C’EST INTÉRESSANT
de trouver un roman où les personnages arrivent de l’étranger et s’installent pour
découvrir nos façons de faire, nos grandes et petites manies. Je pense à Le bonheur a la queue glissante d’Albla
Farhoud et aux ouvrages de Daniel Castillo-Durante. Je pourrais m’attarder longuement
au travail de Sergio Kokis ou encore Catherine Mavrikakis. L’arrivant a une
façon de voir nos habitudes et nos comportements. Pour comprendre ce qu’il
ressent, il faut partir en voyage, s’installer dans un village ou un quartier
et tenter d’être avec les autres. Nous l’avons fait, ma compagne et moi, en
Provence et dans le Gers. Ce fut chaque fois une belle occasion d’avoir un
autre regard sur le quotidien et ces petites choses qui meublent les jours.
J’étais tellement convaincu que David Bouchet était Sénégalais que
je n’ai pas fait le lien, au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, entre
le roman et l’homme que j’ai croisé au stand des éditions La Peuplade.
Peut-être que le livre est tellement convaincant qu’on ne peut associer
l’auteur qu’à un grand Sénégalais qui sourit et porte le soleil en lui. David
Bouchet n’a rien d’un Noir. La Peuplade a la bonne idée de ne jamais mettre la
photo de l’auteur sur leurs livres. J’aime ça parce qu’il est possible alors d’imaginer
l’écrivain et de s’en faire une image. Je me souviens de ma surprise devant la
photo d’Henri Miller, la première fois. Je le voyais grand, noir avec une chevelure
abondante et l’allure de Clark Gable. Un écrivain projette une image de lui qui
ne correspond jamais à la réalité.
Le narrateur de Soleil est
un jeune Sénégalais d’une douzaine d’années. Il débarque à Montréal avec sa
famille. Les parents et les trois enfants découvrent la réalité d’un pays que
tous idéalisent et voient comme un paradis terrestre.
S’installer dans une nouvelle ville n’est jamais facile pourtant et
rien n’arrive en claquant des doigts. Il faut du temps avant de créer des habitudes,
trouver des repères et vivre comme tout le monde. Plus, le défi est immense quand
on est Noir, même quand on parle français. Les différences d’accents et les expressions
font en sorte qu’il est souvent difficile de se comprendre. Le pire qui guette le
migrant, c’est l’isolement, le repli sur soi. La famille veut s’intégrer aux
Québécois, découvrir leurs habitudes et leurs façons d’affronter les saisons.
Pas question de s’installer dans un ghetto.
Quand on est arrivés à l’aéroport international Pierre Elliot
Trudeau, la première chose qu’un Canadien nous a dit, un policier des
frontières, c’est : « Bienvenue dans votre nouveau pays. » On n’était pas
encore Canadiens, on était juste Sénégalais, mais ça faisait très plaisir
d’entendre ça, parce que c’est vrai, on venait pour longtemps, on avait
l’intention de s’installer profondément et de faire des racines ici, dans notre
nouveau pays. (p. 24)
Ils viennent d’un pays de soleil, de chaleur et de végétation
extravagante. Tout l’envers de ce Québec qui connaît un été torride et le
froid, la neige et le dénuement. Tout est une découverte pour les enfants,
source de stress et d’angoisse pour les parents qui savent leurs ressources
limitées.
Il faut chercher un travail, découvrir l’école et la garderie. Les problèmes
domestiques peuvent devenir des obstacles difficiles à franchir. Comment
trouver l’appartement qui convient à la famille ? Tout semble beau au
téléphone, mais tout change lors des rencontres. Du racisme ? Des préjugés surtout
et de la méfiance face à l’étranger.
Un premier appartement miteux d’abord, en attendant. Il y a
toujours quelqu’un pour profiter des arrivants.
Mais nous, on était innocents, on ne savait pas encore sur qui on
était tombés, si elle était bien ou mauvaise, cette femme, et elle non plus
d’ailleurs ne savait pas qui on était, bons ou tordus, ou juste de simples
inconnus dont il fallait peut-être se méfier parce qu’on était Africains et que
les gens ont toujours des idées mal placées sur l’Afrique et sur les Noirs.
Comme quoi on parle fort, qu’on rigole pour tout et n’importe quoi, qu’on casse
tout ou qu’on sent mauvais. Et plein d’autres croyances inquiétantes. (p.45)
DIFFICULTÉS
Le père a beau posséder un diplôme en philosophie et avoir vécu
mille métiers au Sénégal, il n’arrive pas à dénicher un emploi malgré son
optimisme. Il faut un travail régulier, un bon salaire. Après tout, ils sont
venus pour cela.
C’est plutôt du côté de la mère que l’espoir luit. Elle trouve un
stage dans un centre de jardinage avec possibilité d’embauche. Le père continue
sa quête désespérément et bascule dans la dépression. Le rêve menace d’éclater
en mille morceaux. C’est déjà difficile pour un Québécois qui vit la même
situation. C’est pire pour un émigrant parce qu’il n’a pas de famille pour le
soutenir.
Les enfants s’adaptent. Bibi est très sociable et sportif et la
sœur de Souleye est encore trop petite pour connaître des problèmes
d’intégration. Tout est nouveau et différent, surprise et découverte.
Le jeune garçon fait la connaissance de Charlotte, une voisine qui
vit avec sa mère et est responsable de la famille. La mère, une alcoolique, est
internée régulièrement pour retrouver ses esprits. Les gens des services
sociaux et de la protection de la jeunesse veillent et tout change quand la
fillette est mise dans une famille d’accueil.
Avec les chaînes québécoises, on s’était mis à écouter la télé
parce qu’il fallait faire plus d’efforts pour comprendre ce que la télé disait
que ce que la télé montrait. Et c’est par la télé qu’on a découvert le Québec
et surtout la langue. D’ailleurs, ici, on dit « écouter », « écouter la télé »,
« écouter un film ». Nous, au Sénégal, on écoute la radio et on regarde la
télé. Peut-être qu’ici les oreilles sont prioritaires (p.47)
LE
PÈRE
Désespéré, perdu, le père s’enferme dans le sous-sol et entreprend
de creuser un trou, de bricoler d’étranges meubles. Une crise, une rage et il est
interné. Tout s’est gâché avec le cambriolage de l’appartement et la
disparition du disque dur de l’ordinateur où tous les souvenirs de la famille
étaient stockés.
Ce disque dur, c’est une mémoire, comme un cerveau qui dort et qui
sert de rangement pour toutes les photos, les musiques, les dossiers et les
documents de mes parents. C’étaient des affaires très personnelles et
familiales. Et là, sans raison, quelqu’un avait volé la mémoire de P’pa. P’pa
était assis sur son lit, la tête entre les mains, mais il ne pleurait pas. Et
c’était dramatique, parce que c’était vraiment tout, nos photos d’enfance et toutes
ses musiques sénégalaises et cubaines, ses vidéos et ses textes. (p.63)
AMITIÉ
La mère et son fils entreprennent le long chemin de l’intégration
et aident le père à retrouver sa lucidité. Le jeune garçon s’acharne et
parviendra grâce à la générosité de Triple J, un médecin haïtien qui ne peut
exercer au Québec, à ramener son père.
C’est comme une récompense, parce qu’avec P’pa à l’hôpital, ça la
rassure vraiment. Même si P’pa ne nous coûte rien, parce qu’ici, avec la carte
soleil, on s’occupe de toi jusqu’au bout quand tu es malade. Même par temps de
neige, il y a la carte soleil. C’est le soleil sur un visage en larmes, il faut
reconnaître que c’est une belle générosité du pays. Les Québécois se plaignent
souvent de leur hôpital et du système de santé, mais ils ne savent pas. Ils ne
savent pas comment sont traités les fous, les malades mentaux ou les dépressifs
profonds dans d’autres pays. (p.200)
David Bouchet décrit subtilement nos travers et nos générosités
parfois excessives. Ça fait du bien. C’est un grand reset que Souleye nous sert pour mieux nous voir et prendre
conscience de notre chance. Bien des gens voudraient venir ici pour partager
nos misères souvent imaginaires. Un regard charmant sur le Québec, nos habitudes,
nos manies de nous plaindre de tout et de rien. Un véritable vent de fraîcheur,
un bonheur de lecture.
Soleil de
David Bouchet est paru aux Éditions La Peuplade, 318 pages, 25,95 $.
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