«La fiancée américaine» d’Éric Dupont est un
merveilleux roman à dévorer absolument avant qu’il ne séduise les lecteurs du
monde entier. Voilà, une fresque exceptionnelle dans la littérature québécoise par
son sujet, son imaginaire, ses dimensions et ses rebondissements. Ce livre échappe
à toutes les balises, survole le siècle dernier en passant par l’Amérique et le
monde. Une lecture qui m’a subjugué pendant deux semaines, incapable que
j’étais de quitter les Lamontagne. Un émerveillement pour tout dire.
Rivière-du-Loup, début du
siècle dernier. La famille Lamontagne connaît une vie tranquille jusqu’à ce que
Louis-Benjamin épouse Madeleine l’Américaine. Il le faut, pour maintenir la
tradition.
«Madeleine Lamontagne — dite
Madeleine-la-Mére, mère de Louis-Benjamin Lamontagne, grand-mére, pardon,
grand-mère de Louis Lamontagne et arrière-grand-mère de Madeleine Lamontagne —
avait souhaité que son fils Louis-Benjamin, né le 14 janvier 1900, épousât comme
son père une Madeleine.
— Les Lamontagne, y leur faut
une Madeleine par génération, avait-elle clamé.» (p.16)
L’arrivée de cette petite
femme fragile qui sait mijoter des plats que personne ne connaît transforme la
famille. La naissance des jumeaux, un 25 décembre dans l’église
Saint-François-Xavier, prend des couleurs bibliques. La pauvre Madeleine y laisse
la vie au grand désespoir de Louis-Benjamin qui ne peut envisager l’avenir sans
elle.
Le bébé survivant, un autre
Louis, deviendra un homme fort et un citoyen respecté après avoir réalisé de
nombreux exploits aux États-Unis et vécu la guerre en Europe. À son retour,
après avoir épousé Irène Caron, il exerce le métier d’embaumeur. Les morts attendent
dans le salon et «vivent» avec la famille pour ainsi dire.
«Louis et Irène avaient
aménagé un petit salon avec des fauteuils et des chaises où parents et amis
pouvaient s’asseoir en attendant la prière, discuter et boire un café que leur
servait Irène avec quelques biscuits secs. Madeleine-la-Mére, présente à presque
toutes les funérailles, devint la clé de voûte du succès de l’entreprise de Louis.
Elle se prêtait avec une patience infinie à l’interrogatoire des parents
attristés sur toutes les affaires entourant le trépas. Est-ce douloureux? Pas
plus que l’enfantement. Est-ce vrai qu’on voit une lumière au bout d’un tunnel?
Non, on ne voit rien, surtout si ça se passe le soir. Entend-on en vérité un
chœur d’anges? À moins de mourir pendant la messe comme ma première bru, non.
Seriez-vous prête à mourir une seconde fois, la Mére? Naturellement. Mourez
tranquilles! J’ai adoré l’expérience et je la recommande à tout le monde, mais
il faut laisser les choses venir en leur temps.» (p.117)
Madeleine-là-Mére est morte,
mais elle continue de hanter la famille et de se mêler des affaires des vivants.
On peut tout oser dans un roman. Dupont ne se gêne pas.
Madeleine, la fille d’Irène
et Louis, la troisième du nom, aura également des jumeaux. Une autre caractéristique
de la famille. Ses fils s’illustreront à leur manière. Michel deviendra
chanteur d’opéra et Gabriel, la réincarnation de son grand-père Louis, professeur
d’éducation physique. Un séducteur qui collectionnera les conquêtes et certains
livres qu’il dérobe à ses amoureuses.
Tout cela en passant par
Montréal, Toronto, New York, l’Allemagne et l’Italie. Dupont ne s’embarrasse d’aucune
frontière.
Continent
Comment cerner ce roman vaste
comme un continent? Le phénomène des jumeaux, des couples peut-être... Ils s’attirent,
se repoussent, ne peuvent être l’un sans l’autre. Madeleine et Solange, la
voisine, deviendront des inséparables. Tout comme la religieuse Marie-de-l’Eucharistie
et sa sœur tuée à Nagasaki au Japon lors de l’attaque américaine. Michel et
Gabriel n’arrivent pas à couper les liens même s’ils ne cessent de se
vilipender.
Les Lamontagne ont des
ancêtres allemands, une famille parallèle que Gabriel retrouve par hasard à
Berlin. Magdalena Berg a vécu le pire comme le meilleur. Deux branches d’une
même famille qui ont évolué des deux côtés de l’Atlantique.
Aventure
J’ai adoré ce monde réaliste
et invraisemblable, me suis laissé happer par un récit qui échappe à tout ce
que j’ai lu au Québec. Voici un romancier rare qui possède un pouvoir
d’évocation formidable. Un conteur né, un fabulateur que rien ne fait reculer.
L’aventure nous fait passer
de la littérature orale à l’époque contemporaine. Tout cela avec en trame de
fond «Tosca» de Giacomo
Puccini, drame de passion et de
jalousie, de mort et de vengeance.
Un joyau qu’il faut lire à
petites doses pour savourer toutes les dimensions d’une équipée littéraire étonnante
et unique. Un plaisir rare pour le lecteur.
«La fiancée américaine» d’Éric Dupont est paru aux Éditions
Marchand de feuilles.
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