Éva et Rudolph Roden ont d’abord publié leur récit en 1984. Vingt-six ans plus tard, la traduction française demeure percutante et bouleversante. Les deux voix se relancent et s’entremêlent, décrivent l’horreur. Une formidable histoire d’amour entre deux idéalistes, un rendez-vous avec la folie des hommes obsédés par le racisme et la haine.
Tchécoslovaquie
Ils vivaient en Tchécoslovaquie, dans un milieu aisé avant ces événements qui ont déchiré l’Europe et marqué toutes les mémoires.
La signature des accords de Munich sonnait le glas pour ce pays. Les Allemands occupaient la Tchécoslovaquie qui était, pour ainsi dire, démantelée. Les citoyens juifs devaient porter l’étoile de David sur leurs vêtements. Ils perdaient leurs droits civiques et devaient partager leurs demeures avec d’autres familles. Un père était arrêté, un oncle disparaissait. Les plus folles rumeurs circulaient. Peu à peu, tous furent déportés dans des camps de concentration. Des populations entières se sont retrouvées dans ces trains de la mort.
Éva et Ruda se retrouveront à Auschwitz, le lieu même de l’horreur. Difficile d’imaginer que l’on envoyait, avec une logistique et une efficacité démentes, vingt mille personnes à la mort à tous les jours. Un raffinement dans la barbarie qui dépasse toutes les limites.
«Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de penser à Auschwitz, je ne vois que les grandes cheminées à moitié dissimulées par les bouleaux, crachant des flammes et de la lumière âcre. Je sens l’odeur fétide des os carbonisés et mes bras se couvrir d’une très fine poussière poudreuse, le résidu des cendres humaines qui se déposait sur nous et sur tout ce qui nous entourait. Je pense à l’éternelle boue, ressemblant à du sable mouvant, qui nous avalait jusqu’aux genoux. Mais plus que tout, je vois les enfants.» (p.112)
L’enfer
Le travail quotidien, la faim, l’humiliation, la délation, les délires des gardiens, la peur, la promiscuité, l’humidité et le froid deviennent le quotidien. Et la faim, toujours la faim, cette faim qu’il est impossible de satisfaire. La cruauté, l’aveuglement et la haine poussés à leur paroxysme.
Les écrits d’Éva et de Ruda décrivent les camps dans les gestes les plus simples, s’attardent à la lutte pour un peu de nourriture et des vêtements. Ce sont des héros qui se sont battus au jour le jour. L’espoir survit malgré tout. L’amour et l’amitié entre les prisonniers peuvent triompher de tout. Éva et Ruda ont peut-être été chanceux de connaître cet amour inébranlable.
«Nous le constatons tout autour de nous, et nous avons peur ; peur pour tout le monde, mais surtout l’un pour l’autre. Tant que nous sommes ensemble, nous y arriverons, mais si… je ne veux seulement pas y penser – je ne crois pas que je le supporterais, si nous étions séparés – je crois que je cesserais d’exister. Je ne voudrais pas vivre.» (p.64)
Ils ont pu garder l’espoir et la volonté de survivre. Ce n’est pas le cas de tous. Ils vivront la libération avec l’impression de quitter l’enfer.
Migration
Le couple migre au Canada pour se donner un autre avenir et se refaire une vie. Ils n’oublieront pas, comment pourraient-ils? Il faut se souvenir pour empêcher que de semblables horreurs se répètent. Malgré tout, l’histoire démontre que ces crimes ne cessent de se multiplier partout sur la planète. L’humain apprend difficilement de ses folies.
Un incroyable message d’espoir et d’amour qui résiste à tout. Assez pour croire à un avenir meilleur.
«Éva et Ruda» d’Éva et Rudolph Roden est paru Éditions du Passage.
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