au premier fil ?
du beau que
récolterait l’aiguille ?
Y a-t-il du beau
pour qu’on le porte ? (p.125)
Un art qui se perd
peut-être avec les usines où tout est formaté et fabriqué par des machines. La
conquête du monde par le fameux jeans d’origine américaine est un bel exemple
et a marqué toute une jeunesse et un certain esprit de contestation.
Charles Sagalane a
dû faire de nombreux choix, parce que comme il l’a dit lors du lancement de l’ouvrage
à Saguenay, ce projet aurait pu l’occuper toute la vie. Ce musée du moi reflète
une époque, des manières de voir, d’agir, de vivre ses loisirs et d’affronter
le quotidien, de rappeler des grands-parents, des oncles et des tantes. Le
vêtement est un témoin qui permet de tisser l’histoire.
Et des moments,
comme une broderie, un point recherché.
C’est un vêtement
ample que déploie le silence. On ne sait si c’est lui qui nous enfile ou si on
l’enfile. (p.25)
J’ai beaucoup aimé
cet ouvrage. Je ne m’attarde pas souvent à la poésie parce que je trouve que le
genre a perdu ses lettres de noblesse. Pourtant, il y eut une époque où j’étais
un lecteur impénitent de poésie. Faut pas oublier que je suis entré en
littérature avec L’octobre des Indiens,
un recueil de poèmes. Maintenant, le texte poétique témoigne d’une émotion. Un
éclair et puis un autre. Une pensée disparate et souvent hagarde. Plusieurs
oublient que la poésie est une déconstruction de la pensée et du langage qui
permet de s’avancer dans une autre dimension.
Charles Sagalane a
un regard, une démarche et explore le monde que nous percevons par nos sens, en
nous adaptant aux saisons ou en se déguisant de façon obligatoire pour exercer
un métier. Il m’a poussé dans des directions et des moments importants de ma
vie, des tournants même. Il fait prendre conscience de ces compagnons de route que l’on néglige souvent. L’armoire aux
costumes nous pousse dans la vie, celle d’une famille, d’une époque et des
moments qui font la grande histoire, celle que l’on veut emprisonner dans de
gros livres.
73
armoire aux costumes de CHARLES
SAGALANE est paru à LA PEUPLADE, 194 pages, 23,95 $.
PROCHAINE CHRONIQUE : Tam-Tam
de Pierre Gariépy publié
chez XYZ Éditeur.
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