Une
version de cette chronique
est
parue dans Lettres québécoises,
numéro
160.
JEAN DÉSY a beaucoup écrit sur le nord du Québec et ses
voyages où il va à la découverte du monde. Ce nomade respire mieux quand
l’espace s’ouvre autour de lui et que la vie sauvage se manifeste dans toute sa
splendeur et sa dureté. Le nord du Québec se prête bien à ce genre d’expériences
où la mort rôde. Il s’est même aventuré au Népal et a failli y laisser sa peau.
Il est demeuré beaucoup plus discret cependant sur son travail de médecin qui
lui a permis de connaître des gens qui vivent en marge du monde, subissant les ressacs
d’une société de consommation et de gaspillage des ressources ; des lieux
menacés par un Plan Nord qui va se faire aux dépens des populations autochtones
qui ne comptent jamais dans ce genre d’entreprise. Pratiquer la médecine dans
ces espaces où il faut se débrouiller avec peu de moyens n’attire pas beaucoup
de postulants, on le comprendra.
Jean Désy est un
homme de la Côte-Nord du Québec et du Nord, ce pays de rêveries, de dureté où
la vie se recroqueville et où la survie exige souvent toutes ses ressources et
son imagination. C’est une manière de retrouver la vie des Européens qui sont
venus en ne sachant comment survivre sur un continent où des peuples nomades composaient
avec les saisons et des déplacements bien définis. Ces arrivants ne pouvaient
que bouleverser l’ordre américain. C’est encore ce qui se vit dans le Nord où le
quotidien n’est plus le même depuis que les Blancs sont débarqués avec leurs
machines et leurs habitudes de conquérants. Nous leur avons légué le pire de
notre civilisation.
La quarantaine de
courts textes que Jean Désy offre dans L’accoucheur
en cuissardes nous transporte sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord du
Québec, des villages qu’il a visités à de nombreuses reprises. Des pays rudes,
peu habités où la nature s’impose, où il faut puiser dans toutes ses ressources
pour survivre. C’est peut-être encore l’un des rares endroits au monde où il
est possible de se mesurer aux saisons et en réaliser toute la force. Une
expérience que la vie en ville a souvent dénaturée. Ce monde fascine Désy
depuis toujours et après ses heures de garde dans des dispensaires, il s’évade
dans la toundra ou encore va en mer pour taquiner la morue ou l’ombre de
l’Arctique. Il aime ces moments où il a l’impression d’être un survivant dans
une nature qui l’enveloppe, où il est possible de démêler tout ce qui encombre l’esprit.
Ce besoin de solitude, d’être totalement dans son corps, d’habiter ses jours du
matin au soir, le fait revenir dans ces lieux peu fréquentés pour comprendre
peut-être la nature humaine, son propre regard sur les êtres et les choses.
Une mésange entre et se perche sur la table, comme si elle
était une habituée. Rosaire lui tend un morceau de pain qu’elle picore
volontiers. Je finis par repartir, mais avec l’idée de revenir pêcher en
compagnie du plus vieux de mes garçons, l’autre étant trop jeune, pour jaser
encore avec Rosaire à propos d’une existence qui m’a tenté toute ma vie, en
plein bois, au cœur des épinettes, des orignaux et des mésanges. (p.57)
Il concilie ainsi la
pratique de la médecine, son amour de la nature indomptée, y trouvant matière à
ses romans et ses récits, parvenant à aider les Autochtones, les regardant se
débattre avec leurs terribles difficultés, la perte d’être qui hante ces gens
qui ont perdu leur équilibre, leur pensée et leur regard sur le monde.
L’HUMAIN
Désy nous entraîne
ainsi dans des situations amusantes, souvent tragiques, toujours étonnantes où
il doit improviser et ignorer souvent les directives des spécialistes du Sud
qui ne comprennent pas la situation dans laquelle il se trouve. Il fait savoir
que dans ce coin du monde, tout près de nous, la médecine est un sport extrême,
celle que les médecins de campagne pratiquaient à l’époque de nos
grands-parents, que des hommes et des femmes de notre pays sont aussi
différents que ces peuples de Mongolie ou du Tibet. L’étranger vit au Québec
depuis toujours.
Dans le Nord, le
médecin et le personnel des infirmières affrontent la folie, la démence souvent,
les accidents qui arrivent après tous les excès et une terrible violence. En
décrivant ses journées de travail, l’auteur fait prendre conscience qu’un
médecin agit pour sauver la vie de ses semblables, fait le bon geste devant un
être en détresse. Il faut avoir des réflexes et surtout ne jamais perdre son
sang-froid devant une femme qui n’arrive pas à accoucher ; un homme
incontrôlable après avoir ingurgité une drogue et qui bascule dans le coma. Tous
les écrivains qui ont parcouru ce territoire le répètent : le Nord vit un
problème d’alcool et de drogues qui détruit la vie sociale et communautaire.
Juliana Léveillé-Trudel en parle avec une justesse terrible dans Nirliit, un récit émouvant sur le Nord.
Le reportage de Radio-Canada portant sur la situation des femmes autochtones en
Abitibi n’est que la pointe d’un iceberg.
Elle ne comprend pas ce qui se passe. Selon elle, c’est à
cause de la nouvelle drogue qui est entrée au village, par avion. Bien sûr,
tout ce qu’il y a de toxique pénètre ici par la voie des airs. Je me dis qu’un
beau jour il faudra absolument s’adonner à une fouille obligatoire des bagages et
des colis pour déceler les substances délétères qui empoisonnent le Nord.
(p.190)
Le personnel
infirmier peut faire des miracles, mais tout est toujours à recommencer. Le
mythe de Sisyphe prend un sens singulier quand on pratique la médecine à Salliut
ou à Kuujiuaq. Il faut être particulier pour agir dans des conditions où risquer
sa vie pour secourir une femme dans la toundra ou aller chercher un blessé dans
un blizzard qui efface ciel et terre fait partie du quotidien. Certains n’en
reviennent pas, l’avion s’étant écrasé contre le flanc d’une montagne.
Se faire médecin dans
ces communautés, c’est changer de siècle, vivre dans un monde autre et
apprendre à se débrouiller avec peu de moyens, faire confiance à son instinct
et aux autres. Et peut-être aussi renoncer à comprendre devant des problèmes sociaux
et humains qui dépassent l’entendement. Certainement que Désy a laissé ses
grilles d’évaluation au Sud pour vivre l’expérience du Nord et y trouver des
leçons de vie.
HUMANITÉ
Jean Désy est un
conteur né, capable aussi de méditer sur ce qu’il vit sans jamais perdre le
sourire même s’il devra faire face jour après jour aux mêmes problématiques de
violence et d’intoxication.
Des situations
qu’il raconte à ses étudiants en médecine de l’Université Laval de Québec pour
leur faire comprendre qu’il faut plus que des connaissances techniques pour
exercer ce métier pas comme les autres. Un futur médecin doit lire de la
fiction et de la poésie pour en savoir plus sur ses semblables, ceux et celles
qui se retrouvent devant eux dans un état de détresse. La médecine n’est pas
une suite de gestes mécaniques, mais un contact particulier et souvent unique
avec un être qui vous confie sa vie. Cela demande beaucoup de générosité, de
compréhension et surtout beaucoup d’empathie.
Je me suis consolé
en me disant qu’il y a encore des hommes et des femmes qui veulent aider les autres
et qui n’empruntent pas les chemins de la politique pour mieux les contrôler.
Gaétan Barrette et Philippe Couillard auraient avantage à lire ces récits pour comprendre
ce qu’est la vie chez des gens démunis, ou encore délaisser leur limousine pour
s’aventurer dans la brousse, circuler sur un tout-terrain et croiser des humains
qui ont besoin d’aide. Surtout, j’aime à savoir qu’il y a encore des médecins
qui sont des humanistes qui se penchent sur la condition humaine et qui tentent
de comprendre la différence. Jacques Ferron se réjouirait, certainement, et
peut-être aussi, Normand Béthune.
L’accoucheur en cuissardes est paru
chez XYZ Éditeur, 232 pages, 22,95 $.
Merci!
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